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GAZETTE DES REAUX-ARTS
extrêmement noir. Les arbres n’y forment plus que des masses
opaques : les préparations empâtent presque complètement les deux
personnages debout derrière le musicien : elles ont rongé peut-être
aussi les moutons qui n’étaient indiqués que par des glacis et le
feutre de la danseuse du premier plan, qu’on devine aujourd’hui
plutôt qu’on ne le voit. Il est fort probable que d’abondants net-
toyages et de copieuses restaurations ont aggravé les méfaits du
temps.
Cette Danse ignorée méritait pourtant quelque attention. Il faut
noter précieusement toutes les œuvres de Watteau pour arriver à le
mieux connaître, et l’attribution inexacte menaçait de donner une
solution fausse à un problème de la vie du peintre. Il n’est plus
prouvé, maintenant, que Watteau a trouvé chez Gillot la formule des
Fêtes galantes. Il faut en revenir à l’expl ication, moins mathématique,
que l’on proposait. Elle ne manque, en somme, pas de vraisem-
blance. Pendant son séjour chez Audran, Watteau a vu, aux abords
du Luxembourg, les seigneurs chamarrés, les belles dames de la
cour qui habitaient le palais. Les récits de leurs fantaisies amou-
reuses couraient les rues; il les a entendus. Leurs caprices n’avaient
rien de bien délicat, mais son imagination les tournait en galantes
aventures. Dans le jardin déjà vieux et mal peigné, il a vu des
couples passer sous les arbres, s’accouder aux balustrades. Le matin,
les bosquets se poudraient de rosée, le soir les amoureux s’om-
braient de brume. La collaboration de sa sensibilité maladive et de
son pinceau, assouplie déjà aux Délassements de comédiens, a méta-
morphosé tous ces éléments en Fêtes galantes. 11 n’y a pas de tran-
sition marquée entre les Fêtes et les Réunions de comédiens. L’évolu-
tion est insensible et sans doute inconsciente. 11 est peu probable
que la critique historique en retrouve jamais la trace matérielle.
PIERRE MARCEL
GAZETTE DES REAUX-ARTS
extrêmement noir. Les arbres n’y forment plus que des masses
opaques : les préparations empâtent presque complètement les deux
personnages debout derrière le musicien : elles ont rongé peut-être
aussi les moutons qui n’étaient indiqués que par des glacis et le
feutre de la danseuse du premier plan, qu’on devine aujourd’hui
plutôt qu’on ne le voit. Il est fort probable que d’abondants net-
toyages et de copieuses restaurations ont aggravé les méfaits du
temps.
Cette Danse ignorée méritait pourtant quelque attention. Il faut
noter précieusement toutes les œuvres de Watteau pour arriver à le
mieux connaître, et l’attribution inexacte menaçait de donner une
solution fausse à un problème de la vie du peintre. Il n’est plus
prouvé, maintenant, que Watteau a trouvé chez Gillot la formule des
Fêtes galantes. Il faut en revenir à l’expl ication, moins mathématique,
que l’on proposait. Elle ne manque, en somme, pas de vraisem-
blance. Pendant son séjour chez Audran, Watteau a vu, aux abords
du Luxembourg, les seigneurs chamarrés, les belles dames de la
cour qui habitaient le palais. Les récits de leurs fantaisies amou-
reuses couraient les rues; il les a entendus. Leurs caprices n’avaient
rien de bien délicat, mais son imagination les tournait en galantes
aventures. Dans le jardin déjà vieux et mal peigné, il a vu des
couples passer sous les arbres, s’accouder aux balustrades. Le matin,
les bosquets se poudraient de rosée, le soir les amoureux s’om-
braient de brume. La collaboration de sa sensibilité maladive et de
son pinceau, assouplie déjà aux Délassements de comédiens, a méta-
morphosé tous ces éléments en Fêtes galantes. 11 n’y a pas de tran-
sition marquée entre les Fêtes et les Réunions de comédiens. L’évolu-
tion est insensible et sans doute inconsciente. 11 est peu probable
que la critique historique en retrouve jamais la trace matérielle.
PIERRE MARCEL