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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
veut que la lithographie « serve de carnet de poche aux peintres » i,
et j’accorde qu’entre tous les modes d’expression à plusieurs exem-
plaires il ne s’en trouve pas de plus simple, de plus facile, de plus
rapide, de plus prompt en résultats ; à la différence de la gravure en
Creux ou en relief, elle n’exige la patience d’aucune initiation préa-
lable ; mais, si la pierre est douée d’incomparables vertus de diffu-
sion, si le dessin vient, selon le néologisme de Quatremère de
Quincy2, s’y « contre-épreuver » avec une fidélité rigoureuse, elle
n’en possède pas moins des ressources propres, inhérentes à la
matière même et dont tout venant ne saurait tirer un égal parti. Or,
■ M. Belleroclie est foncièrement lithographe, par instinct, par voca-
tion, à telles enseignes qu’on l'a vu d’emblée répudier l’emploi du
papier à report pour attaquer et triturer directement la pierre3. Il
s’est révélé à lui-même les secrets du métier. Son savoir n’a d’autre
origine que l’expérience et d’autre convoitise que l’adaptation judi-
cieuse des moyens à la fin. Sans formule, sans monotonie, le travail
change selon chaque sujet, utilise les procédés les plus variés, de
concert parfois. Tous les traitements, tous les tours de main sont
familiers à l’artiste : il peint au lavis, dessine au crayon, estompe
par des frottis de tortillon, ruse avec le grain de la pierre ou bien
en déchire l’épiderme à l’aide du papier de verre ou du grattoir.
Loin de s’arrêter à l’invention, ses soins surveillent et dirigent la
délicate manœuvre du tirage : elle s’accomplit à l’atelier, sur les
presses de l’auteur, et l’on ne s’étonne plus désormais de la poly-
chromie dont certaines épreuves offrent la bigarrure imprévue. 11
n’est pas jusqu’au choix des papiers qui ne préoccupe M. Belleroclie:
il recherche les feuilles de nuances rares, mauve ou vert d’eau, et
plus encore les papiers anciens, à grosses vergeures, sur l’ivoire
ambré desquels joue délicieusement l’éclat vif et chaud d’une san-
guine qu’il broie lui-même et qui vient d’Italie.
1. Le mot est de M. Bracquemond, et on le trouve dans son Rapport sur la gra-
vure et la lithographie à /’Exposition Universelle de 1889, p. 3.
2. Rapport sur la lithographie et particulièrement sur un recueil de dessins litho-
graphiés par M. Engelmann (1816).
3. Dans son Traite de la lithographie artistique (p. 33), le maître ouvrier
E. Duchatel dit excellemment : « Les papiers à report ne devraient être utilisés
par le dessinateur que pour faire une bonne mise en place de son dessin ». De
son côté M. Louis Huvey (dont nous ne partageons pas toutes les vues) remarque
non sans raison que « les lithographes originaux auraient intérêt à se persuader
que si la connaissance même approfondie des procédés ne remplace jamais le
talent, elle l’augmente chez un véritable artiste » (La Lithographie d’art, Paris,
Floury, éditeur, p. 32).
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
veut que la lithographie « serve de carnet de poche aux peintres » i,
et j’accorde qu’entre tous les modes d’expression à plusieurs exem-
plaires il ne s’en trouve pas de plus simple, de plus facile, de plus
rapide, de plus prompt en résultats ; à la différence de la gravure en
Creux ou en relief, elle n’exige la patience d’aucune initiation préa-
lable ; mais, si la pierre est douée d’incomparables vertus de diffu-
sion, si le dessin vient, selon le néologisme de Quatremère de
Quincy2, s’y « contre-épreuver » avec une fidélité rigoureuse, elle
n’en possède pas moins des ressources propres, inhérentes à la
matière même et dont tout venant ne saurait tirer un égal parti. Or,
■ M. Belleroclie est foncièrement lithographe, par instinct, par voca-
tion, à telles enseignes qu’on l'a vu d’emblée répudier l’emploi du
papier à report pour attaquer et triturer directement la pierre3. Il
s’est révélé à lui-même les secrets du métier. Son savoir n’a d’autre
origine que l’expérience et d’autre convoitise que l’adaptation judi-
cieuse des moyens à la fin. Sans formule, sans monotonie, le travail
change selon chaque sujet, utilise les procédés les plus variés, de
concert parfois. Tous les traitements, tous les tours de main sont
familiers à l’artiste : il peint au lavis, dessine au crayon, estompe
par des frottis de tortillon, ruse avec le grain de la pierre ou bien
en déchire l’épiderme à l’aide du papier de verre ou du grattoir.
Loin de s’arrêter à l’invention, ses soins surveillent et dirigent la
délicate manœuvre du tirage : elle s’accomplit à l’atelier, sur les
presses de l’auteur, et l’on ne s’étonne plus désormais de la poly-
chromie dont certaines épreuves offrent la bigarrure imprévue. 11
n’est pas jusqu’au choix des papiers qui ne préoccupe M. Belleroclie:
il recherche les feuilles de nuances rares, mauve ou vert d’eau, et
plus encore les papiers anciens, à grosses vergeures, sur l’ivoire
ambré desquels joue délicieusement l’éclat vif et chaud d’une san-
guine qu’il broie lui-même et qui vient d’Italie.
1. Le mot est de M. Bracquemond, et on le trouve dans son Rapport sur la gra-
vure et la lithographie à /’Exposition Universelle de 1889, p. 3.
2. Rapport sur la lithographie et particulièrement sur un recueil de dessins litho-
graphiés par M. Engelmann (1816).
3. Dans son Traite de la lithographie artistique (p. 33), le maître ouvrier
E. Duchatel dit excellemment : « Les papiers à report ne devraient être utilisés
par le dessinateur que pour faire une bonne mise en place de son dessin ». De
son côté M. Louis Huvey (dont nous ne partageons pas toutes les vues) remarque
non sans raison que « les lithographes originaux auraient intérêt à se persuader
que si la connaissance même approfondie des procédés ne remplace jamais le
talent, elle l’augmente chez un véritable artiste » (La Lithographie d’art, Paris,
Floury, éditeur, p. 32).