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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
d’un Brunellesco et d’un Donatello. Cet initiateur, le véritable pro-
tagoniste de la Renaissance en Hongrie, fut le célèbre Filippo Scolari,
surnommé Pippo Spano (1369-1426), comte de Témesvar et d’Osora,
capitaine général des armées du roi Sigismond. De même qu’il laissa
dans sa ville natale des traces de sa libéralité, entre autres le
célèbre temple de Sainte-Marie des Anges, édifié sur les plans de
Brunellesco, de même il attira ses compatriotes dans sa patrie
d’adoption. (Il fit entre autres donner à son frère, Andrea degli Sco-
lari, le siège épiscopal de Yaradin.) Dès les premières années du
xve siècle, il occupait un certain nombre d’artistes italiens, et parmi
eux un bolonais, dont on ignore le nom, élève de Pellegrino « délia
tarsia », et par conséquent familiarisé, comme son maître, avec la
marqueterie, et la sculpture en bois. En 1409, il s’assura le con-
cours du Florentin Manetto Ammanatini, surnommé « il Grasso »
(1384-1450), architecte habile, plus connu comme héros de la déso-
pilante nouvelle intitulée « il grasso Legnaiuolo ». Pendant plus de
quarante ans, Manetto construisit églises et palais, tant pour le
compte de Spano que pour celui du roi Sigismond. En 1426, à l’occa-
sion de son ambassade à fa cour de Pesth, Rinaldo degli Albizzi, le
célèbre diplomate florentin, ne manqua pas d’aller rendre visite à
Manetto, qui lui fit cadeau d’un flacon à vin en fer, d’un cimeterre,
d’une escarcelle en cuir bouilli et d’un tapis. A Osora, la principale
des possessions de Spano, Rinaldo reçut de la femme de ce person-
nage l'accueil le plus magnifique; il admira le château, qui était très
beau, ainsi que plusieurs églises récemment bâties et très richement
ornées. Non moins somptueuse était la chapelle funéraire que Spano
s’était fait ériger à Albareale1. Le fondateur de toutes ces merveilles
mourut malheureusement cette même année, le 27 décembre.
Après la mort de son premier protecteur, Manetto sut capter la
faveur de Sigismond; comme preuve de son influence sur ce monarque,
il faut relever la circonstance que l’artiste improvisé diplomate se
chargea auprès de lui de négociations secrètes pour le compte du
gouvernement florentin. L’argent lui vint en même temps que les
honneurs : en 1442, il avait en dépôt, au « Monte » de Florence, plus
de 4,000 florins, soit au moins 200,000 francs; ce qui ne l’empêcha
pas, dans sa déclaration de biens, de se répandre en lamentations,
1. « Vedemo la eapella sua, fatta di nuovo, per sua sepoltura, adorna molto,
e bene dotata e di ricchi paramenti. » (Commissioni di Rinaldo degli Albizzi per il
Commune di Firenze, t. II, p. 589-590.)
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
d’un Brunellesco et d’un Donatello. Cet initiateur, le véritable pro-
tagoniste de la Renaissance en Hongrie, fut le célèbre Filippo Scolari,
surnommé Pippo Spano (1369-1426), comte de Témesvar et d’Osora,
capitaine général des armées du roi Sigismond. De même qu’il laissa
dans sa ville natale des traces de sa libéralité, entre autres le
célèbre temple de Sainte-Marie des Anges, édifié sur les plans de
Brunellesco, de même il attira ses compatriotes dans sa patrie
d’adoption. (Il fit entre autres donner à son frère, Andrea degli Sco-
lari, le siège épiscopal de Yaradin.) Dès les premières années du
xve siècle, il occupait un certain nombre d’artistes italiens, et parmi
eux un bolonais, dont on ignore le nom, élève de Pellegrino « délia
tarsia », et par conséquent familiarisé, comme son maître, avec la
marqueterie, et la sculpture en bois. En 1409, il s’assura le con-
cours du Florentin Manetto Ammanatini, surnommé « il Grasso »
(1384-1450), architecte habile, plus connu comme héros de la déso-
pilante nouvelle intitulée « il grasso Legnaiuolo ». Pendant plus de
quarante ans, Manetto construisit églises et palais, tant pour le
compte de Spano que pour celui du roi Sigismond. En 1426, à l’occa-
sion de son ambassade à fa cour de Pesth, Rinaldo degli Albizzi, le
célèbre diplomate florentin, ne manqua pas d’aller rendre visite à
Manetto, qui lui fit cadeau d’un flacon à vin en fer, d’un cimeterre,
d’une escarcelle en cuir bouilli et d’un tapis. A Osora, la principale
des possessions de Spano, Rinaldo reçut de la femme de ce person-
nage l'accueil le plus magnifique; il admira le château, qui était très
beau, ainsi que plusieurs églises récemment bâties et très richement
ornées. Non moins somptueuse était la chapelle funéraire que Spano
s’était fait ériger à Albareale1. Le fondateur de toutes ces merveilles
mourut malheureusement cette même année, le 27 décembre.
Après la mort de son premier protecteur, Manetto sut capter la
faveur de Sigismond; comme preuve de son influence sur ce monarque,
il faut relever la circonstance que l’artiste improvisé diplomate se
chargea auprès de lui de négociations secrètes pour le compte du
gouvernement florentin. L’argent lui vint en même temps que les
honneurs : en 1442, il avait en dépôt, au « Monte » de Florence, plus
de 4,000 florins, soit au moins 200,000 francs; ce qui ne l’empêcha
pas, dans sa déclaration de biens, de se répandre en lamentations,
1. « Vedemo la eapella sua, fatta di nuovo, per sua sepoltura, adorna molto,
e bene dotata e di ricchi paramenti. » (Commissioni di Rinaldo degli Albizzi per il
Commune di Firenze, t. II, p. 589-590.)