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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
douteuses, des morceaux charmants et rares, un ange en adoration, terre cuite
de Benedetto da Majano, des peintures attribuées à Botticelli, à Pesellino, à Bal-
dovinetti, un porlrait de Lionel d’Este par Pisanclio, d’autres portraits de Cavaz-
zola, de Moroni, de Basaiti, ce dernier, daté de -1520, d’allure absolument superbe.
Puis viennent deux longues études d’architecture, l’une de M. Ricci sur l’ingénieur
Giovanni da Siena, l’autre de M. Beltrami sur la chapelle de Saint-Pierre Martyr
annexée à l’église de Saint-Euslorge de Milan. Le Musée de South Kensington s’est
enrichi tout récemment d’un modèle minutieusement exécuté de cette exquise
chapelle, dont l’attribution à Michelozzo demeure encore incertaine. Les fresques,
malheureusement bien retouchées, qui en décorent la voûte, sont l’oeuvre la plus
considérable de Vincenzo Foppa, comme le démontre de façon définitive un texte
du Traité dîArchitecture de Filarete (livre XXV). Foppa nous est peu connu: son
Saint Sébastien du musée de Brera révèle peut-être une influence mantégnesque;
dans l'Histoire de saint Pierre Martyr domine, à n’en pas douter, l'inspiration de
Masolino et de Fra Angelico.
La livraison de septembre-octobre 1892, s’ouvre par un très curieux travail de
M. G. Boni sur le lion de Saint-Marc de Venise. M. Boni s’efforce de démontrer
que le lion ailé, d’aspect si pittoresque, qui, du haut de sa colonne, semble pousser
vers l’Orient lointain un rugissement de défi, n’est pas, comme certains le croient,
une œuvre antique, mais bien une création originale du xme siècle. La thèse vaut
qu’on s’y arrête et qu’on la discute au besoin. M. Boni, qui a surveillé et dirigé,
en 1891, l’heureuse restauration du lion de Saint-Marc, l’ayant étudié de fort
près, nous en donne une description minutieuse, dont le croquis, en tête de cet
article, facilitera l’intelligence. Le bronze, de dimensions considérables (la tête se
dresse à plus de deux mètres de haut), se compose d’un grand nombre de pièces
rajustées, et complétées de parties modernes. Les restaurations modernes sont
l’œuvre du sculpteur Ferrari, auquel le lion fut confié en 1815, lorsqu’il revint en
fragments de Paris, où on l’avait installé sur la place des Invalides. La patte anté-
rieure droite et moitié de la gauche, ainsi que les pieds de derrière, sont modernes ;
les griffes, de style académique. Le livre de plomb, ouvert sous les pieds du lion,
est également moderne; les ailes, la croupe et une partie de la queue sont l’œuvre
du restaurateur. Mais la tête et la crinière, le poitrail, le ventre et une bonne
partie des jambes appartiennent au bronze primitif. L’intérieur est entièrement
creux, et s’ouvre sous le ventre par une porte à serrure; avant le récent nettoyage,
M. Boni put y voir un épais dépôt de rouille provenant des attaches de fer (au
nombre de 140 environ) qui maintenaient cette pesante carapace de bronze.
L’œuvre est d’une facture étonnamment précise et vivante; les saillies des
muscles et des veines, les plis de la peau sont indiqués avec simplicité et puis-
sance; la crinière tombe en rudes ondulations; les moustaches se relèvent ironi-
quement; les dents sont minutieusement travaillées; les sourcils hérissés et
gonflés abritent des yeux de pâte de verre, dont la blancheur à demi transpa-
rente produit une étrange impression. Les ailes, qui datent de 1815, sont mas-
sives et lourdes, mal rattachées au corps, nullement en harmonie avec l’allure
audacieuse de la bête symbolique. Ruskin avait supposé (St Mark’s rest, I, 22)
que les ailes antiques se développaient plus largement, et surtout que les pennes
en étaient séparées, de façon que la lumière les traversât; tels sont, à Pérouse,
un lion et un griffon du xivc siècle. L’hypothèse est confirmée parmi bois de Brey-
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douteuses, des morceaux charmants et rares, un ange en adoration, terre cuite
de Benedetto da Majano, des peintures attribuées à Botticelli, à Pesellino, à Bal-
dovinetti, un porlrait de Lionel d’Este par Pisanclio, d’autres portraits de Cavaz-
zola, de Moroni, de Basaiti, ce dernier, daté de -1520, d’allure absolument superbe.
