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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
de gaieté et de simplicité, s’il a beaucoup d’esprit il est exempt de cette prétention
qui, chez tant d’autres, gâte l'esprit qu’ils pourraient avoir. La bonne humeur
de M. Robida est contagieuse parce que, nous le répétons, cette bonne humeur
est dans sa nature et qu’il s’y livre tout entier sans faire de petites manières pour
attirer l’attention sur la personne même du rieur, sur l'artiste qui rit si bien.
Il ne faudrait pas conclure de cette appréciation du talent de M. Robida, que
l’illustration de la Vie très horrificque du grand Gargantua et des Faicts et dicts
héroïques du noble Pantagruel, n’a dû lui coûter aucun effort. On ne jette pas sur
le papier un millier de dessins (il y en a à chaque page des deux volumes de
l’édition) sans avoir au préalable alimenté son esprit de notes, de documents
pittoresques, types, costumes, mobilier, architecture, empruntés à l’époque et aux
pays où l’action se joue. Quelle que soit la puissance d’invention de M. Robida,
nous sommes certain qu’il a dû passer de longues heures à fouiller des cartons de
vieilles gravures. A chaque instant, dans son livre, on est arrêté devant un décor
qui n’a pu sortir de toutes pièces de la fantaisie de l'artiste : sous la transfiguration
macaronique qui est son invention propre, on devine sans peine un fonds de vérité
archéologique dont la possession a dû. lui coûter quelque peine. L’étrange recon-
stitution du xvie siècle qu’il nous donne n’est donc pas de pure fantaisie ; une part
de vérité se cache sous le rire. M. Robida, en agissant ainsi, a sans doute pensé
qu’il entrait plus avant dans l’esprit du texte : On sait, que l’effet, que l’oeuvre de
celui que Bacon appelait « le grand railleur de France » contient de grosses vérités;
à l’époque où elles furent écrites, le salut pour elles fut dans cette forme burlesque
dont Rabelais les a revêtues : les rois avaient leurs fous à qui il était permis de
tout dire.
Un parallèle entre l’œuvre de Gustave Doré et celle de M. Robida nous semble
indiqué, mais, qu’on se rassure, nous le ferons aussi court que possible. S’il est
des points de ressemblance entre ces œuvres, c’est le texte qui l’a voulu; la tournure
d’esprit et le talent des deux artistes n’ont absolument rien de commun. L’imagi-
nation rêveuse et fantastique de Gustave Doré a tiré un parti merveilleux des
inventions de Rabelais et plus encore de celles de Balzac dans ses Contes drolatiques,
cependant nous le trouvons moins humain et, par conséquent, plus éloigné du texte
rabelaisien que ne l’est M. Robida. Celui-ci n’a cure des impressions subjectives,
il est tout à la joie de vivre ; on fait réellement grasse chère dans ses images et la
femme s’y montre gaie convive et d’humeur fort accommodante. Doré, lui, n’a
jamais bien rendu la femme, ni dans son Rabelais ni ailleurs. Il est probable que
le joyeux curé de Meudon n’aurait rien compris à ses silhouettes raides et élancées
qui semblent venir de l’autre monde, on ne connaissait pas l'hypnotisme de son
temps ; les figures rieuses et grassouillettes de M. Robida répondent certainement
mieux à l’idéal de l’implacable contempteur du platonisme.
La même librairie vient de rendre un service signalé aux amateurs d'art, aux
collectionneurs et aux simples curieux en éditant un Dictionnaire des arts décoratifs
où l’on trouve très méthodiquement exposé tout ce qui concerne l’histoire, la des-
cription, l’esthétique, la technique même de l’art appliqué à l’industrie. Cette
forme si commode du dictionnaire ne permet pas de s’égarer ; on trouve tout de
suite ce que l’on désire savoir. Cependant M. Paul Rouaix, l’auteur de cet impor-
tant répertoire de renseignements, s’est également préoccupé de combler les vides
que laisse fatalement derrière lui l’ordre analytique ; dans une table fort bien
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
de gaieté et de simplicité, s’il a beaucoup d’esprit il est exempt de cette prétention
qui, chez tant d’autres, gâte l'esprit qu’ils pourraient avoir. La bonne humeur
de M. Robida est contagieuse parce que, nous le répétons, cette bonne humeur
est dans sa nature et qu’il s’y livre tout entier sans faire de petites manières pour
attirer l’attention sur la personne même du rieur, sur l'artiste qui rit si bien.
