FRANÇOIS RUDE.
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il n’est pas en elle de laver la mémoire d’un maréchal de France d’une
trop authentique trahison. Voilà pourquoi la réhabilitation plénière
de Ney ne sera jamais prononcée. Les occurrences inouïes où il s’est
rencontré coupent court à nos indignations ; le drame de sa mort
lui vaut notre pitié; sa gloire éclatante fait oublier sa défaillance,
que, pourtant, elle n’efface pas. Tout ce qui a été écrit contre cette
vérité n’est que déclamation vaine. Ney glorieux a sa statue ; Ney
malheureux a eu la consolation d’une prière ; Ney coupable reste au
tombeau.
C’est fini des chants et des psalmodies mortuaires. On vient de
faire tomber le drap noir dont le monument se voilait : l’homme de
guerre apparaît, sur son piédestal, dans la magnifique furie de son
allure. Acclamations, fanfares, salves d’artillerie font fracas ensemble
et tout le peuple, jusqu’au Luxembourg, y fait écho. l)e nouvelles sen-
sations nous pénètrent en même temps que nos émotions sont chan-
gées. Où est le brouillard qui s’étendait, tout à l’heure, traversé d’un
rayon si pâle? — Comme nous baissions les yeux, le rayon l’a dissipé.
Maintenant, le ciel se dore, les arbres défeuillés s’étirent dans la lu-
mière joyeuse et dessinent leur ombre sur le sol clair. Devant la sta-
tue, le maréchal Leroy de Saint-Arnaud, ministre de la Guerre, ré-
clame le silence, un rouleau de papier à la main. En petites phrases
courtes et hachées d’ordre du jour, voici qu’il passe en revue les hauts
faits de Michel Ney. Va-t-il s’arrêter au moment terrible? Non. Il
tâche de pallier la faute, mais il l’avoue : « Emu des divisions de la
Patrie, dit-il, l’âme du maréchal Ney se troubla comme s’étaient trou-
blées, jadis, les âmes de Condé et de Turenne. Comme ces grands
hommes, il a eu des torts, plus qu’eux il les a expiés. Aussi la postérité
oubliera-t-elle sa faiblesse passagère et lui appliquera-t-elle lemot de
Bossuet sur Condé : Il parut alors avec ce je ne sais quoi d’achevé que les
malheurs ajoutent aux grandes vertus... »
Saint-Arnaud s’est tu ; Dupin s’avance et parle à son tour. L’atten-
tion est profonde. C’est sur le terrain juridique que se place, d’abord,
l’ancien avocat du maréchal. Non, le jugement qui frappe le Brave des
braves ne fut point juste. Pour rejeter les immunités qui le couvraient,
pour,avoir raison même de sa gloire, on ferma la bouche à ses défen-
seurs. L’illustre accusé protesta sur l’heure. Ses fils, une dernière
fois, relèvent sa protestation à la face du ciel, sur le lieu même de
son supplice, en pi’ésence de sa statue. Par degré, l’orateur s’échauffe :
« Vous avez entendu le chef de l’armée vous rappeler, au nom du
Gouvernement, les exploits du maréchal. Chacun de vous, en l’écou-
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il n’est pas en elle de laver la mémoire d’un maréchal de France d’une
trop authentique trahison. Voilà pourquoi la réhabilitation plénière
de Ney ne sera jamais prononcée. Les occurrences inouïes où il s’est
rencontré coupent court à nos indignations ; le drame de sa mort
lui vaut notre pitié; sa gloire éclatante fait oublier sa défaillance,
que, pourtant, elle n’efface pas. Tout ce qui a été écrit contre cette
vérité n’est que déclamation vaine. Ney glorieux a sa statue ; Ney
malheureux a eu la consolation d’une prière ; Ney coupable reste au
tombeau.
C’est fini des chants et des psalmodies mortuaires. On vient de
faire tomber le drap noir dont le monument se voilait : l’homme de
guerre apparaît, sur son piédestal, dans la magnifique furie de son
allure. Acclamations, fanfares, salves d’artillerie font fracas ensemble
et tout le peuple, jusqu’au Luxembourg, y fait écho. l)e nouvelles sen-
sations nous pénètrent en même temps que nos émotions sont chan-
gées. Où est le brouillard qui s’étendait, tout à l’heure, traversé d’un
rayon si pâle? — Comme nous baissions les yeux, le rayon l’a dissipé.
Maintenant, le ciel se dore, les arbres défeuillés s’étirent dans la lu-
mière joyeuse et dessinent leur ombre sur le sol clair. Devant la sta-
tue, le maréchal Leroy de Saint-Arnaud, ministre de la Guerre, ré-
clame le silence, un rouleau de papier à la main. En petites phrases
courtes et hachées d’ordre du jour, voici qu’il passe en revue les hauts
faits de Michel Ney. Va-t-il s’arrêter au moment terrible? Non. Il
tâche de pallier la faute, mais il l’avoue : « Emu des divisions de la
Patrie, dit-il, l’âme du maréchal Ney se troubla comme s’étaient trou-
blées, jadis, les âmes de Condé et de Turenne. Comme ces grands
hommes, il a eu des torts, plus qu’eux il les a expiés. Aussi la postérité
oubliera-t-elle sa faiblesse passagère et lui appliquera-t-elle lemot de
Bossuet sur Condé : Il parut alors avec ce je ne sais quoi d’achevé que les
malheurs ajoutent aux grandes vertus... »
Saint-Arnaud s’est tu ; Dupin s’avance et parle à son tour. L’atten-
tion est profonde. C’est sur le terrain juridique que se place, d’abord,
l’ancien avocat du maréchal. Non, le jugement qui frappe le Brave des
braves ne fut point juste. Pour rejeter les immunités qui le couvraient,
pour,avoir raison même de sa gloire, on ferma la bouche à ses défen-
seurs. L’illustre accusé protesta sur l’heure. Ses fils, une dernière
fois, relèvent sa protestation à la face du ciel, sur le lieu même de
son supplice, en pi’ésence de sa statue. Par degré, l’orateur s’échauffe :
« Vous avez entendu le chef de l’armée vous rappeler, au nom du
Gouvernement, les exploits du maréchal. Chacun de vous, en l’écou-