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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
de côté 1. Un conseiller du duc de Munstelberg-CEls, Paulus Hentzner,
qui voyageait en France à la fin du xxrie siècle, s’étonnait des dimen-
sions des rapières des étudiants de Toulouse « si longues qu’elles
dépassent la hauteur d’un homme ». Il y a sans doute exagération,
car les rapières ont ordinairement une longueur maximum attei-
gnant bien rarement cinq pieds. Et d’ailleurs, il est à croire qu’en
Allemagne on ne devait pas porter l’épée plus courte qu’en France,
et l’on y cultivait la même escrime où les coups de pointe tendaient
de plus en plus à prévaloir contre les coups de taille.
Il ne faudrait pas croire que la rapière, arme de duel par excel-
lence, ait apparu en même temps en tout pays. Son origine est espa-
gnole sans doute, italienne peut-être. En tout cas c’est par l’Italie
qu’elle pénétra en France, sous le règne de Charles IX, et elle ne
tardapas à remplacer notreépée de longueur moyenne, notre estocade,
comme on disait alors *.
1. C'est une grave erreur, et qui se trouve répétée en maint ouvrage, notam-
ment dans le catalogue du Musée d’artillerie (tome III, p. 12), que de caractériser
la rapière par sa garde comportant une coquille plus ou moins ajourée. La
rapière se caractérise avant tout par la longueur et la finesce de sa lame, comme
l’a justement dit le colonel Robert; mais la forme de sa poignée a toujours varié
suivant les modes et les pays. Les rapières à coquille sont d’une époque basse;
aucune ne paraît antérieure à 1010 ou 1020, c’est alors seulement que cette forme
d’épée espagnole et italienne se répandit; elle dura du reste jusqu’au xviii' siècle,
notamment en Espagne, comme le prouve le portrait de Philippe V. par Rignud,
qu’on peut voir au Louvre. Jamais en France on ne porta cette sorte d'épée, on
adopta plutôt le type à coquille aplatie, venu d'Allemagne, et connu dans le lan-
gage des amateurs sous le nom de flamberge.
2. La rapière fit son apparition en Angleterre de 1370 à 1380. mais non sans
rencontrer de la résistance de la part des vieux Anglais qui prétendaient rester
fidèles au jeu de l’épée et du bouclier. Ils usaient alors d’épées plus fortes et aussi
courtes que les nôtres, montées avec des gardes assez simples et massives dont les
plus ornées sont chargées de lourdes incrustations d’argent vivement reciselées;
les pommeaux très gros sont sphéroïdes, ou pour mieux dire en forme de citron,
avec dépareilles incrustations. Le Musée d’artillerie présente un certain nombre
de ces épées anglaises du xvie siècle. Mais en Angleterre comme en France, la
jeune noblesse tint à honneur de porter la longue rapière et de prendre les leçons
des Italiens installés à Londres et qui tiraient gloire et profit de cet enseignement.
Un maître d’armes anglais, Silver, a, dans un ouvrage singulier intitulé :
Paradoxes, amèrement attaqué ces nouveaux venus dont les longues rapières
n’étaient bonnes qu’à embrocher des grenouilles. La mode n’en prévalut pas
moins et le degré d’élégance fut proportionné k la longueur de l’épée, et on en
porta de si longues que la reine Élisabeth « signa une proclamation contre... et
fit placer des citoyens graves et choisis à chaque porte de la ville, avec mission
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
de côté 1. Un conseiller du duc de Munstelberg-CEls, Paulus Hentzner,
qui voyageait en France à la fin du xxrie siècle, s’étonnait des dimen-
sions des rapières des étudiants de Toulouse « si longues qu’elles
dépassent la hauteur d’un homme ». Il y a sans doute exagération,
car les rapières ont ordinairement une longueur maximum attei-
gnant bien rarement cinq pieds. Et d’ailleurs, il est à croire qu’en
Allemagne on ne devait pas porter l’épée plus courte qu’en France,
et l’on y cultivait la même escrime où les coups de pointe tendaient
de plus en plus à prévaloir contre les coups de taille.
Il ne faudrait pas croire que la rapière, arme de duel par excel-
lence, ait apparu en même temps en tout pays. Son origine est espa-
gnole sans doute, italienne peut-être. En tout cas c’est par l’Italie
qu’elle pénétra en France, sous le règne de Charles IX, et elle ne
tardapas à remplacer notreépée de longueur moyenne, notre estocade,
comme on disait alors *.
1. C'est une grave erreur, et qui se trouve répétée en maint ouvrage, notam-
ment dans le catalogue du Musée d’artillerie (tome III, p. 12), que de caractériser
la rapière par sa garde comportant une coquille plus ou moins ajourée. La
rapière se caractérise avant tout par la longueur et la finesce de sa lame, comme
l’a justement dit le colonel Robert; mais la forme de sa poignée a toujours varié
suivant les modes et les pays. Les rapières à coquille sont d’une époque basse;
aucune ne paraît antérieure à 1010 ou 1020, c’est alors seulement que cette forme
d’épée espagnole et italienne se répandit; elle dura du reste jusqu’au xviii' siècle,
notamment en Espagne, comme le prouve le portrait de Philippe V. par Rignud,
qu’on peut voir au Louvre. Jamais en France on ne porta cette sorte d'épée, on
adopta plutôt le type à coquille aplatie, venu d'Allemagne, et connu dans le lan-
gage des amateurs sous le nom de flamberge.
2. La rapière fit son apparition en Angleterre de 1370 à 1380. mais non sans
rencontrer de la résistance de la part des vieux Anglais qui prétendaient rester
fidèles au jeu de l’épée et du bouclier. Ils usaient alors d’épées plus fortes et aussi
courtes que les nôtres, montées avec des gardes assez simples et massives dont les
plus ornées sont chargées de lourdes incrustations d’argent vivement reciselées;
les pommeaux très gros sont sphéroïdes, ou pour mieux dire en forme de citron,
avec dépareilles incrustations. Le Musée d’artillerie présente un certain nombre
de ces épées anglaises du xvie siècle. Mais en Angleterre comme en France, la
jeune noblesse tint à honneur de porter la longue rapière et de prendre les leçons
des Italiens installés à Londres et qui tiraient gloire et profit de cet enseignement.
Un maître d’armes anglais, Silver, a, dans un ouvrage singulier intitulé :
Paradoxes, amèrement attaqué ces nouveaux venus dont les longues rapières
n’étaient bonnes qu’à embrocher des grenouilles. La mode n’en prévalut pas
moins et le degré d’élégance fut proportionné k la longueur de l’épée, et on en
porta de si longues que la reine Élisabeth « signa une proclamation contre... et
fit placer des citoyens graves et choisis à chaque porte de la ville, avec mission