258
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
immortels de la littérature, de la peinture, de la musique, du drame. Quelques-
uns de nos littérateurs, de ceux dont la gloire a été moindre de leur vivant qu 'après
leur mort, n’ont trouvé pour reproduire leurs traits qu’amis enthousiastes ou
peintres de second ordre. A cette catégorie appartiennent malheureusement les
portraits de Gray, de Chatterton, de Shelley, de Iveats. D’autres, plus heureux,
ont eu la chance de rencontrer, pour rendre plus assurée encore leur immortalité,
des pinceaux dignes d’eux. Ainsi Reynolds s’est rarement montré aussi noblement
réaliste, aussi heureux dans l’évocation d’une vraie personnalité, que dans les
célèbres portraits de Sterne et de Gibbon. L’auteur de Tristram Shandy revit
devant nos yeux avec son étrange type, où, sous la laideur maladive de l’enveloppe,
se devinent Yhumour et la sentimentalité qui lui étaient propres. Quant à l’illustre
historiographe de la Décadence des Bomains, le peintre a osé reproduire ses petits
traits, son double menton, cet ensemble presque comique qui rend très vraisem-
blable la fameuse histoire de la « mauvaise plaisanterie », que je n’entreprendrai
pas de raconter aux lecteurs de la Gazette, et tout cela sans rendre ridicule cette
étrange physionomie. Un des chefs-d’œuvre de l’exposition entière est le portrait
de sir Walter Scott, par son compatriote Raeburn. D’un modelé sculptural, trop
sculptural peut-être, cette belle tête est cependant magistralemenfrendue; et, sans
altération de traits bien connus par une fausse idéalité, le portraitiste écossais asu
rendre ce qu’il y a de noble et de fier dans une physionomie qui, interprétée avec
une vérité moins pénétrante, était souvent apparue bourgeoise et commune. Le
Byron romantique et fatal qu’on nous a habitué à voir est celui du portrait de
Westall (très connu par la gravure), envoyé à l’exposition par la baronne Burdett-
Coutts ; peut-être une miniature blafarde et fanée, par un nommé Gioffoi {sic),
montrant un Byron chargé d’embonpoint malgré sa jeunesse, se rapproche-t-elle
davantage de la vérité vraie.
Parmi les portraits d’artistes, dont la plupart sont naturellement peints par
eux-mêmes, je signalerai un merveilleux Gainsborough, montrant avec une rare
finesse et sans emphase aucune la physionomie nerveuse et sensitive de ce peintre.
L’exemplaire du portrait rembranesque de Reynolds par lui-même, apparaît affreu-
sement barbouillé et de qualité très inférieure, si on le compare aux toiles sem-
blables que possèdent l’Academy et la National Gallery, entre autres collections.
La toile dans laquelle Romney s’est représenté avec ce qui est plutôt la vision que
le portrait de son vieux père, a quelque chose de bien singulier et d’inquiétant.
Les étoiles dramatiques du xvme siècle et des commencements du siècle actuel
jouent un grand rôle à la New Gallery, et ne se trouvent guère moins bien
partagées que de leur vivant. Ne sont-ils pas en vérité un peu ingrats, ces comédiens,
qui ne font que se lamenter sur la fragilité et le [ eu de durée de leur gloire? Après
avoir joui de tous les attraits, de tous les enivrements d’une carrière brillante et
relativement peu laborieuse, ne prennent-ils pas ici place dans l’Olympe, à côté
des plus puissants génies créateurs, et ne les éclipsent-ils pas encore une fois aux
yeux de la multitude?
