Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (3. Pér. 12.1894)

ARTISTES CONTEMPORAINS

JEAN CARRIÈS

Tout passe. L’art robuste
Seul a l’éternité.

Le buste
Survit à la cité.

Théophile Gautier.

C’est de 1881 que date
pour moi le souvenir de
Jean Carriès. Les quatre
tètes par lui exposées au
Salon venaient de me frapper,
ces quatre tètes que le passant né
malin, dérouté de ne leur point
voir affecter l’allure consacrée des
bustes, appelait : des léles coupées.

11 y en avait bien une : celle de
Charles Ier, depuis acquise par le
Musée du Luxembourg, et que l’on y
voit exposée sur un si vilain socle.
Les autres, c’étaient trois marmüeux,
aussi beaux que minables; des Clopins
Trouille-fous dans lesquels s’alliait du
Hugo à du Dante, du Callot et du
Cellini. Notamment un aveugle, —
ne l’étaient-ils pas tous? — qui bayait
à l’espace et faisait songer à ce vers :

Un crapaud regardait le ciel, bêle éblouie...

La chose émouvait ; moins du fait
d’une pitié dictant le choix du motii
de douleur que par une de ces saisissantes disproportions d’art
entre le sujet de misère et la délicatesse du rendu.