Puis viennent deux longues études d’architecture, l’une de M. Ricci sur l’ingénieur
Giovanni da Siena, l’autre de M. Beltrami sur la chapelle de Saint-Pierre Martyr
annexée à l’église de Saint-Euslorge de Milan. Le Musée de South Kensington s’est
enrichi tout récemment d’un modèle minutieusement exécuté de cette exquise
chapelle, dont l’attribution à Michelozzo demeure encore incertaine. Les fresques,
malheureusement bien retouchées, qui en décorent la voûte, sont l’oeuvre la plus
considérable de Vincenzo Foppa, comme le démontre de façon définitive un texte
du Traité dîArchitecture de Filarete (livre XXV). Foppa nous est peu connu: son
Saint Sébastien du musée de Brera révèle peut-être une influence mantégnesque;
dans l'Histoire de saint Pierre Martyr domine, à n’en pas douter, l'inspiration de
Masolino et de Fra Angelico.
La livraison de septembre-octobre 1892, s’ouvre par un très curieux travail de
M. G. Boni sur le lion de Saint-Marc de Venise. M. Boni s’efforce de démontrer
que le lion ailé, d’aspect si pittoresque, qui, du haut de sa colonne, semble pousser
vers l’Orient lointain un rugissement de défi, n’est pas, comme certains le croient,
une œuvre antique, mais bien une création originale du xme siècle. La thèse vaut
qu’on s’y arrête et qu’on la discute au besoin. M. Boni, qui a surveillé et dirigé,
en 1891, l’heureuse restauration du lion de Saint-Marc, l’ayant étudié de fort
près, nous en donne une description minutieuse, dont le croquis, en tête de cet
article, facilitera l’intelligence. Le bronze, de dimensions considérables (la tête se
dresse à plus de deux mètres de haut), se compose d’un grand nombre de pièces
rajustées, et complétées de parties modernes. Les restaurations modernes sont
l’œuvre du sculpteur Ferrari, auquel le lion fut confié en 1815, lorsqu’il revint en
fragments de Paris, où on l’avait installé sur la place des Invalides. La patte anté-
rieure droite et moitié de la gauche, ainsi que les pieds de derrière, sont modernes ;
les griffes, de style académique. Le livre de plomb, ouvert sous les pieds du lion,
est également moderne; les ailes, la croupe et une partie de la queue sont l’œuvre
du restaurateur. Mais la tête et la crinière, le poitrail, le ventre et une bonne
partie des jambes appartiennent au bronze primitif. L’intérieur est entièrement
creux, et s’ouvre sous le ventre par une porte à serrure; avant le récent nettoyage,
M. Boni put y voir un épais dépôt de rouille provenant des attaches de fer (au
nombre de 140 environ) qui maintenaient cette pesante carapace de bronze.
L’œuvre est d’une facture étonnamment précise et vivante; les saillies des
muscles et des veines, les plis de la peau sont indiqués avec simplicité et puis-
sance; la crinière tombe en rudes ondulations; les moustaches se relèvent ironi-
quement; les dents sont minutieusement travaillées; les sourcils hérissés et
gonflés abritent des yeux de pâte de verre, dont la blancheur à demi transpa-
rente produit une étrange impression. Les ailes, qui datent de 1815, sont mas-
sives et lourdes, mal rattachées au corps, nullement en harmonie avec l’allure
audacieuse de la bête symbolique. Ruskin avait supposé (St Mark’s rest, I, 22)
que les ailes antiques se développaient plus largement, et surtout que les pennes
en étaient séparées, de façon que la lumière les traversât; tels sont, à Pérouse,
un lion et un griffon du xivc siècle. L’hypothèse est confirmée parmi bois de Brey-