Il ne faudrait pas conclure de cette appréciation du talent de M. Robida, que
l’illustration de la Vie très horrificque du grand Gargantua et des Faicts et dicts
héroïques du noble Pantagruel, n’a dû lui coûter aucun effort. On ne jette pas sur
le papier un millier de dessins (il y en a à chaque page des deux volumes de
l’édition) sans avoir au préalable alimenté son esprit de notes, de documents
pittoresques, types, costumes, mobilier, architecture, empruntés à l’époque et aux
pays où l’action se joue. Quelle que soit la puissance d’invention de M. Robida,
nous sommes certain qu’il a dû passer de longues heures à fouiller des cartons de
vieilles gravures. A chaque instant, dans son livre, on est arrêté devant un décor
qui n’a pu sortir de toutes pièces de la fantaisie de l'artiste : sous la transfiguration
macaronique qui est son invention propre, on devine sans peine un fonds de vérité
archéologique dont la possession a dû. lui coûter quelque peine. L’étrange recon-
stitution du xvie siècle qu’il nous donne n’est donc pas de pure fantaisie ; une part
de vérité se cache sous le rire. M. Robida, en agissant ainsi, a sans doute pensé
qu’il entrait plus avant dans l’esprit du texte : On sait, que l’effet, que l’oeuvre de
celui que Bacon appelait « le grand railleur de France » contient de grosses vérités;
à l’époque où elles furent écrites, le salut pour elles fut dans cette forme burlesque
dont Rabelais les a revêtues : les rois avaient leurs fous à qui il était permis de
tout dire.
Un parallèle entre l’œuvre de Gustave Doré et celle de M. Robida nous semble
indiqué, mais, qu’on se rassure, nous le ferons aussi court que possible. S’il est
des points de ressemblance entre ces œuvres, c’est le texte qui l’a voulu; la tournure
d’esprit et le talent des deux artistes n’ont absolument rien de commun. L’imagi-
nation rêveuse et fantastique de Gustave Doré a tiré un parti merveilleux des
inventions de Rabelais et plus encore de celles de Balzac dans ses Contes drolatiques,
cependant nous le trouvons moins humain et, par conséquent, plus éloigné du texte
rabelaisien que ne l’est M. Robida. Celui-ci n’a cure des impressions subjectives,
il est tout à la joie de vivre ; on fait réellement grasse chère dans ses images et la
femme s’y montre gaie convive et d’humeur fort accommodante. Doré, lui, n’a
jamais bien rendu la femme, ni dans son Rabelais ni ailleurs. Il est probable que
le joyeux curé de Meudon n’aurait rien compris à ses silhouettes raides et élancées
qui semblent venir de l’autre monde, on ne connaissait pas l'hypnotisme de son
temps ; les figures rieuses et grassouillettes de M. Robida répondent certainement
mieux à l’idéal de l’implacable contempteur du platonisme.
La même librairie vient de rendre un service signalé aux amateurs d'art, aux
collectionneurs et aux simples curieux en éditant un Dictionnaire des arts décoratifs
où l’on trouve très méthodiquement exposé tout ce qui concerne l’histoire, la des-
cription, l’esthétique, la technique même de l’art appliqué à l’industrie. Cette
forme si commode du dictionnaire ne permet pas de s’égarer ; on trouve tout de
suite ce que l’on désire savoir. Cependant M. Paul Rouaix, l’auteur de cet impor-
tant répertoire de renseignements, s’est également préoccupé de combler les vides
que laisse fatalement derrière lui l’ordre analytique ; dans une table fort bien