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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
La version flamande est plus explicite ; elle pourrait se traduire :
Hélas les beaux jours sont passés pour nous !
De fait, c’était le cas au pays brabançon. Que d’événements vien-
nent rappeller les dates ultimes inscrites sur les œuvres de Breughel !
Le Compromis des Nobles, la dévastation des églises, le Conseil des
troubles, les sanglantes représailles du duc d’Albe.
Ne faut-il pas chercher le reflet de cette situation dans l’œuvre de
notre maître? Nous le pensons bien. Les Mendiants, la délicate petite
peinture 1 appartenant à la collection si choisie de M. Paul Mantz,
est datée, comme le tableau de Naples, de 1568. Comment ne pas
croire que ce conciliabule de gueux est, sous une forme déguisée,
une adhésion à l’œuvre du Compromis des Nobles et cela au moment
même où le duc d’Albe fait raser jusqu’en ses fondements l’hôtel de
Culembourg où, pour la première fois, a retenti le cri de Vivent les
gueux! L’hypothèse deM. Renouvier trouverait, cette fois, une pleine
confirmation.
Aussi bien, Van Mander l’omniscient ne néglige pas de nous
apprendre qu’avant de mourir, Breughel se fit apporter un nombre
considérable de dessins qu’il anéantit dans la crainte que leur
portée satirique ne procurât à sa jeune femme quelque désagrément.
11 lui léguait par testament, ajoute le consciencieux historien, un
tableau fait pour exprimer l’horreur du peintre pour la médisance.
Cette peinture, on la retrouve au Musée de Darmstadt. Elle porte
le millésime de 1568. C’est assurément une des pages les plus déli-
cates de son auteur 2. Dans un paysage aux riants coteaux, aux loin-
tains estompés, s’élève un gibet sur lequel est perchée une pie. Des
couples dansent à l’entour. Plus près de nous, s’isole un personnage
dans une pose ultra-réaliste. C’est tout simplement l’illustration
d’un vieux dicton flamand fait pour exprimer le suprême mépris.
Si le renseignement de Yan Mander est venu très à propos nous
donner le sens de cette composition, nous avouons notre incapacité à
dire ce que signifie l’estampe, peu commune d’ailleurs, qu’on a cou-
tume d’attribuer au burin de notre maître. Le lecteur pourra s’en
faire une idée par la reproduction jointe au présent article.
L’étrange vision vers laquelle les personnages du premier plan
nous convient à lever le regard a-t-elle une portée philosophique?
1. Ce tableau de la meilleure qualité mesure à peine 210 millimètres sur 173.
Voir l’eau-forte de M. Muller (Gazette, 38 pér., t. IV, p. 370).
2. Elle mesure 430 millimètres de haut sur 500 millimètres de large.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
La version flamande est plus explicite ; elle pourrait se traduire :
Hélas les beaux jours sont passés pour nous !
De fait, c’était le cas au pays brabançon. Que d’événements vien-
nent rappeller les dates ultimes inscrites sur les œuvres de Breughel !
Le Compromis des Nobles, la dévastation des églises, le Conseil des
troubles, les sanglantes représailles du duc d’Albe.
Ne faut-il pas chercher le reflet de cette situation dans l’œuvre de
notre maître? Nous le pensons bien. Les Mendiants, la délicate petite
peinture 1 appartenant à la collection si choisie de M. Paul Mantz,
est datée, comme le tableau de Naples, de 1568. Comment ne pas
croire que ce conciliabule de gueux est, sous une forme déguisée,
une adhésion à l’œuvre du Compromis des Nobles et cela au moment
même où le duc d’Albe fait raser jusqu’en ses fondements l’hôtel de
Culembourg où, pour la première fois, a retenti le cri de Vivent les
gueux! L’hypothèse deM. Renouvier trouverait, cette fois, une pleine
confirmation.
Aussi bien, Van Mander l’omniscient ne néglige pas de nous
apprendre qu’avant de mourir, Breughel se fit apporter un nombre
considérable de dessins qu’il anéantit dans la crainte que leur
portée satirique ne procurât à sa jeune femme quelque désagrément.
11 lui léguait par testament, ajoute le consciencieux historien, un
tableau fait pour exprimer l’horreur du peintre pour la médisance.
Cette peinture, on la retrouve au Musée de Darmstadt. Elle porte
le millésime de 1568. C’est assurément une des pages les plus déli-
cates de son auteur 2. Dans un paysage aux riants coteaux, aux loin-
tains estompés, s’élève un gibet sur lequel est perchée une pie. Des
couples dansent à l’entour. Plus près de nous, s’isole un personnage
dans une pose ultra-réaliste. C’est tout simplement l’illustration
d’un vieux dicton flamand fait pour exprimer le suprême mépris.
Si le renseignement de Yan Mander est venu très à propos nous
donner le sens de cette composition, nous avouons notre incapacité à
dire ce que signifie l’estampe, peu commune d’ailleurs, qu’on a cou-
tume d’attribuer au burin de notre maître. Le lecteur pourra s’en
faire une idée par la reproduction jointe au présent article.
L’étrange vision vers laquelle les personnages du premier plan
nous convient à lever le regard a-t-elle une portée philosophique?
1. Ce tableau de la meilleure qualité mesure à peine 210 millimètres sur 173.
Voir l’eau-forte de M. Muller (Gazette, 38 pér., t. IV, p. 370).
2. Elle mesure 430 millimètres de haut sur 500 millimètres de large.