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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
étroitement des méthodes d’exécution des primitifs flamands. Son
coloris très fondu, très sobre de ton, offre l’apparence et la consis-
tance de l’émail; le soin minutieux qu’il apporte à rendre la barbe
et les cheveux de son Christ semblerait volontiers dû à quelque patient
miniaturiste du Nord. Comme toujours, ses formes, ici, sont chétives
et grêles, mais non dépourvues pourtant d’une certaine grâce mélan-
colique. Son dessin est maigre, mais son modelé est délicat, accusant
par de fines et souples demi-teintes la variété des formes. Et malgré
sa maigreur, malgré son apparente sécheresse, cette peinture, d’un
si poignant accent, grave à tout jamais dans votre mémoire une
image d’un caractère grandiose et tout empreinte de la plus dou-
loureuse et pénétrante poésie.
Quoiqu’ils aient été presque contemporains, on note bien des
différences entre le style et l’exécution de Moralès et du valencien
Vicente Juan Macip (1523-1579), plus connu dans sa patrie sous
l’appellation de Juan de Joanès. Si le premier s’est inspiré le plus
souvent des écoles du Nord, le second, lui, est un italianisant
convaincu. Raphaël, ou plutôt son école pour être plus exact, l'a
conquis et subjugué. Tous les deux sont des mystiques; mais l’un
conçoit et exécute comme un primitif du commencement du xvie siècle,
alors que l’autre formule ses créations en disciple asservi d’un Poly-
dore de Caravage ou d’un Perino del Yaga. Cette filiation se lit en
effet clairement dans l’œuvre de Joanès et plus particulièrement
dans la Sainte Famille qui est à l’Académie. La rechercheconstante de
la correction, de la beauté des lignes et d’un idéal de suavité et de
pureté, c’est là ce que poursuit avant tout le maitre valencien.
Art de reflet, sans doute, que l'art de Joanès, avec ses fréquentes
réminiscences des compositions raphaëlesques, mais où l’on sent
pourtant passer un grand souffle de sincérité et de foi qu’on ne
rencontre déjà plus, à ce moment, dans les productions de l’école
romaine.
Lorsque Dominico Theotocopuli, le Greco, eut, vers 1584, terminé
pour l’église de Saint-Thomas, à Tolède, son célèbre tableau repré-
sentant l’Enterrement du comte d'Orgaz, les jésuites lui en deman-
dèrent une répétition pour leur maison professe; c’est cette même
réplique, mais sans la gloire qui se voit dans le tableau original et
qui en occupe toute la partie haute, que possède aujourd’hui l'Aca-
démie. Cette étrange composition du Greco est assurément l’une des
plus caractéristiques de son fantastique et inégal talent. Au milieu
d’une nombreuse assistance de moines, de clercs, de prêtres et de
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
étroitement des méthodes d’exécution des primitifs flamands. Son
coloris très fondu, très sobre de ton, offre l’apparence et la consis-
tance de l’émail; le soin minutieux qu’il apporte à rendre la barbe
et les cheveux de son Christ semblerait volontiers dû à quelque patient
miniaturiste du Nord. Comme toujours, ses formes, ici, sont chétives
et grêles, mais non dépourvues pourtant d’une certaine grâce mélan-
colique. Son dessin est maigre, mais son modelé est délicat, accusant
par de fines et souples demi-teintes la variété des formes. Et malgré
sa maigreur, malgré son apparente sécheresse, cette peinture, d’un
si poignant accent, grave à tout jamais dans votre mémoire une
image d’un caractère grandiose et tout empreinte de la plus dou-
loureuse et pénétrante poésie.
Quoiqu’ils aient été presque contemporains, on note bien des
différences entre le style et l’exécution de Moralès et du valencien
Vicente Juan Macip (1523-1579), plus connu dans sa patrie sous
l’appellation de Juan de Joanès. Si le premier s’est inspiré le plus
souvent des écoles du Nord, le second, lui, est un italianisant
convaincu. Raphaël, ou plutôt son école pour être plus exact, l'a
conquis et subjugué. Tous les deux sont des mystiques; mais l’un
conçoit et exécute comme un primitif du commencement du xvie siècle,
alors que l’autre formule ses créations en disciple asservi d’un Poly-
dore de Caravage ou d’un Perino del Yaga. Cette filiation se lit en
effet clairement dans l’œuvre de Joanès et plus particulièrement
dans la Sainte Famille qui est à l’Académie. La rechercheconstante de
la correction, de la beauté des lignes et d’un idéal de suavité et de
pureté, c’est là ce que poursuit avant tout le maitre valencien.
Art de reflet, sans doute, que l'art de Joanès, avec ses fréquentes
réminiscences des compositions raphaëlesques, mais où l’on sent
pourtant passer un grand souffle de sincérité et de foi qu’on ne
rencontre déjà plus, à ce moment, dans les productions de l’école
romaine.
Lorsque Dominico Theotocopuli, le Greco, eut, vers 1584, terminé
pour l’église de Saint-Thomas, à Tolède, son célèbre tableau repré-
sentant l’Enterrement du comte d'Orgaz, les jésuites lui en deman-
dèrent une répétition pour leur maison professe; c’est cette même
réplique, mais sans la gloire qui se voit dans le tableau original et
qui en occupe toute la partie haute, que possède aujourd’hui l'Aca-
démie. Cette étrange composition du Greco est assurément l’une des
plus caractéristiques de son fantastique et inégal talent. Au milieu
d’une nombreuse assistance de moines, de clercs, de prêtres et de