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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 12.1894

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Schéfer, Gaston: Montesqeuieu et le Président de Brosses (1728 - 1739): deux critiques d'art au XVIIIe siècle
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https://doi.org/10.11588/diglit.24665#0443

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

seraient sortis de l’académie de Rome. » Il est vrai que ce mot
lui fut probablement inspiré par une visite à cette même Académie
de France.

Le Président de Brosses est plus abondant en réflexions : il
est vrai qu’il écrit pour ses amis et que Montesquieu n’écrit que
pour lui. De Brosses visite consciencieusement les églises et les
palais, mais, en réalité, ce qui l’intéresse le plus c’est la vie véni-
tienne, les courtisanes, les gondoles, les concerts de religieuses,
etc., etc... Saint-Marc lui parait « d’un goût misérable tant au
dedans qu’en dehors ». Il admire un peu Yéronèse, et de Véronèse
les Noces de Cana; mais il se hâte de leur comparer la Bataille
de Constantin contre Maxence. Puis viennent, par ordre de préférence,
le Tintoret et le Titien. En général, il parle de tous avec désin-
volture. « Nous ne songeons jamais à déjeuner sans nous être, au
préalable, mis quatre tableaux du Titien et deux plafonds de Paul
Yéronèse sur la conscience. »

A Milan, les deux voyageurs s’entendent sur tous les points.

« Je vis hier, dit Montesquieu, dans l’église dette Grazie, des tableaux
exquis : 1° Dans le réfectoire, le tableau fameux de Léonard de Yinci,
qui est une Cène... On voit la vie, le mouvement, l’étonnement sur les
quatre groupes des douze apôtres; toutes les passions de la crainte,
de la douleur, de l’étonnement, de l’attachement, le soupçon; l’éton-
nement de Judas est mêlé d'impudence. On dit que, quant il eut fait
les douze apôtres, il trouva qu’il avait mis tant de douceur dans le
visage de deux apôtres, qu’il fut embarrassé à faire celui de Jésus-
Christ, et on lui dit : « Tu as commencé un tableau que Dieu seul
« peut achever. » On voit dans ce tableau, au travers du bâtiment, un
ciel qui parait dans un éloignement infini. Enfin, c’est un des beaux
tableaux du monde. »

A^oilàune note qui pourraitdater d’aujourd’hui. Notre vénération
pour Léonard doit se trouver satisfaite. Mais Montesquieuajoute quel-
ques lignesqui donnentla véritable mesure de son enthousiasme. « Il y
aoutrecela, à cette église, un Christ qu’on couronne d’épines, deTitien,
et deux Saint Paul, de Gaudence... (Gaudentio Ferrari.) Ce sont trois
tableaux excellents. » On sent là, comme en maint autre endroit,
que Léonard n’est pas le maître suprême, le magicien prodigieux
qui, après trois siècles d’art, nous devance toujours et nous déconcerte.

De Brosses éprouve la même impression devant la Cène ; une admi-
ration sans élan. Et ils avaient vu tous deux l’œuvre dans son inté-
grité, avant l’inepte dégradation qui en fait l’ombre d’un chef-d’œuvre.
 
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