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GAZETTE DES BEAUX- ARTS.
d’une année, privé de secours, banni, coupé de toute communication
avec Mantoue, parce que les édits condamnaient à mort tous ceux
qui lui viendraient en aide,, il vint échouer à Naples, où ses fidèles
compagnons s’employèrent aux travaux du port pour suffire à leur
existence. Frédéric, terrassé par la maladie, mourant de faim, réduit
à la dernière extrémité etcachant toujours avec soin sa personnalité,
gisait sur un grabat, caché dans un taudis. Barbara, inquiète d’un si
long silence, avait lancé des émissaires dans toute l’Italie; ceux-ci
arrivèrent un jour à la cour du roi Ferdinand de Naples, qui prit la
chose à cœur et retrouva la trace du jeune prince. Barbara parvint à
fléchir son époux qui consentit bien à recevoir Frédéric à merci, mais,
restant inflexible dans sa volonté, le contraignit à épouser Margue-
rite. — La cérémonie du mariage eut lieu à Mantoue, le 10 mai 1463.
Vers 1840, Pietro Estense Selvatico dePadoue, qui poursuivait ses
recherches sur son illustre compatriote Mantegna, vint visiter Man-
toue; il entra pour la première fois dans la Saladei Sposi, sachant tout
ce qu’on pouvait savoir alors de Louis ÏII Gonzague et de Mantegna ; et,
en face de la fresque, l’anecdote de la fuite, lue dans le Fioretto delle
Cronache cUMcintova, lui revint à la pensée. La réunion de famille ici
représentée, la cage d’escalier qui donne accès à la cour du palais où se
tiennent les Gonzague, ces jeunes visiteurs qui en gravissent les
marches : tout, à ses yeux, concordait ; il conclut alors à une toile histo-
rique formelle, ayant pour sujet la réconciliation du père et du fils.
Et le jour où il écrivit les notes au chapitre Mantegna dans la nouvelle
édition des «Vite'>, Selvatico ayant mis en avant cette interprétation,
elle a fait foi jusque aujourd’hui.
Désormais cependant la critique est mieux armée qu’au temps de
Selvatico, elle veut que toutes les dates concordent et exigeune logique
impitoyable. Si l’écrivain Padouan dit vrai, nous sommes en face
d’un sujet rétrospectif: et, naturellement, Mantegna, pour peindre, a dû
retourner dix ans en arrière. Si le personnage qui gravit l’escalier
est le fils prodigue (et comment ne serait-ce pas lui, puisqu’il s’agit
de son retour), il ne peut pas trouver à droite de sa mère son jeune
frère âgé de douze ans, car lorsque le prince a fui la cour en 1461, ce
dernier-né balbutiait encore, et ses quatre sœurs, au lieu d’être mortes
ou mariées, ou nubiles, étaient encore aux mains des femmes et dans
le giron de leur mère. D’une autre part, si Barbara attend son fils
après une année d’absence et une souffrance mortelle, pourquoi ne
jette-t-elle pas un regard vers la porte qu’il va franchir, et pourquoi
tous ces personnages indifférents à une scène si dramatique? — Voilà
GAZETTE DES BEAUX- ARTS.
d’une année, privé de secours, banni, coupé de toute communication
avec Mantoue, parce que les édits condamnaient à mort tous ceux
qui lui viendraient en aide,, il vint échouer à Naples, où ses fidèles
compagnons s’employèrent aux travaux du port pour suffire à leur
existence. Frédéric, terrassé par la maladie, mourant de faim, réduit
à la dernière extrémité etcachant toujours avec soin sa personnalité,
gisait sur un grabat, caché dans un taudis. Barbara, inquiète d’un si
long silence, avait lancé des émissaires dans toute l’Italie; ceux-ci
arrivèrent un jour à la cour du roi Ferdinand de Naples, qui prit la
chose à cœur et retrouva la trace du jeune prince. Barbara parvint à
fléchir son époux qui consentit bien à recevoir Frédéric à merci, mais,
restant inflexible dans sa volonté, le contraignit à épouser Margue-
rite. — La cérémonie du mariage eut lieu à Mantoue, le 10 mai 1463.
Vers 1840, Pietro Estense Selvatico dePadoue, qui poursuivait ses
recherches sur son illustre compatriote Mantegna, vint visiter Man-
toue; il entra pour la première fois dans la Saladei Sposi, sachant tout
ce qu’on pouvait savoir alors de Louis ÏII Gonzague et de Mantegna ; et,
en face de la fresque, l’anecdote de la fuite, lue dans le Fioretto delle
Cronache cUMcintova, lui revint à la pensée. La réunion de famille ici
représentée, la cage d’escalier qui donne accès à la cour du palais où se
tiennent les Gonzague, ces jeunes visiteurs qui en gravissent les
marches : tout, à ses yeux, concordait ; il conclut alors à une toile histo-
rique formelle, ayant pour sujet la réconciliation du père et du fils.
Et le jour où il écrivit les notes au chapitre Mantegna dans la nouvelle
édition des «Vite'>, Selvatico ayant mis en avant cette interprétation,
elle a fait foi jusque aujourd’hui.
Désormais cependant la critique est mieux armée qu’au temps de
Selvatico, elle veut que toutes les dates concordent et exigeune logique
impitoyable. Si l’écrivain Padouan dit vrai, nous sommes en face
d’un sujet rétrospectif: et, naturellement, Mantegna, pour peindre, a dû
retourner dix ans en arrière. Si le personnage qui gravit l’escalier
est le fils prodigue (et comment ne serait-ce pas lui, puisqu’il s’agit
de son retour), il ne peut pas trouver à droite de sa mère son jeune
frère âgé de douze ans, car lorsque le prince a fui la cour en 1461, ce
dernier-né balbutiait encore, et ses quatre sœurs, au lieu d’être mortes
ou mariées, ou nubiles, étaient encore aux mains des femmes et dans
le giron de leur mère. D’une autre part, si Barbara attend son fils
après une année d’absence et une souffrance mortelle, pourquoi ne
jette-t-elle pas un regard vers la porte qu’il va franchir, et pourquoi
tous ces personnages indifférents à une scène si dramatique? — Voilà