Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (3. Pér. 39.1908)

LES SALONS DE 1908

(premier article)

On m’a raconté que, jadis, un jeune normalien, quittant l’École
et projetant de faire en Italie un voyage d’études, alla trouver
Taine et lui dit :

— Maître, avant de partir, j’ai désiré de causer avec vous et de
prendre vos conseils...

Ce jeune homme, qui était déjà très savant, devint ensuite l’un
de nos grands érudits, un rigoureux commentateur de textes, un
sévère éditeur d’archives.

Taine l’accueillit avec bienveillance et, l’invitant à s’asseoir,
l’interrogea tout de go :

— Eh bien ! voyons, quelles sont les idées que vous allez vérifier
là-bas?...

Il me semble que Taine est ici tout entier, avec son habitude
d’esprit, sa méthode. Le jeune homme qu’il interpellait ainsi n’allait
pas vérifier, en Italie, des idées; même, il ne comptait peut-être
pas en rapporter de son voyage : ce n’était pas son affaire, et il
cherchait des documents. Je crois qu’il fut un peu surpris de voir
Taine qui d’abord avait une idéologie et puis en demandait aux faits
l’ornement.

On pourrait épiloguer là-dessus. Mais, d’ailleurs, qu’on le veuille
ou non, jamais on n’aborde les faits avec une absolue innocence.
Les intelligences humaines ne sont pas comparables à des miroirs
théoriques où la réalité viendrait se réfléchir exactement pareille à
elle-même. Nos préférences compliquées modifient le spectacle des
choses; et, en un temps comme le notre, il n’est pas un spectateur

XXXIX.

3' PÉRIODE.

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