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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
puits, si je me souviens bien d’un dire de l’auteur. On l’y voyait
debout, à mi-corps, sous un petit chapeau de feutre gondolé, et
tenant dans une main la gracile figurine d’un seigneur Louis XIII.
Vers le bas du torse où s’agençait encore un vase de fleurs, un fin
masque de femme, les yeux clos, se modelait, s'effaçant : propre
effigie de la mère de Carriès.
A cette étape se ferme la première période de la vie publique de
Carriès. Ceux qui l’avaient connu à l’issue de son premier succès ne
le virent plus guère. Dégoûté de Paris, et déjà fatigué du monde, —
un peu comme un autre Rollinat, — il ne demeura en relations
qu’avec un petit nombre.
Soudain un bruit courut, que voici réduit à son rudiment boule-
vardier et blagueur d’alors : « Carriès vient de découvrir les grès
des Japonais dans la forêt dé Fontainebleau ! — Bizen et Fizen dans
Seine-et-Marne 1 ! » Je me rappelle avoir rencontré le nouveau potier,
à cette saison de printemps très frais, sur le pont de la Concorde.
C’était un de ses jours rébarbatifs et soucieux. Je le vis venir de
loin, sous un vaste manteau, et cravaté d’un cache-nez de tricot qui
pouvait bien auner trois mètres. Il me fit part de son étonnante
trouvaille dont je n’eus garde de douter, en quoi je fis bien, puis-
qu’elle était vraie.
C’est en 1892, au Salon du Champs-de Mars, que la découverte,
déjà connue et appréciée des amateurs, éclata aux yeux de tous
avec l’éblouissement dont on se souvient. Entre nombre de tètes
et de bustes. — comme si, dans un pressentiment qui semblait alors à
plusieurs un manque d’adresse, le jeune maitre eût voulu, par cette
livraison un peu envahissante, faire embrasser au moins une fois
de son vivant, presque toute son œuvre, — apparut cette fascinatrice
vitrine étagée en un fruitier prodigieux, de tant de vases et de
gourdes, de bouteilles et de lagènes où se mariait, comme aux têtes
d’antan, la même saisissante antithèse du précieux et du fruste.
Ainsi qu’aux miraculeux cristaux de Gallé, de forme à peine que la
plus rudimentaire, voire la plus rude. Des aspects artificiels de
calebasse, pour l’apparence et le grain, depuis le mat de la coloquinte
fraîchement cueillie jusqu’au brillant de la gousse laquée du caroubier,
L Plus tard seulement, l’entreprise fut transportée dans la Nièvre.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
puits, si je me souviens bien d’un dire de l’auteur. On l’y voyait
debout, à mi-corps, sous un petit chapeau de feutre gondolé, et
tenant dans une main la gracile figurine d’un seigneur Louis XIII.
Vers le bas du torse où s’agençait encore un vase de fleurs, un fin
masque de femme, les yeux clos, se modelait, s'effaçant : propre
effigie de la mère de Carriès.
A cette étape se ferme la première période de la vie publique de
Carriès. Ceux qui l’avaient connu à l’issue de son premier succès ne
le virent plus guère. Dégoûté de Paris, et déjà fatigué du monde, —
un peu comme un autre Rollinat, — il ne demeura en relations
qu’avec un petit nombre.
Soudain un bruit courut, que voici réduit à son rudiment boule-
vardier et blagueur d’alors : « Carriès vient de découvrir les grès
des Japonais dans la forêt dé Fontainebleau ! — Bizen et Fizen dans
Seine-et-Marne 1 ! » Je me rappelle avoir rencontré le nouveau potier,
à cette saison de printemps très frais, sur le pont de la Concorde.
C’était un de ses jours rébarbatifs et soucieux. Je le vis venir de
loin, sous un vaste manteau, et cravaté d’un cache-nez de tricot qui
pouvait bien auner trois mètres. Il me fit part de son étonnante
trouvaille dont je n’eus garde de douter, en quoi je fis bien, puis-
qu’elle était vraie.
C’est en 1892, au Salon du Champs-de Mars, que la découverte,
déjà connue et appréciée des amateurs, éclata aux yeux de tous
avec l’éblouissement dont on se souvient. Entre nombre de tètes
et de bustes. — comme si, dans un pressentiment qui semblait alors à
plusieurs un manque d’adresse, le jeune maitre eût voulu, par cette
livraison un peu envahissante, faire embrasser au moins une fois
de son vivant, presque toute son œuvre, — apparut cette fascinatrice
vitrine étagée en un fruitier prodigieux, de tant de vases et de
gourdes, de bouteilles et de lagènes où se mariait, comme aux têtes
d’antan, la même saisissante antithèse du précieux et du fruste.
Ainsi qu’aux miraculeux cristaux de Gallé, de forme à peine que la
plus rudimentaire, voire la plus rude. Des aspects artificiels de
calebasse, pour l’apparence et le grain, depuis le mat de la coloquinte
fraîchement cueillie jusqu’au brillant de la gousse laquée du caroubier,
L Plus tard seulement, l’entreprise fut transportée dans la Nièvre.