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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 39.1908

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Nr. 6
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Laloy, Louis: Chronique musicale
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https://doi.org/10.11588/diglit.24866#0550

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

ancienne. C’est au premier parti qu’on s'est, arrêté, parce qu’il a semblé plus
prudent, et qu’il faut, à une salle aussi vaste que celle de notre Opéra, non
seulement un grand succès, mais un succès de grand public. 11 va sans dire que
nous formons des vœux pour que la reprise d’Hippolyte et Aride soit une bonne
affaire autant qu’une généreuse entreprise. Reste à savoir si la hardiesse n’est,
pas, dans certains cas, plus prudente que la prudence.

On invoquera le goût du jour, l’habitude de nos yeux, et l’exemple de la tra-
gédie classique : il est certain qu’elle ne se joue plus aujourd’hui comme au temps
de sa jeunesse, qu’elle n’habite plus sous la voûte d’un palais à tout faire, et
que ses héros ne portent plus perruque. Mais il y a une grande différence :
c’est que la tragédie vraiment classique s’inquiète peu de ce qui l’entoure. Le
lieu véritable de son action est le cœur de ses personnages, et le spectacle est
accessoire ; il ne lui est pas interdit d’être agréable, mais ni Polyeucte, ni Horace,
ni Andromaque ou même Phèdre n’ont un regard pour lui. De telles pièces
peuvent être jouées dans les décors les plus différents, sans que la peinture des
passions, qui en fait l’intérêt, ait quoi que ce soit à perdre ou à gagner. Or, dans
l’ancien opéra, le spectacle est presque tout. Il ne faut pas se laisser prendre à
ce simulacre de tragédie qui se joue entre quelques princes et princesses aux
noms pompeux : ce n’est qu’un prétexte à amener un divertissement guerrier ou
pastoral, un vol de démons ou une danse de zéphirs, une apparition de l’Amour
entouré des Grâces et des Ris ou une fureur de monstre. La Bruyère, qui est
un délicat, l’entend bien ainsi 1 : « G’est prendre le change et cultiver un mauvais
goût de dire, comme l’on fait, que la machine n’est qu’un amusement d’enfants
et qui ne convient qu’aux marionnettes; elle augmente et embellit la fiction,
soutient dans les spectateurs cette douce illusion qui est tout le plaisir du théâtre,
où elle jette encore le merveilleux ». Et il conclut: « Le propre de ce spectacle
est de tenir les esprits, les yeux et les oreilles dans un égal enchantement ».

Ce qu’on voit fait donc partie intégrante de la pièce, et n’en peut être détaché.
J’entends bien que le poète y a fort peu de part, que si Quinault indique qu’à tel
endroit Prolée sort de la mer, si La Motte veut qu’on fasse apparaître devant
Amadis le « perron enflammé » qui, avant la Walkyrie, défendait Niquée de
l’approche du lâche, ou si enfin le bon abbé Pellegrin demande tour à tour
des prêtresses de Diane, des divinités infernales, des Trézéniens, des matelots,
des chasseurs et chasseresses, une grande liberté est laissée à l’auteur des
machines et au dessinateur des costumes, pour exaucer ces vœux sommaires. Mais
le musicien est beaucoup plus explicite: car c’est lui qui soutient de ses sym-
phonies les merveilles du spectacle, supplée à ce qu’une exécution matérielle a
toujours de grossier, ouvre, en ces espaces barrés de toiles peintes, les perspectives
du rêve. C’est là qu’il se sent vraiment le maître, n’étant pas gêné par des paroles
qu’il faut suivre, et qui souvent sont bien pauvres de sens. Aussi voit-on que le
divertissement tient plus de place, dans l’ancien opéra, à mesure que la musique
y devient plus libre et plus riche. Au temps de Rameau, il y a, sur trois heures
de théâtre, au moins une heure de danse 2, et c’est justice; tous les contem-
porains s’accordent à mettre les symphonies de Rameau bien au-dessus de ce

1. Les Caractères : Des ouvrages de l’esprit.

2. C’est ce que remarque Durey de Noinville en son Histoire du théâtre de l'Opéra
(1751), t. 1, p. 66.
 
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