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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
mosaïque de Sidi Bou-Médine ou deTlemcen. Les belles aquarelles de
Duthoit, qui appartiennent aux Monuments historiques, en donnent
une vision qu’il eût été bon d’appuyer par des spécimens. Mais la fata-
lité semble avoir voulu peser sur cette forme d’art. Les portes de
Tlemcen, qui en étaient le plus bel exemple, ont disparu les unes
après les autres. Le génie militaire en a démoli six ou huit, les
contributions aux expositions ont amené la destruction de deux
autres portes, et finalement une municipalité, comme il s’en trouve
beaucoup en Algérie, a, paraît-il, autorisé des travaux qui ont
entraîné la chute de la dernière qui était adossée à un mur dans le
Musée. Le décor polygonal polychrome qui les ornait était d’une
pureté et d’un éclat dont on peut se rendre compte au Musée d’Alger
et au Musée de Sèvres, où il existe deux morceaux d’une superficie d’un
mètre carré environ. Quelques fragments de cet art sont placés dans
le vestiaire du Musée de Cluny. Voilà tout ce qui subsiste des douze
grandes portes qui entouraient Tlemcen lorsque nous primes posses-
sion de cette ville. Il ne nous reste plus que celle de Bou-Médine.
Les céramistes musulmans ont donc employé deux formules qui
les distinguent : les reflets métalliques et la mosaïque. Elles leur
appartiennent en propre. 11 n’en est donc que plus intéressant de voir
si leurs productions, dans un genre — celui de la faïence décorée
en couleur — où les artistes de la Renaissance et leurs successeurs
excellèrent, ont la même valeur technique et le même sentiment
décoratif que les œuvres de nos pays.
La polychromie a succédé aux reflets métalliques, et les faïences de
Damas, plus tard celles de Rhodes, ont obtenu la préférence sur le
marché européen. Il s’agit ici de questions d’art, mais n’oublions pas
que ce qui est devenu question d’art pour nous était affaire de pro-
duction vénale pour les contemporains de ces créations. C’est le temps
qui, d’un objet usager, d’un meuble ou d’un ustensile, a fait une
œuvre d’art. Il faut donc s’inquiéter de la valeur et de Timportance
qu’avait atteintes la fabrication hispano-moresque avant qu’elle
perdit de sa qualité, ce qui devait être la conséquence fatale, inéluc-
table, des défaites successives des Maures, de leur bannissement et
des vexations qu’eurent à subir ceux qui n’avaient pu quitter
1 Espagne. La dernière épreuve, l’expulsion définitive, est de 1609;
mesure funeste dont l'Espagne paye encore les désastreuses consé-
quences comparables à celles qu’eût pour la France la révocation
de l’Edit de Nantes. C’était la fin de la céramique hispano-moresque,
qui agonisait depuis l’ère des persécutions.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
mosaïque de Sidi Bou-Médine ou deTlemcen. Les belles aquarelles de
Duthoit, qui appartiennent aux Monuments historiques, en donnent
une vision qu’il eût été bon d’appuyer par des spécimens. Mais la fata-
lité semble avoir voulu peser sur cette forme d’art. Les portes de
Tlemcen, qui en étaient le plus bel exemple, ont disparu les unes
après les autres. Le génie militaire en a démoli six ou huit, les
contributions aux expositions ont amené la destruction de deux
autres portes, et finalement une municipalité, comme il s’en trouve
beaucoup en Algérie, a, paraît-il, autorisé des travaux qui ont
entraîné la chute de la dernière qui était adossée à un mur dans le
Musée. Le décor polygonal polychrome qui les ornait était d’une
pureté et d’un éclat dont on peut se rendre compte au Musée d’Alger
et au Musée de Sèvres, où il existe deux morceaux d’une superficie d’un
mètre carré environ. Quelques fragments de cet art sont placés dans
le vestiaire du Musée de Cluny. Voilà tout ce qui subsiste des douze
grandes portes qui entouraient Tlemcen lorsque nous primes posses-
sion de cette ville. Il ne nous reste plus que celle de Bou-Médine.
Les céramistes musulmans ont donc employé deux formules qui
les distinguent : les reflets métalliques et la mosaïque. Elles leur
appartiennent en propre. 11 n’en est donc que plus intéressant de voir
si leurs productions, dans un genre — celui de la faïence décorée
en couleur — où les artistes de la Renaissance et leurs successeurs
excellèrent, ont la même valeur technique et le même sentiment
décoratif que les œuvres de nos pays.
La polychromie a succédé aux reflets métalliques, et les faïences de
Damas, plus tard celles de Rhodes, ont obtenu la préférence sur le
marché européen. Il s’agit ici de questions d’art, mais n’oublions pas
que ce qui est devenu question d’art pour nous était affaire de pro-
duction vénale pour les contemporains de ces créations. C’est le temps
qui, d’un objet usager, d’un meuble ou d’un ustensile, a fait une
œuvre d’art. Il faut donc s’inquiéter de la valeur et de Timportance
qu’avait atteintes la fabrication hispano-moresque avant qu’elle
perdit de sa qualité, ce qui devait être la conséquence fatale, inéluc-
table, des défaites successives des Maures, de leur bannissement et
des vexations qu’eurent à subir ceux qui n’avaient pu quitter
1 Espagne. La dernière épreuve, l’expulsion définitive, est de 1609;
mesure funeste dont l'Espagne paye encore les désastreuses consé-
quences comparables à celles qu’eût pour la France la révocation
de l’Edit de Nantes. C’était la fin de la céramique hispano-moresque,
qui agonisait depuis l’ère des persécutions.