Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (3. Pér. 3.1890)

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

mort à Mayence, en 1525. Nul doute qu’il a été fou, mais si le tableau de Munich
est bien de sa main, sa folie semble s’être calmée avec l’àge, car on ne peut sou-
haiter un art plus ferme et plus vaillant. Sa science, d’ailleurs, où qu’il ait pu la
prendre, était prodigieuse : la peinture lui est redevable de quelques-uns de scs
plus beaux muscles, et lors même qu’il sublitue son rêve à la nature, il le fait avec
une justesse de dessin et de perspective tout à fait irréprochable. Son influence a
été très grande : Baldung Grün lui doit autant qu’à Durer et l’école d’Aschàffenbourg
est sortie de lui tout entière.

Il y a dans l'histoire de la peinture allemande un maître qui, par la singularité
de son imagination et l'intensité de son coloris, se rapproche de Griinewald; mais
Albert Alldorfer n’a pas, dans son exécution, l’éclatante originalité du peintre
d'Aschaffenbourg. Ses formes sont les formes deDi'irer, son dessin est, comme celui
de Di'ircr, d'une justesse un peu sèche; et c’est à Griinewald qu’il a pris quelques-
uns de ses effets de couleur les plus saisissants. Avouerons-nous, au surplus, qu il
se distingue de Griinewald par quelque chose de plus calme et de plus naturel,
qui nous le rend plus aimable? Son Repos en Égypte de Berlin est d’une grâce et
d’une pureté délicieuses ; ses tableaux du Musée germanique ont une grandeur
bizarre mais pleine de noblesse. A Munich, à Augsbourg, à Ilatisbonne, il apparaît
sous des aspects variés, sans jamais cesser d’ètre étrange et charmant. On suppose
qu’il est né en Bavière, vers -1470, qu’il est venu en 1505 à Ratisbonne, où l’on sait
qu’il devint propriétaire et conseiller municipal. Il fut ardent luthérien, cl mourut
en 1538. 11 était architecte en même temps que peintre ; ses tableaux de Munich,
en particulier, font voir la bizarre conception qu’il se faisait de l’architecture. Ses
paysages sont assurément les plus lumineux et les plus beaux que l’on ait peints en
Allemagne.

Au contraire de Griinewald et d'Alldorfcr, Cranach nous est bien connu. Du
moins nous savons le peintre qu’il a été : car pour ce qui est du classement de ses
œuvres et de leur plus ou moins d’authenticité, et de la part personnelle qu’il a
prise dans leur exécution, ce sont des points où tout reste à savoir, en Allemagne
comme en France. M. Janitschek a énuméré de son mieux les peintures à peu près
authentiques de Cranach : il ne s’accorde pas avec M. Scheibler dans l’attribution
laite par ce dernier à Cranach de toute une série de peintures jadis attribuées à
Griinewald, et il est probable qu’il a raison. Mais nous avouons que nous aurions
voulu le voir moins sévère pour ce peintre inégal, peu consciencieux, au demeu-
rant adorable. Il lui reproche de manquer de dignité, d'être trop sec, trop
conventionnel, trop négligent de l’expression ; pour les trois quurls des Cranach
que l’on i-encontre dans les musées, rien de plus juste que ce reproche. Mais
comment expliquer que le charme exquis des beaux tableaux de Cranach, cette
grâce naïve et maligne, tendre et railleuse, cette pureté de lignes à la fois
élégante et familière, que toutes ces qualités semblent ne pouvoir être appréciées
ni de M. Janitschek, ni pour ainsi dire de personne en Allemagne? Ne serait-ce
pas que Cranach, tout en étant le plus allemand des peintres de son temps par le
type et l'expression qu’il a su créer, a été aussi le seul des allemands à goûter le
prix d'une beauté classique, de celle mystérieuse et éternelle beauté de la ligne
féminine qui se retrouve chez Hokousaî comme chez Raphaël, mais que nulle for-
mule ne peut définir et que l'œil d’un Allemand est incapable de saisir?

Revenons ù M. Janitschek, cl achevons rapidement de parcourir son excellente