Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (3. Pér. 39.1908)

LES SALONS DE 1908

(deuxième article1)

Je n’aurais pas demandé mieux, aimant l’ordre, que de classer
un peu les peintres dont je vais parler. Oui, je les distribuerais
en plusieurs groupes dont j’indiquerais les caractères; et il ne
serait pas alors très difficile d’organiser cela logiquement : le lecteur
se plairait, sans doute, à voir une idée qui se déroule et à suivre les
épisodes d’une telle aventure ingénieusement dialectique. Nous
aboutirions, avec un air de ne l’avoir pas prémédité, à une conclu-
sion si naturelle qu’en vérité elle s’imposerait. Et, moi, je semble-
rais un arithméticien qui, ayant posé ses chiffres et procédant de
façon correcte, arrive à un résultat dont il n’est pas le maître. Quelle
autorité acquerrait, de la sorte, mon jugement final !...

C’était bien tentant. Mais j’ai dû renoncer aux avantages de cette
méthode. Si je l’avais employée, je n’aurais pas été sincère; et mon
lecteur risquait de s’en apercevoir : en tout cas, je souffrais de cette
habile déloyauté.

En effet, ce qui me frappe, dans l’art contemporain tel que la So-
ciété Nationale des Beaux-Arts nous le présente, c’est le désordre. Il
n’y a plus d’écoles; il n’y a plus de goût général, ni même de goût
prédominant; il n’y a seulement plus un impérieux snobisme qui
assemble les tentatives particulières.

Alors, si je donnais une apparence d’ordre ou de logique à ma
description de tant de peintures incohérentes, je fausserais l’opinion
que j’en ai.

1. V. Gazette des Beaux-Arts, 1908, 1.1, p. 353.