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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 39.1908

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Nr. 6
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Laloy, Louis: Chronique musicale
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https://doi.org/10.11588/diglit.24866#0551

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CHRONIQUE MUSICALE

51o

qu’il écrit pour la voix Q et Diderot lui-même, qui ne l’aime guère, est d’avis
que ses airs de danse « dureront éternellement » 1 2. Or cette musique, la plus
précise peut-être qu’on ait jamais écrite, est faite pour un certain décor, de cer-
tains costumes et de certains pas, non pour d’autres. En changeant le spectacle
qui doit l’accompagner, on lui fait le plus grand tort.

Nous n’avons pas de documents qui nous renseignent sur la mise en scène
d'Hippolyte et Aride lors de sa première représentation, le 1er octobre 1733 ; mais
il n’était pas difficile de s’en approcher, d’après des gravures de l’époque et des
années suivantes 3. Tous les décors étaient plantés symétriquement, de chaque
côté de la scène, de manière à la laisser libre. Les forêts mêmes s’y réduisent à
une avenue d’arbres aux arceaux réguliers : ces forêts sont des parcs, et la musi-
que ne nous parle, en effet, que d’une nature régulière et parée comme il sied
pour une fête royale. L’horreur romantique, le sentiment de l’infini, ou la paix
des solitudes en prières, lui sont également inconnus. C’est donc une erreur que
de détacher ces arbres sur le ciel, comme on a fait au prologue et au dernier
tableau, et même il valait mieux, au troisième acte, laisser le palais de Thésée à
T avant-scène, sous la forme d’une baie bien ouverte, la mer peinte sur la toile
de fond. Car c’est une mer très théorique, sans vagues et sans murmure, dont la
seule prérogative est de nourrir des monstres. Le décor du premier acte est assez
bien compris, car il représente un temple de Diane, d’une architecture géomé-
trique, décoré en son milieu d’une statuette dont la coquetterie est peut-être
exagérée. Il était bon cependant de se souvenir que Diane est la déesse des forêts,
et qu’une perspective d'arbres, sur les deux bords delà scène, lui était un attribut
nécessaire : les divertissements de cet acte ont un caractère pastoral qui ne se
comprend guère sans un peu de ce feuillage qui, bien taillé, se marie si bien à
la douceur grise des pierres. Quant au décor des Enfers, il nous montre bien les
« affreux rochers » d’usage, mais il en donne trop, et la scène de l’Opéra, qu’on a
voulu remplir, en est presque encombrée. De plus, le texte semble demander ici
un changement à vue, puisque d’abord Thésée se présente devant Pluton, à
l’entrée du sombre royaume, dont toute l’horreur ensuite lui est découverte, et
la musique indique bien cette progression. Le changement à vue était un des
artifices les plus chers à l’ancien opéra, et l’on a eu torl aussi de supprimer celui
du dernier acte, où le palais de Thésée s’efface pour laisser voir « les jardins
délicieux qui forment les avenues de la forêt d’Aricie » ; car il y avait là, pour le
musicien, motif à un contraste du plus grand effet, dont on l’a privé.

Les costumes laissent plus à désirer que les décors : à cette musique héroïque
et galante il fallait un habit plutôt ajusté que drapé. Hippolyte portait un
casque ou un chapeau à plumes, car il est prince, et on le fait aller nu-tête

1. Chabanon, Éloge de M. Rameau, p. 19: « Rameau, comme symphoniste d’opéra,
n’eut jamais de modèle ni de rival, et nous ne craignons pas d’affirmer hautement
qu’après toutes les révolutions que fart pourra subir, lorsqu’il sera porté à sa plus
haute perfection par quelque peuple que ce soit, alors même ce sera beaucoup faire
que d’égaler notre artiste dans cette partie et de mériter d’être placé à côté de lui. »

2. Dans le Neveu de Rameau.

3. Cette question a été étudiée par M. Imbart de la Tour dans un fort intéressant
article, La Mise en scène d' « Hippolgle et Aride » (S. I. Mrevue de la Société inter-
nationale de musique, 13 mars 1908, p. 217), auquel on pourra se reporter pour les dé-
tails et les figures.
 
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