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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
nets et larges, se contentent d’une affirmation résolue dans les con-
tours, sans grand souci des modelés et des nuances ; les autres, au con-
traire, par des coups de crayon ou de plume légers, minces, incisifs,
comme de fines égratignures, détaillent, avec complaisance, par des
traits de plus en plus souples et pressés, la gesticulation vive des
figures qui s’allongent, s’amaigrissent, se tortillent, l’expression
dramatique ou ironique des physionomies qui se précisent, s’indivi-
dualisent, avec une amusante spontanéité, jusqu’à ce qu’elles se
manièrent, s’exaspèrent, minaudent ou grimacent.
Par ces miniatures, par ces statues, par les vitraux, si nombreux
encore dans nos églises, nous pouvons, je crois, nous imaginer, avec
toutes sortes de probabilités, l’aspect qu’offraient au xme siècle les
peintures murales dans l’Ile-de-France et dans les régions avoisi-
nantes. Par régions avoisinantes, il faut, cela va sans dire, entendre
non seulement la Normandie, la Champagne, la Picardie, mais en-
core l’Artois, la Flandre méridionale, le Brabant, le Hainaut. Toutes
ces provinces, de culture si française, gouvernées par des princes
français ou alliés à la maison de France, avaient déjà pris une part
active à la formation de la littérature et de l'art nouveaux, dès le
xne siècle; elles allaient encore, durant longtemps, malgré des
rivalités ou des séparations dues à la politique, contribuer puissam-
ment, et dans le même esprit, à leurs développements communs,
pendant les siècles suivants. Les croquis de Villard de Honnecourt,
dont on aurait exposé utilement quelques spécimens, nous montrent,
d’autre part, l’étendue vaste du champ d’études où se formait l’ima-
gination plastique de ces conteurs ’de légendes. La plupart sans
doute, comme Villard, voyageurs et cosmopolites, admiraient l’anti-
quité, soit gréco-romaine, soit byzantine aussi naïvement que la
nature et la réalité. Dans le carnet que nous a laissé l’architecte
picard, souvenir de ses voyages en France, en Allemagne et en Hon-
grie, il y a tel croquis d’après le vif, telle esquisse pour une sculp-
ture ou une peinture qu’on pourrait déjà mettre en parallèle avec les
dessins les plus vigoureux ou les plus souples du xve siècle. C’est
un art complet, vivant, à la fois très franchement national et très
généreusement humain, l’idéal, déjà presque réalisé, de l’art fran-
çais tel que le comprendront plus tard Jean Fouquet et Poussin,
Ingres et Delacroix, et, autour d’eux, les plus grands peintres de
notre pays.
GEORGES LAFEKESTRE
(La suite prochainement.)
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nets et larges, se contentent d’une affirmation résolue dans les con-
tours, sans grand souci des modelés et des nuances ; les autres, au con-
traire, par des coups de crayon ou de plume légers, minces, incisifs,
comme de fines égratignures, détaillent, avec complaisance, par des
traits de plus en plus souples et pressés, la gesticulation vive des
figures qui s’allongent, s’amaigrissent, se tortillent, l’expression
dramatique ou ironique des physionomies qui se précisent, s’indivi-
dualisent, avec une amusante spontanéité, jusqu’à ce qu’elles se
manièrent, s’exaspèrent, minaudent ou grimacent.
Par ces miniatures, par ces statues, par les vitraux, si nombreux
encore dans nos églises, nous pouvons, je crois, nous imaginer, avec
toutes sortes de probabilités, l’aspect qu’offraient au xme siècle les
peintures murales dans l’Ile-de-France et dans les régions avoisi-
nantes. Par régions avoisinantes, il faut, cela va sans dire, entendre
non seulement la Normandie, la Champagne, la Picardie, mais en-
core l’Artois, la Flandre méridionale, le Brabant, le Hainaut. Toutes
ces provinces, de culture si française, gouvernées par des princes
français ou alliés à la maison de France, avaient déjà pris une part
active à la formation de la littérature et de l'art nouveaux, dès le
xne siècle; elles allaient encore, durant longtemps, malgré des
rivalités ou des séparations dues à la politique, contribuer puissam-
ment, et dans le même esprit, à leurs développements communs,
pendant les siècles suivants. Les croquis de Villard de Honnecourt,
dont on aurait exposé utilement quelques spécimens, nous montrent,
d’autre part, l’étendue vaste du champ d’études où se formait l’ima-
gination plastique de ces conteurs ’de légendes. La plupart sans
doute, comme Villard, voyageurs et cosmopolites, admiraient l’anti-
quité, soit gréco-romaine, soit byzantine aussi naïvement que la
nature et la réalité. Dans le carnet que nous a laissé l’architecte
picard, souvenir de ses voyages en France, en Allemagne et en Hon-
grie, il y a tel croquis d’après le vif, telle esquisse pour une sculp-
ture ou une peinture qu’on pourrait déjà mettre en parallèle avec les
dessins les plus vigoureux ou les plus souples du xve siècle. C’est
un art complet, vivant, à la fois très franchement national et très
généreusement humain, l’idéal, déjà presque réalisé, de l’art fran-
çais tel que le comprendront plus tard Jean Fouquet et Poussin,
Ingres et Delacroix, et, autour d’eux, les plus grands peintres de
notre pays.
GEORGES LAFEKESTRE
(La suite prochainement.)