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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
une Jeanne d’Arc, de M. Paul Lagarde, où il y en a beaucoup, de sen-
timent. Et pourtant, cela ire m’a pas suffi.
— Le paysage est bien poétique, bien mystérieux...
— Oui, mais pourquoi Jeanne rappelle-t-elle d’une façon évidente
celle de Bastien-Lepage?... c’est presque la même attitude, c’est en
tout cas la même expression halluciuée, folle, hystérique... Pourquoi
donc les peintres s’exposent-ils de gaieté de cœur à de telles compa-
raisons? Pourquoi s’obstinent-ils à prendre et à reprendre des thèmes
épuisés? M. Kowalsky, du moins, a trouvé son motif, et sa Vierge
enfant est bien à lui, comme il y a une dizaine d’années la Jeanne
d’Arc hallucinée fut la trouvaille de ce pauvre Bastien-Lepage. Main-
tenant, si l’on veut revenir à Jeanne d’Arc, il faudrait la concevoir
autrement.
— D’autant plus que le règne de l’hystérie est un peu passé,
heureusement!... Pour moi, je rêverais de revoir une Jeanne d’Arc
héroïque, non pas la paysanne de Domrémy qu'on nous a montrée je ne
sais combien de fois depuis Bastien-Lepage, mais la Jeanne du siège
d’Orléans, ou la Jeanne du bûcher de Rouen : car, après tout, c’est
peut-être bien celle-là, la martyre, qui est la vraie, qui touche et fait
vibrer l’imagination populaire.
... Jehanne, la bonne Lorraine
Qu’Anglais brûlèrent à Rouen...
Pendant combien de temps n’a-t-on su d’elle que ces deux vers de
Villon? N’est-ce pas ce qu’il en faut retenir avant tout? Alors, pour-
quoi tant s’occuper de ses visions et de ses voix?... Au fond, c’est du
mysticisme de pacotille, recueilli sur les bancs de la Salpêtrière,
aux leçons de M. Charcot...
— Et il devient tout à fait coupable, ce mysticisme-là, quand il
inspire de la mauvaise peinture, comme nous en avons vu quelques
exemples en passant : car les visions, les saintes, les apparitions
occupent ici beaucoup de place; et certains de nos artistes paraissent
croire qu’il suffit de dessiner négligemment et de peindre à la diable
pour donner à leurs œuvres une apparence surnaturelle. Depuis
M. Puvis de Chavannes, tout le monde veut être naïf, et se figure
qu’avec beaucoup de gris, on y parvient toujours.
— C’est vrai. Et la peinture religieuse n’a pas le monopole de ces
grisailles, de ces à peu près de contours et de couleurs, de ces effets
décoratifs qui souvent confinent à la niaiserie. On les retrouve dans
ce que j’appellerai la « peinture civique », dans ces vastes panneaux
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
une Jeanne d’Arc, de M. Paul Lagarde, où il y en a beaucoup, de sen-
timent. Et pourtant, cela ire m’a pas suffi.
— Le paysage est bien poétique, bien mystérieux...
— Oui, mais pourquoi Jeanne rappelle-t-elle d’une façon évidente
celle de Bastien-Lepage?... c’est presque la même attitude, c’est en
tout cas la même expression halluciuée, folle, hystérique... Pourquoi
donc les peintres s’exposent-ils de gaieté de cœur à de telles compa-
raisons? Pourquoi s’obstinent-ils à prendre et à reprendre des thèmes
épuisés? M. Kowalsky, du moins, a trouvé son motif, et sa Vierge
enfant est bien à lui, comme il y a une dizaine d’années la Jeanne
d’Arc hallucinée fut la trouvaille de ce pauvre Bastien-Lepage. Main-
tenant, si l’on veut revenir à Jeanne d’Arc, il faudrait la concevoir
autrement.
— D’autant plus que le règne de l’hystérie est un peu passé,
heureusement!... Pour moi, je rêverais de revoir une Jeanne d’Arc
héroïque, non pas la paysanne de Domrémy qu'on nous a montrée je ne
sais combien de fois depuis Bastien-Lepage, mais la Jeanne du siège
d’Orléans, ou la Jeanne du bûcher de Rouen : car, après tout, c’est
peut-être bien celle-là, la martyre, qui est la vraie, qui touche et fait
vibrer l’imagination populaire.
... Jehanne, la bonne Lorraine
Qu’Anglais brûlèrent à Rouen...
Pendant combien de temps n’a-t-on su d’elle que ces deux vers de
Villon? N’est-ce pas ce qu’il en faut retenir avant tout? Alors, pour-
quoi tant s’occuper de ses visions et de ses voix?... Au fond, c’est du
mysticisme de pacotille, recueilli sur les bancs de la Salpêtrière,
aux leçons de M. Charcot...
— Et il devient tout à fait coupable, ce mysticisme-là, quand il
inspire de la mauvaise peinture, comme nous en avons vu quelques
exemples en passant : car les visions, les saintes, les apparitions
occupent ici beaucoup de place; et certains de nos artistes paraissent
croire qu’il suffit de dessiner négligemment et de peindre à la diable
pour donner à leurs œuvres une apparence surnaturelle. Depuis
M. Puvis de Chavannes, tout le monde veut être naïf, et se figure
qu’avec beaucoup de gris, on y parvient toujours.
— C’est vrai. Et la peinture religieuse n’a pas le monopole de ces
grisailles, de ces à peu près de contours et de couleurs, de ces effets
décoratifs qui souvent confinent à la niaiserie. On les retrouve dans
ce que j’appellerai la « peinture civique », dans ces vastes panneaux