LE
MUSÉE DE BRUNSWICK
(deuxième article1.)
u Musée de Dresde, j’ai eu le rare
privilège de voir un homme heu-
reux. Il avait quitté pour trente
jours, durée d’un billet circu-
laire, sa boutique de la rue des
Francs-Bourgeois, et, flanqué de
-ses deux filles, muni d’un Bœde-
ker français, il avait résolu d’ex-
plorer l’Allemagne. Quand nous
le rencontrâmes (un de mes con-
frères et moi), il venait tout sim-
plement de découvrir un peintre.
Ce n’était pas le décevant Bonwyn, révélé au monde par un trop
perspicace critique d’outre-Rhin qui a lu cette signature sur une
enseigne d’auberge accrochée au coin d’une « bambochade » de l’Ecole
française, datée 1643; non, c’était un maître aussi fécond que peu
célèbre, dont les cartouches de plus de cent tableaux lui révélaient
tout à coup l’énorme production : le peintre Unbekannt. Il s’étonnait
éloquemment qu’un artiste, ayant tant produit et dans des genres si
divers, ne fût pas arrivé à une notoriété plus grande et ne figurât
même pas au Louvre; et il fallait entendre de quel inimitable accent,
à mesure qu’il lisait le nom sur un nouveau cadre, il laissait tomber
ces mots : « Encore un Unbekannt t » Le brave homme ne se doutait
pas que cette mention cachait bien plus d’oubli qu’il ne croyait avoir
à en venger; il n’entendait pas les voix mélancoliques qui, du fond de
L Voy. Gazette des Beaux-Arts, 2° période, t. XXXIV, p. 265.
MUSÉE DE BRUNSWICK
(deuxième article1.)
u Musée de Dresde, j’ai eu le rare
privilège de voir un homme heu-
reux. Il avait quitté pour trente
jours, durée d’un billet circu-
laire, sa boutique de la rue des
Francs-Bourgeois, et, flanqué de
-ses deux filles, muni d’un Bœde-
ker français, il avait résolu d’ex-
plorer l’Allemagne. Quand nous
le rencontrâmes (un de mes con-
frères et moi), il venait tout sim-
plement de découvrir un peintre.
Ce n’était pas le décevant Bonwyn, révélé au monde par un trop
perspicace critique d’outre-Rhin qui a lu cette signature sur une
enseigne d’auberge accrochée au coin d’une « bambochade » de l’Ecole
française, datée 1643; non, c’était un maître aussi fécond que peu
célèbre, dont les cartouches de plus de cent tableaux lui révélaient
tout à coup l’énorme production : le peintre Unbekannt. Il s’étonnait
éloquemment qu’un artiste, ayant tant produit et dans des genres si
divers, ne fût pas arrivé à une notoriété plus grande et ne figurât
même pas au Louvre; et il fallait entendre de quel inimitable accent,
à mesure qu’il lisait le nom sur un nouveau cadre, il laissait tomber
ces mots : « Encore un Unbekannt t » Le brave homme ne se doutait
pas que cette mention cachait bien plus d’oubli qu’il ne croyait avoir
à en venger; il n’entendait pas les voix mélancoliques qui, du fond de
L Voy. Gazette des Beaux-Arts, 2° période, t. XXXIV, p. 265.