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L’ACADÉMIE DE S AN-FERNANDO.
nobles personnages tolédans, sont apparus saint Etienne et saint
Augustin, vêtus de riches costumes sacerdotaux, et au moment où
l’on va donner la sépulture à la dépouille mortelle de Gonzalo Ruiz
de Toledo, comte d’Orgaz, mort en odeur de sainteté. Les deux
saints, soutenant le corps du comte, armé de toutes pièces, l’envelop-
pent d’un linceul et le portent dans son tombeau. Un sentiment
profond de gravité et de mystère semble planer sur toute cette funèbre
scène. Sa tonalité faite presque entièrement de blanc et de noir, et
où éclatent seuls les pourpres, les orfrois et les dorures des chasubles
des deux saints, produit, dans sa puissante austérité, la plus saisis-
sante impression. Comme la bizarrerie, avec le Greco, ne perd jamais
tout à fait ses droits, il a parsemé son ciel, où paraissent deux anges,
de nuages floconneux plutôt pareils aux vagues de la mer qu’à des
vapeurs aériennes.
Deux des élèves du Greco, restés fidèles au coloris vénitien de
sa première manière, Luis Tristan (1586-1640) et Pedro Orrente
(1570-1644), figurent à San-Fernando avec des ouvrages importants.
Du premier, il y a un Saint Jérôme pénitent, peinture solide et très
réaliste du corps robuste d’un vieillard, et du second un Troupeau,
avec bergers, chiens et moutons, parcourant les pentes accidentées
d’une sierra et cherchant l’ombre rare de quelques chênes verts, çà et
là épars.
Nous avons suffisamment analysé au Musée du Prado les prin-
cipaux chefs-d’œuvre de Josef de Ribera et les diverses manières de
ce grand réaliste pour qu’on nous dispense de nous étendre longue-
ment sur celles de ses peintures que possède l’Académie. Nous nous
bornerons donc à signaler, pour la solidité de son exécution, si fran-
chement naturaliste, un Saint Jérôme au désert, et, par contraste et à
cause du sentiment de ferveur et d’adoration absolue qui s’en dégage,
l’admirable Saint Antoine rie Padoue; sans être aussi tendrement
passionné que s’est montré Murillo, traitant ce même sujet à la
chapelle du Baptistère de la cathédrale de Séville, et qui s’est peut-
être inspiré du maître valencien, cette peinture, où le saint tend les
bras dans un geste d’un élan vraiment sublime à l’Enfant Jésus
s’élevant vers le ciel, atteste comment le terrifiant Ribera sait
assouplir son pinceau lorsque son sujet l’exige et jusqu’à quelle
hauteur d’idéal et de pénétrante expression il peut alors atteindre.
Un troisième tableau, celui-là plus bizarre qu’attrayant, se
trouve encore à l’Académie. C’est la représentation ad vivum d’une
femme-phénomène, dotée par la nature d’une superbe barbe et allai-
L’ACADÉMIE DE S AN-FERNANDO.
nobles personnages tolédans, sont apparus saint Etienne et saint
Augustin, vêtus de riches costumes sacerdotaux, et au moment où
l’on va donner la sépulture à la dépouille mortelle de Gonzalo Ruiz
de Toledo, comte d’Orgaz, mort en odeur de sainteté. Les deux
saints, soutenant le corps du comte, armé de toutes pièces, l’envelop-
pent d’un linceul et le portent dans son tombeau. Un sentiment
profond de gravité et de mystère semble planer sur toute cette funèbre
scène. Sa tonalité faite presque entièrement de blanc et de noir, et
où éclatent seuls les pourpres, les orfrois et les dorures des chasubles
des deux saints, produit, dans sa puissante austérité, la plus saisis-
sante impression. Comme la bizarrerie, avec le Greco, ne perd jamais
tout à fait ses droits, il a parsemé son ciel, où paraissent deux anges,
de nuages floconneux plutôt pareils aux vagues de la mer qu’à des
vapeurs aériennes.
Deux des élèves du Greco, restés fidèles au coloris vénitien de
sa première manière, Luis Tristan (1586-1640) et Pedro Orrente
(1570-1644), figurent à San-Fernando avec des ouvrages importants.
Du premier, il y a un Saint Jérôme pénitent, peinture solide et très
réaliste du corps robuste d’un vieillard, et du second un Troupeau,
avec bergers, chiens et moutons, parcourant les pentes accidentées
d’une sierra et cherchant l’ombre rare de quelques chênes verts, çà et
là épars.
Nous avons suffisamment analysé au Musée du Prado les prin-
cipaux chefs-d’œuvre de Josef de Ribera et les diverses manières de
ce grand réaliste pour qu’on nous dispense de nous étendre longue-
ment sur celles de ses peintures que possède l’Académie. Nous nous
bornerons donc à signaler, pour la solidité de son exécution, si fran-
chement naturaliste, un Saint Jérôme au désert, et, par contraste et à
cause du sentiment de ferveur et d’adoration absolue qui s’en dégage,
l’admirable Saint Antoine rie Padoue; sans être aussi tendrement
passionné que s’est montré Murillo, traitant ce même sujet à la
chapelle du Baptistère de la cathédrale de Séville, et qui s’est peut-
être inspiré du maître valencien, cette peinture, où le saint tend les
bras dans un geste d’un élan vraiment sublime à l’Enfant Jésus
s’élevant vers le ciel, atteste comment le terrifiant Ribera sait
assouplir son pinceau lorsque son sujet l’exige et jusqu’à quelle
hauteur d’idéal et de pénétrante expression il peut alors atteindre.
Un troisième tableau, celui-là plus bizarre qu’attrayant, se
trouve encore à l’Académie. C’est la représentation ad vivum d’une
femme-phénomène, dotée par la nature d’une superbe barbe et allai-