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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
de l’Hôtel-de-Ville. Bien que le buste en question soit l’hommage d’un particulier
à la ville natale du jeune peintre, son inauguration a été le prétexte d’une céré-
monie, à laquelle se sont associés les artistes de la plupart des villes du pays, et
des discours nombreux ont proclamé les mérites de ce fidèle interprète de la
nature, enlevé à la fleur de l'àge, après avoir enrichi l’École flamande d’un
ensemble d’œuvres où les choses de la vie réelle se traduisaient avec un sentiment
prodigieux du clair-obscur.
Unanimes dans leur admiration pour le génial artiste, les orateurs ont différé
dans l’expression de ce sentiment. Les anciens amis de Braekeleer ont été quel-
que peu surpris d’apprendre que le pauvre garçon avait dû mourir en quelque sorte de
misère. On avait même proclamé dans un journal bruxellois qu’il n’avait pas de quoi
s’acheter des couleurs. Ayant eu l’avantage de connaître de fort près Braekeleer,
je puis affirmer que tout cela est fort inexact.
Fils d’un peintre qui eut son heure de vogue et trouva des admirateurs, non
seulement à Anvers, mais partout, Henri de Braekeleer, venu au monde alors que
déjà son père était au déclin de sa réputation, subit surtout l’influence de son
oncle Leys. Comme tous les hommes ayant le travail difficile, c’était un concentré.
Bien que d’une vigoureuse charpente il ôtait rêveur, et s'abstrayait longuement
dans la contemplation d’un détail. Un critique anversois, M. Eugène Landoy, du
Précurseur, a écrit sur le jeune peintre un article aussi distingué par la forme que
précis par le fond. « Comme de Braekeleer avait le travail difficile, ditM. Landoy,
et que toute œuvre nouvelle, à cause des soins extraordinaires qu’il y apportait,
il était préoccupé surtout de donner la sensation, non seulement de la forme des
choses, ce qui n’est que du dessin colorié, mais de la substance, de la matière dont
elles sont faites, représentait pour lui un effort douloureux, il différait volontiers le
moment de se mettre à la besogne. Le chevalet était pour lui, à la lettre, un
instrument de torture. »
Quoi qu’il en soit, le jeune homme, remarqué dès ses débuts, en 1858, était
mentionné déjà, avec les plus grands éloges, par Paul Mantz, en 1861. Voici ce
que disait le maître critique, dans la Gazette même 1 : « M. Henri de Braekeleer est
encore un copiste de la nature. Sa Blanchisserie est, à vrai dire, un tableau d’en-
fant. Dans cette naïve peinture, qui est dénuée de toute philosophie, on voit
d’honnêtes bourgeois faisant sécher, dans un jardin, des linges et des pièces de
toile. Il ne nous est pas permis de pénétrer dans l’intérieur des familles, mais il
nous paraît évident que le jour où M. Ferdinand de Braekeleer a vu son fils se
précipiter dans cette voie de réalisme à outrance, il a dù se voiler la face et invo-
quer le ciel. Consolons ce père attristé; disons-lui que, malgré la vulgarité du
motif, le tableau exposé par son fils est un début des plus intéressants : les moindres
détails y sont tellement à leur place, les figures sont si vraies d’attitude et de cou-
leur, la lumière est si juste qu’on ne peut s’empêcher de croire que le jeune
artiste qui commence ainsi sera bientôt un peintre habile. »
Henri ne fut jamais ce qu’on peut appeler un peintre habile, mais il garda ses
précieuses qualités d’observation et l'exposition de son œuvre, organisée successi-
vement au Cercle artistique d’Anvers et au Cercle de Bruxelles, aura été l’événe-
ment artistique de l’hiver. Composée d’une cinquantaine de peintures, cette exhibi-
1. Année I86Î, tome II, page 283.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
de l’Hôtel-de-Ville. Bien que le buste en question soit l’hommage d’un particulier
à la ville natale du jeune peintre, son inauguration a été le prétexte d’une céré-
monie, à laquelle se sont associés les artistes de la plupart des villes du pays, et
des discours nombreux ont proclamé les mérites de ce fidèle interprète de la
nature, enlevé à la fleur de l'àge, après avoir enrichi l’École flamande d’un
ensemble d’œuvres où les choses de la vie réelle se traduisaient avec un sentiment
prodigieux du clair-obscur.
Unanimes dans leur admiration pour le génial artiste, les orateurs ont différé
dans l’expression de ce sentiment. Les anciens amis de Braekeleer ont été quel-
que peu surpris d’apprendre que le pauvre garçon avait dû mourir en quelque sorte de
misère. On avait même proclamé dans un journal bruxellois qu’il n’avait pas de quoi
s’acheter des couleurs. Ayant eu l’avantage de connaître de fort près Braekeleer,
je puis affirmer que tout cela est fort inexact.
Fils d’un peintre qui eut son heure de vogue et trouva des admirateurs, non
seulement à Anvers, mais partout, Henri de Braekeleer, venu au monde alors que
déjà son père était au déclin de sa réputation, subit surtout l’influence de son
oncle Leys. Comme tous les hommes ayant le travail difficile, c’était un concentré.
Bien que d’une vigoureuse charpente il ôtait rêveur, et s'abstrayait longuement
dans la contemplation d’un détail. Un critique anversois, M. Eugène Landoy, du
Précurseur, a écrit sur le jeune peintre un article aussi distingué par la forme que
précis par le fond. « Comme de Braekeleer avait le travail difficile, ditM. Landoy,
et que toute œuvre nouvelle, à cause des soins extraordinaires qu’il y apportait,
il était préoccupé surtout de donner la sensation, non seulement de la forme des
choses, ce qui n’est que du dessin colorié, mais de la substance, de la matière dont
elles sont faites, représentait pour lui un effort douloureux, il différait volontiers le
moment de se mettre à la besogne. Le chevalet était pour lui, à la lettre, un
instrument de torture. »
Quoi qu’il en soit, le jeune homme, remarqué dès ses débuts, en 1858, était
mentionné déjà, avec les plus grands éloges, par Paul Mantz, en 1861. Voici ce
que disait le maître critique, dans la Gazette même 1 : « M. Henri de Braekeleer est
encore un copiste de la nature. Sa Blanchisserie est, à vrai dire, un tableau d’en-
fant. Dans cette naïve peinture, qui est dénuée de toute philosophie, on voit
d’honnêtes bourgeois faisant sécher, dans un jardin, des linges et des pièces de
toile. Il ne nous est pas permis de pénétrer dans l’intérieur des familles, mais il
nous paraît évident que le jour où M. Ferdinand de Braekeleer a vu son fils se
précipiter dans cette voie de réalisme à outrance, il a dù se voiler la face et invo-
quer le ciel. Consolons ce père attristé; disons-lui que, malgré la vulgarité du
motif, le tableau exposé par son fils est un début des plus intéressants : les moindres
détails y sont tellement à leur place, les figures sont si vraies d’attitude et de cou-
leur, la lumière est si juste qu’on ne peut s’empêcher de croire que le jeune
artiste qui commence ainsi sera bientôt un peintre habile. »
Henri ne fut jamais ce qu’on peut appeler un peintre habile, mais il garda ses
précieuses qualités d’observation et l'exposition de son œuvre, organisée successi-
vement au Cercle artistique d’Anvers et au Cercle de Bruxelles, aura été l’événe-
ment artistique de l’hiver. Composée d’une cinquantaine de peintures, cette exhibi-
1. Année I86Î, tome II, page 283.