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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 39.1908

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Nr. 6
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Laloy, Louis: Chronique musicale
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https://doi.org/10.11588/diglit.24866#0552
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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

comme un berger; une Phèdre en corsage et jupe bouffante eût moins étonné
que cette Phèdre enveloppée d’un voile aux ramages éclatants, dont Gustave Mo-
reau eût fait ses délices ; car son langage ni ses sentiments, dans l’opéra de
Rameau, n’ont rien de barbare : elle aime, n’est pas aimée, exhale sa plainte à
la « cruelle mère des Amours », et se repent d’une ruse d’OEnone où elle n’est
pour rien. L’amour, à l’Opéra, n’est jamais criminel : c’est une passion
douce, qui enchante et ravit les cœurs, et le désir, qui toujours l’accompagne,
l’attendrit de volupté. L’esprit de ces ouvrages, c’est l’esprit de la cour, et d’une
société où l’on ne vit que pour le plaisir. C’est pourquoi la violence en est exclue,
la fidélité n’y est qu’une forme de langage, et la simplicité serait une faute, car
elle dévoilerait ce qu'il y a bien plus de charme à laisser entendre. Tout s’y
passe en allusions comprises, en respects qui promettent mieux que du respect,
et en fuites qui veulent être rejointes. La musique n’a garde d’oublier ses révé-
rences, ses mouches et sa poudre : ce sont ses phrases cadencées, ses agréments
et ses trilles. Pourquoi priver les acteurs de leurs atours? Ces bras nus qu’on
brandit conviennent à l’éloquence de Gluck, non à l’élégance de Rameau.

Les costumes des danseurs ne différaient pas de ceux des acteurs, exception
faite pour les monstres, Furies et Démons, vêtus de peaux de bêtes, le fouet et
la torche aux mains. Tous les autres portaient, qui l’habit et le manteau, qui la
jupe bouffante et le corsage étroit; on reconnaissait cependant les bergers à
leur houlette, les bergères à leurs guirlandes de fleurs, Diane au croissant dont
s’adorne son front, les matelotes aux quadrillages de l’étoffe qui feignent un
tricot. On a fait disparaître ces insignes ingénieux, et l’on a prescrit au corps
de ballet tout entier de légères tuniques d’ombres heureuses. Comme, d’autre
part, les danseurs sont aujourd’hui en nombre infime, on a dû renoncer aux
danses par couples, menuets et gavottes, nettement réclamées par la musique,
et on les a remplacées parde vagues pantomimes. Rien de plus contraire au goût
d’une époque où le ballet était encore un bal, comme à la cour, avec plus de
fantaisie seulement.

Le résultat fut que l’on ne pouvait se livrer ni aux impressions du spectacle,
ni à celles de la symphonie, parce qu’elles ne s’accordaient pas. Et sans doute
la musique de Rameau est si forte, qu’on en a senti ou deviné, malgré tout, les
beautés; mais combien les effets en eussent été renforcés, si l’on avait su y con-
former les décors, le costume et les mouvements! Je ne crois pas cju’alors un
seul spectateur, des fauteuils au dernier des amphithéâtres, fût resté indifférent
à cette évocation d’une fête galante, où les plus tendres rêves de Watteau se
fussent animés devant nos yeux. Et sans doute on dira que le costume, dans les
tableaux de Watteau, est moins solennel, et que la nature s’y montre une amie
plus familière et moins réservée que sur la scène de l’Opéra. Mais c’est là une
différence qui tient à la nature même des genres et qui n’empêche pas la ressem-
blance du style et du sentiment. La reprise d’Hippolyte et Aride n’est qu’un pre-
mier essai, timide encore. Castor et Pollux, ou les Indes Galantes, sauront nous
montrer, quand leur tour viendra, l’air et la mine dont la musique donne l’idée.

LOUIS LALOY
 
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