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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 3.1890

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Nr. 3
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Wyzewa, Teodor de: Le mouvement des arts en Allemagne et en Angleterre
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https://doi.org/10.11588/diglit.24447#0291

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LE MOUVEMENT DES ARTS A L’ÉTRANGER. 267 ’

•excentriques et les plus séduisants : Mathias Grünewald, Albert Altdorfer et Lucas
Cranach.

Le Musée de Colmar est riche en beaux tableaux de peintres français, Doré,
Brion, MM. Jlenner, Benner, etc., tableaux qui lui ont été généreusement donnés
jadis par Louis-Philippe et Napoléon III. Il est regrettable que ces souverains, en
échange de leurs cadeaux, n’aient pas enlevé au Musée de Colmar, pour les mettre
par exemple au Musée du Louvre, divers tableaux d'auteurs plus anciens et moins
renommés. Aujourd’hui, ce qui dépendait autrefois de l’Empereur des Français
dépend de l’Empereur d’Allemagne, et pour aller voir le Musée de Colmar, un
Parisien doit solliciter un permis de séjour, qui, d’ailleurs, lui est généralement
refusé. Et tandis que les voyageurs de toute nation se pressent, l'été, à Nurem-
berg, a Bamberg, à Cologne, il ne se trouve personne pour aller rendre visite, à
Colmar, à deux mailres admirables, qui n'ont de chefs-d’œuvre que là, qui tout
entiers sont là, Schüngauer et Mathias Grünewald. Des deux, Schüngauer est assu-
rément le plus grand : il est plus pur, plus simple, plus proche de la nature ; mais
à la rigueur, ses estampes, son petit tableau du Salon Carré, ses Sainte Famille
de Munich et de Vienne peuvent donner une idée de l’artiste fort et délicat qu'il a
été. Pour Mathias Grünewald, nu contraire, qui ne l'a vu à Colmar ne peut même
le deviner. Ni les tableaux du Musée Stœdel à Francfort et du Musée de Cassel.
ni la grande et belle peinture de la Pinacothèque de Munich ne permettent de
•croire ce qu’établissent les panneaux de l’autel d'Jscnheim à Colmar : que
Grünewald a été l’un des plus grands coloristes de tous les temps, et puis le plus
étrange, le plus saisissant des maîtres de la fantaisie. Seule une Crucifixion du Musée
de Schleisshcim surprend déjà par quelque chose de sombre et de singulier, avec
ses poses simples et tragiques, l’horreur mystérieuse des lumières. Mais à Colmar,
cet homme extraordinaire apparaît sous des aspects autrement riches et variés.
Duc l’on imagine d’énormes compositions, où le coloris est éclatant cemme celui
de Bubens, mais avec des tons bizarres et quasi diaboliques, une subtilité de nuances
infinie; et que l’on imagine, sous ces couleurs, des formes d’une délicatesse toute
mystique, et des visages sans corps rayonnant dans un halo de clarté, et de lointains
paysages de rêve. Tout cela, absolument original, aussi différent des Flandres que
<le l’Italie, el rachetant le manque de goût par l'intensité de la fantaisie et l’im-
peccable maîtrise de l'exécution. M. Janitschek a bien raison de donner à celte
œuvre stupéfiante une place à part dans l’histoire de la peinture allemande : il n’v
a guère, dans l’hiloire de l'art tout entier, d’œuvre plus absolument personnelle.
Mais comment la comparaison de l’autel d’Isenheim avec la Passion de Schüngauer,
qui l'avoisine, n’a-t-elle pas fait voir à ce critique éminent ce qu’il y a dans l’art
de Grünewald de factice, de malsain, d'inférieur sous la catégorie de l'éternité 1
Combien Schüngauer, pour être d'abord moins séduisant, combien Rubens, pour
être plus simple el moins ingénieux, donnent cependant une impression meilleure
fit plus durable ! Nous ne connaissons pas «le plus saisissant exemple de la supé-
riorité de la vérité sur la fantaisie que celle confrontation, au Musée de Colmar,
des naïves scènes de la Passion de Schüngauer et des vibrantes hallucinations
de Grünewald.

De l’homme qui a peint ces hallucinations, on ne sait presque rien. D'après
•Sandrart, il aurait vécu à Mayence, aurait eu un tempérament mélancolique et se
serait mal marié. On suppose qu’il est né à Aschaffenbourg vers 1470 et qu’il est
 
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