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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Déterminer et étiqueter tous ceux qui nous restent, c’est déjà une
entreprise colossale et nous nous refusons à en essayer le catalogue
interminable.
Restait à peindre le roi. Il avait vu les portraits de ses filles, il
en était enchanté. Peu après, dit Palissot, M. de Villeroy vint
trouver Naltier et lui donner ordre d’aller à Versailles pour faire
le portrait de Louis XV. Il le peignit en buste.
Pour la reine, qu’il ne faut pas oublier, car c’est un des chefs-
d’œuvre de Nattier, elle aussi fit appeler l’artiste, et lui demanda
son portrait à la condition qu’il la peindrait en négligé, car elle
n’était pas femme à se déguiser en déesse. C’est l’œuvre qui a paru
au Salon de 1748 et qu’on admire à Versailles. C’est un portrait
intime et qui dit tout. Nattier a représenté Marie Leczinska en robe
d’un rouge rompu garnie de fourrure. Elle est assise, le bras gauche
appuyé sur une console où se trouvent la couronne, le sceptre royal
et le livre des Évangiles. Dans le fond, des colonnes et une draperie
verte. Nattier, oubliant sa mythologie et son symbolisme ordinaire,
eut le courage de peindre la femme négligée de son mari, si occupée
de ses devoirs de piété et de son jeu de cavagnole ; elle n’est pas
flattée ; elle est peinte dans l’irrégularité de son visage, mais avec
cet air de bonté et de résignation accoutumé. C’est le portrait qui a
été gravé par Tardieu. La reine en fut satisfaite et en fit faire plu-
sieurs copies. Dans notre jeunesse, nous en retrouvions une au
château de Buzet (Lot-et-Garonne), chez M. de Beaumont. Cet
exemplaire est celui qui avait été donné à Christophe de Beaunront,
archevêque de Paris. D’après une tradition de la maison, cette copie,
excellente d’ailleurs, passait pour l'œuvre d’un certain Prévost. C’est
un nom à retenir, car nous ne sommes pas très bien informés sur les
copistes de Nattier.
Il existe un autre portrait de Marie Leczinska, en buste, celui-là,
c’est celui du grand Trianon.
Le portrait intime de la reine en négligé fait naître la pensée
bien naturelle de rechercher quelle était la force de Nattier lorsque,
reléguant ses allégories au magasin des accessoires, il faisait à la
réalité la grâce de l’accepter et peignait en prose. Il prenait alors
ses modèles dans sa famille et dans son entourage bourgeois, encore
voyons-nous qu’il eut toujours quelque peine à renoncer au symbole
et à représenter ses personnages dans une attitude terre à terre et
ne posant pas pour la galerie. Au Salon de 1738, il expose encore son
propre portrait sous les attributs de la peinture et celui de sa femme,
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Déterminer et étiqueter tous ceux qui nous restent, c’est déjà une
entreprise colossale et nous nous refusons à en essayer le catalogue
interminable.
Restait à peindre le roi. Il avait vu les portraits de ses filles, il
en était enchanté. Peu après, dit Palissot, M. de Villeroy vint
trouver Naltier et lui donner ordre d’aller à Versailles pour faire
le portrait de Louis XV. Il le peignit en buste.
Pour la reine, qu’il ne faut pas oublier, car c’est un des chefs-
d’œuvre de Nattier, elle aussi fit appeler l’artiste, et lui demanda
son portrait à la condition qu’il la peindrait en négligé, car elle
n’était pas femme à se déguiser en déesse. C’est l’œuvre qui a paru
au Salon de 1748 et qu’on admire à Versailles. C’est un portrait
intime et qui dit tout. Nattier a représenté Marie Leczinska en robe
d’un rouge rompu garnie de fourrure. Elle est assise, le bras gauche
appuyé sur une console où se trouvent la couronne, le sceptre royal
et le livre des Évangiles. Dans le fond, des colonnes et une draperie
verte. Nattier, oubliant sa mythologie et son symbolisme ordinaire,
eut le courage de peindre la femme négligée de son mari, si occupée
de ses devoirs de piété et de son jeu de cavagnole ; elle n’est pas
flattée ; elle est peinte dans l’irrégularité de son visage, mais avec
cet air de bonté et de résignation accoutumé. C’est le portrait qui a
été gravé par Tardieu. La reine en fut satisfaite et en fit faire plu-
sieurs copies. Dans notre jeunesse, nous en retrouvions une au
château de Buzet (Lot-et-Garonne), chez M. de Beaumont. Cet
exemplaire est celui qui avait été donné à Christophe de Beaunront,
archevêque de Paris. D’après une tradition de la maison, cette copie,
excellente d’ailleurs, passait pour l'œuvre d’un certain Prévost. C’est
un nom à retenir, car nous ne sommes pas très bien informés sur les
copistes de Nattier.
Il existe un autre portrait de Marie Leczinska, en buste, celui-là,
c’est celui du grand Trianon.
Le portrait intime de la reine en négligé fait naître la pensée
bien naturelle de rechercher quelle était la force de Nattier lorsque,
reléguant ses allégories au magasin des accessoires, il faisait à la
réalité la grâce de l’accepter et peignait en prose. Il prenait alors
ses modèles dans sa famille et dans son entourage bourgeois, encore
voyons-nous qu’il eut toujours quelque peine à renoncer au symbole
et à représenter ses personnages dans une attitude terre à terre et
ne posant pas pour la galerie. Au Salon de 1738, il expose encore son
propre portrait sous les attributs de la peinture et celui de sa femme,