La place d’honneur dans cet ensemble intéressant ne pouvait être plus digne-
ment occupée que par le grand portrait en pied de Mr% Suidons en Melpomène, qui
est une des toiles les plus célèbres de Reynolds, et une des gloires de la galerie du
duc de Westminster. L’illustre et impeccable tragédienne apparaît dans un autre
rand portrait en pied provenant de Warwick Castle et faussement attribué à
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
immortels de la littérature, de la peinture, de la musique, du drame. Quelques-
uns de nos littérateurs, de ceux dont la gloire a été moindre de leur vivant qu 'après
leur mort, n’ont trouvé pour reproduire leurs traits qu’amis enthousiastes ou
peintres de second ordre. A cette catégorie appartiennent malheureusement les
portraits de Gray, de Chatterton, de Shelley, de Iveats. D’autres, plus heureux,
ont eu la chance de rencontrer, pour rendre plus assurée encore leur immortalité,
des pinceaux dignes d’eux. Ainsi Reynolds s’est rarement montré aussi noblement
réaliste, aussi heureux dans l’évocation d’une vraie personnalité, que dans les
célèbres portraits de Sterne et de Gibbon. L’auteur de Tristram Shandy revit
devant nos yeux avec son étrange type, où, sous la laideur maladive de l’enveloppe,
se devinent Yhumour et la sentimentalité qui lui étaient propres. Quant à l’illustre
historiographe de la Décadence des Bomains, le peintre a osé reproduire ses petits
traits, son double menton, cet ensemble presque comique qui rend très vraisem-
blable la fameuse histoire de la « mauvaise plaisanterie », que je n’entreprendrai
pas de raconter aux lecteurs de la Gazette, et tout cela sans rendre ridicule cette
étrange physionomie. Un des chefs-d’œuvre de l’exposition entière est le portrait
de sir Walter Scott, par son compatriote Raeburn. D’un modelé sculptural, trop
sculptural peut-être, cette belle tête est cependant magistralemenfrendue; et, sans
altération de traits bien connus par une fausse idéalité, le portraitiste écossais asu
rendre ce qu’il y a de noble et de fier dans une physionomie qui, interprétée avec
une vérité moins pénétrante, était souvent apparue bourgeoise et commune. Le
Byron romantique et fatal qu’on nous a habitué à voir est celui du portrait de
Westall (très connu par la gravure), envoyé à l’exposition par la baronne Burdett-
Coutts ; peut-être une miniature blafarde et fanée, par un nommé Gioffoi {sic),
montrant un Byron chargé d’embonpoint malgré sa jeunesse, se rapproche-t-elle
davantage de la vérité vraie.
Parmi les portraits d’artistes, dont la plupart sont naturellement peints par
eux-mêmes, je signalerai un merveilleux Gainsborough, montrant avec une rare
finesse et sans emphase aucune la physionomie nerveuse et sensitive de ce peintre.
L’exemplaire du portrait rembranesque de Reynolds par lui-même, apparaît affreu-
sement barbouillé et de qualité très inférieure, si on le compare aux toiles sem-
blables que possèdent l’Academy et la National Gallery, entre autres collections.
La toile dans laquelle Romney s’est représenté avec ce qui est plutôt la vision que
le portrait de son vieux père, a quelque chose de bien singulier et d’inquiétant.
Les étoiles dramatiques du xvme siècle et des commencements du siècle actuel
jouent un grand rôle à la New Gallery, et ne se trouvent guère moins bien
partagées que de leur vivant. Ne sont-ils pas en vérité un peu ingrats, ces comédiens,
qui ne font que se lamenter sur la fragilité et le [ eu de durée de leur gloire? Après
avoir joui de tous les attraits, de tous les enivrements d’une carrière brillante et
relativement peu laborieuse, ne prennent-ils pas ici place dans l’Olympe, à côté
des plus puissants génies créateurs, et ne les éclipsent-ils pas encore une fois aux
yeux de la multitude?
La place d’honneur dans cet ensemble intéressant ne pouvait être plus digne-
ment occupée que par le grand portrait en pied de Mr% Suidons en Melpomène, qui
est une des toiles les plus célèbres de Reynolds, et une des gloires de la galerie du
duc de Westminster. L’illustre et impeccable tragédienne apparaît dans un autre
rand portrait en pied provenant de Warwick Castle et faussement attribué à