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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Un roulement de tambours, long et sinistre, annonce l’archevêque
de Paris, Mgr Sibour, en chape noire, en mitre blanche, suivi dJun
cortège de prêtres revêtus d’ornements de deuil. Les soldats, sur son
chemin, présentent les armes. Tout le monde est debout. Le chœur
sacré entonne le De profundis; le prélat psalmodie les saintes paroles
de l’Absoute. Au chant du verset : Requiem æternam dona ei, Domine,
on voit sangloter, soudain, le prince de la Moskowa et ses frères,
remués de tant de souvenirs. Et, cependant, ce n’est pas ici l’acte de
réparation décisif qu’ils voudraient pour la mémoire de leur père.
Ces prières ne sont que consolantes; les hommages ne s’adressent
qu’à l’héroïque soldat. On a rouvert sa tombe de condamné pour
en faire sortir sa gloire, mais on n’a pas anéanti, avant de la refermer,
l’affreuse condamnation. Elle est dans son cercueil; elle y sera
toujours.
Mettons-nous au-dessus des malentendus et des passions politiques,
des thèses de parti et des sentiments populaires. Quand les ministres
de Louis-Philippe ont argué de l’état de notre civilisation pour refuser
à la maréchale et à ses enfants la révision du procès du maréchal, ils
ont pris un biais afin de ne pas tout dire. Quand Lamartine, au nom
du Gouvernement provisoire, a décliné l’idée d’un décret cassant la
sentence de la Cour des Pairs, il a laissé voir une impossibilité de
réhabilitation formelle. Le procès de 1815, au point de vue du droit
contingent et de l’équité, demeure entaché d’inexpiables vices : nul
n’en disconvient. Par malheur, le fait matériel qui le remplit ne
saurait être justifié en principe. Certes, Ney s’est trouvé, au retour
de l’Empereur, en des circonstances poignantes. A-t-il agi par subit
entraînement ou dans le but raisonné d’épargner à son pays la guerre
civile? On ne veut même plus le rechercher. Seulement, chargé par
Louis XYII1 de combattre le revenant de l’île d’Elbe, ayant accepté
cette mission en termes non équivoques, il ne pouvait sans crime se
rendre au conquérant à la première sommation, sans même essayer
de lui faire Obstacle. Que l’on invoque à son bénéfice l’atténuation
des conjonctures, son manquement à sa parole n’en est pas moins
réel et c’est ce qu’en aucun temps, sous aucun régime, on ne légiti-
mera. La société doit réprouver les incorrections haineuses de la
poursuite ; elle doit déplorer encore très amèrement l’effroyaBle
rigueur, pleine de rancune, dont on a usé vis-à-vis d’un héros ; mais
documents conservés aux Archives de la Direction des Beaux-Arts, d’une lettre de
Mm° Rude à Mml! Moyne du mois de janvier 1883, et de divers témoignages
contemporains.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Un roulement de tambours, long et sinistre, annonce l’archevêque
de Paris, Mgr Sibour, en chape noire, en mitre blanche, suivi dJun
cortège de prêtres revêtus d’ornements de deuil. Les soldats, sur son
chemin, présentent les armes. Tout le monde est debout. Le chœur
sacré entonne le De profundis; le prélat psalmodie les saintes paroles
de l’Absoute. Au chant du verset : Requiem æternam dona ei, Domine,
on voit sangloter, soudain, le prince de la Moskowa et ses frères,
remués de tant de souvenirs. Et, cependant, ce n’est pas ici l’acte de
réparation décisif qu’ils voudraient pour la mémoire de leur père.
Ces prières ne sont que consolantes; les hommages ne s’adressent
qu’à l’héroïque soldat. On a rouvert sa tombe de condamné pour
en faire sortir sa gloire, mais on n’a pas anéanti, avant de la refermer,
l’affreuse condamnation. Elle est dans son cercueil; elle y sera
toujours.
Mettons-nous au-dessus des malentendus et des passions politiques,
des thèses de parti et des sentiments populaires. Quand les ministres
de Louis-Philippe ont argué de l’état de notre civilisation pour refuser
à la maréchale et à ses enfants la révision du procès du maréchal, ils
ont pris un biais afin de ne pas tout dire. Quand Lamartine, au nom
du Gouvernement provisoire, a décliné l’idée d’un décret cassant la
sentence de la Cour des Pairs, il a laissé voir une impossibilité de
réhabilitation formelle. Le procès de 1815, au point de vue du droit
contingent et de l’équité, demeure entaché d’inexpiables vices : nul
n’en disconvient. Par malheur, le fait matériel qui le remplit ne
saurait être justifié en principe. Certes, Ney s’est trouvé, au retour
de l’Empereur, en des circonstances poignantes. A-t-il agi par subit
entraînement ou dans le but raisonné d’épargner à son pays la guerre
civile? On ne veut même plus le rechercher. Seulement, chargé par
Louis XYII1 de combattre le revenant de l’île d’Elbe, ayant accepté
cette mission en termes non équivoques, il ne pouvait sans crime se
rendre au conquérant à la première sommation, sans même essayer
de lui faire Obstacle. Que l’on invoque à son bénéfice l’atténuation
des conjonctures, son manquement à sa parole n’en est pas moins
réel et c’est ce qu’en aucun temps, sous aucun régime, on ne légiti-
mera. La société doit réprouver les incorrections haineuses de la
poursuite ; elle doit déplorer encore très amèrement l’effroyaBle
rigueur, pleine de rancune, dont on a usé vis-à-vis d’un héros ; mais
documents conservés aux Archives de la Direction des Beaux-Arts, d’une lettre de
Mm° Rude à Mml! Moyne du mois de janvier 1883, et de divers témoignages
contemporains.