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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
des éléments préparés de longue main, appartient à cette époque et
qu’elle porte l’empreinte d’un merveilleux génie. Pendant qu’on
l’exécute, on s’aperçoit que la nef sera courte pour les cérémonies des
sacres. Donc, on se décide à bâtir trois travées nouvelles, partant
à déplacer la façade. C’est sous le règne de Charles V que fut com-
mencé ce grand travail; il ne reçut son achèvement que sous
Charles VII, au milieu des troubles et des angoisses de la guerre.
Aussi n’est-il pas conduit fort scrupuleusement, surtout dans les
parties hautes. Il faut toute la magnificence de l’invention et le
resplendissement de la sculpture pour que l’effet n’en soit pas altéré.
Le trait distinctif de l’intérieur de Reims me paraît être la pléni-
tude du calme, l’ampleur du repos dans la force. L’élancement réel
des voûtes y cède à l’harmonie de la profondeur, rythmée avec une
consciente et tranquille énergie. Nous n’éprouvons pas le besoin de
nous souvenir que les nervures de la grande nef se croisent à trente-
huit mètres du sol : elles enjambent normalement l’espace, elles
descendent franchement sur leurs solides points d’appui qui ne
s’étirent pas vers elles. La sensation du vaste, de l’infiniment
prolongé s’empare de nous tout d’abord. Si large, là-bas, s'évase
l’abside que le transsept en est submergé : la nef y court comme
un fleuve à son estuaire. Il semble que l’architecte ait eu pour
programme de nous conduire impérieusement, mais sans violence, le
front haut, le regard droit, vers cet élargissement du Saint des
Saints. Notre vue plonge, au loin, entre deux rangées de piliers
robustes, cantonnés de quatre colonnes, enguirlandés, à leur sommet,
de feuillages touffus, épousant leurs formes un peu lourdes. De cette
implacable suite de chapiteaux, s’ajustant sans fin à ces piles d’une
carrure énorme dans la perspective, naît pour nous une impression
d’horizontalité dominatrice. Pour confirmer encore le parti pris
horizontal, de fortes moulures continues, particulières au style
champenois, se profilent au-dessus des archivoltes du collatéral et
au-dessous delà clerestory. Rien ne vous inquiète et vous arrête : tout
vous pousse en avant jusqu’au déambulatoire. Techniquement, on
peut reprocher aux piliers trop d’épaisseur, au triforium un carac-
tère écrasé, mais un charme de paix vous pénètre sous ces voûtes
déjà toutes légères, en cet obstiné prolongement du vaisseau.
Il n’en est pas ainsi à l’extérieur. La tranquillité y fait place à
une sorte d’exaltation passionnée. Toutes les formes s’amincissent et
s’envolent. Une balustrade ajourée, avivée d’aiguilles de pierre,
posée à la base du comble, met un diadème d’éternelle fête au front
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des éléments préparés de longue main, appartient à cette époque et
qu’elle porte l’empreinte d’un merveilleux génie. Pendant qu’on
l’exécute, on s’aperçoit que la nef sera courte pour les cérémonies des
sacres. Donc, on se décide à bâtir trois travées nouvelles, partant
à déplacer la façade. C’est sous le règne de Charles V que fut com-
mencé ce grand travail; il ne reçut son achèvement que sous
Charles VII, au milieu des troubles et des angoisses de la guerre.
Aussi n’est-il pas conduit fort scrupuleusement, surtout dans les
parties hautes. Il faut toute la magnificence de l’invention et le
resplendissement de la sculpture pour que l’effet n’en soit pas altéré.
Le trait distinctif de l’intérieur de Reims me paraît être la pléni-
tude du calme, l’ampleur du repos dans la force. L’élancement réel
des voûtes y cède à l’harmonie de la profondeur, rythmée avec une
consciente et tranquille énergie. Nous n’éprouvons pas le besoin de
nous souvenir que les nervures de la grande nef se croisent à trente-
huit mètres du sol : elles enjambent normalement l’espace, elles
descendent franchement sur leurs solides points d’appui qui ne
s’étirent pas vers elles. La sensation du vaste, de l’infiniment
prolongé s’empare de nous tout d’abord. Si large, là-bas, s'évase
l’abside que le transsept en est submergé : la nef y court comme
un fleuve à son estuaire. Il semble que l’architecte ait eu pour
programme de nous conduire impérieusement, mais sans violence, le
front haut, le regard droit, vers cet élargissement du Saint des
Saints. Notre vue plonge, au loin, entre deux rangées de piliers
robustes, cantonnés de quatre colonnes, enguirlandés, à leur sommet,
de feuillages touffus, épousant leurs formes un peu lourdes. De cette
implacable suite de chapiteaux, s’ajustant sans fin à ces piles d’une
carrure énorme dans la perspective, naît pour nous une impression
d’horizontalité dominatrice. Pour confirmer encore le parti pris
horizontal, de fortes moulures continues, particulières au style
champenois, se profilent au-dessus des archivoltes du collatéral et
au-dessous delà clerestory. Rien ne vous inquiète et vous arrête : tout
vous pousse en avant jusqu’au déambulatoire. Techniquement, on
peut reprocher aux piliers trop d’épaisseur, au triforium un carac-
tère écrasé, mais un charme de paix vous pénètre sous ces voûtes
déjà toutes légères, en cet obstiné prolongement du vaisseau.
Il n’en est pas ainsi à l’extérieur. La tranquillité y fait place à
une sorte d’exaltation passionnée. Toutes les formes s’amincissent et
s’envolent. Une balustrade ajourée, avivée d’aiguilles de pierre,
posée à la base du comble, met un diadème d’éternelle fête au front