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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
ment en faveur de l’origine strasbourgeoise du Spéculum, puisque les deux ma-
nuscrits en question sont manifestement d’origine italienne, c’est-à-dire écrits et
illustrés en Italie.
D’ailleurs, le but principal de la publication est d’indiquer à quelles sources
l’auteur, quel qu’il soit, a puisé, pour quelles raisons souvent assez futiles il s’est
décidé à choisir dans l’Ancien Testament et aussi dans d’autres livres les scènes
qu’il considère comme les préfigures des divers événements de la vie du Christ
et de la Vierge.
Cette première partie du travail est tout à fait remarquable : je vois dans la
seconde un intérêt non pas peut-être plus grand, mais plus pratique. On y
trouvera très clairement exposée, et rendue manifeste par de nombreuses repro-
ductions de miniatures, de vitraux et de tapisseries, l'influence de ce livre d’images
sur l’iconographie religieuse à partir du xivc siècle. La connaissance approfondie
du sujet a permis aux auteurs de relever chez leurs devanciers bien des inexac-
titudes, de redresser bien des erreurs. Cela ne va pas toujours sans une certaine
vivacité qui étonne un peu. MM. Lutz et Perdrizet ne paraissent pas, il est vrai,
avoir été moins sévères pour eux-mêmes que pour les autres. Leur ouvrage, qui
est fait avec une grande conscience, témoigne d’un labeur énorme : ils devront
s’en tenir récompensés par la gratitude de tous ceux dont ils auront facilité les
travaux. Peut-être même le nombre de ces derniers sera-t-il plus grand que les
auteurs ne font pensé.
C’est surtout l’influence du Spéculum en Alsace qu’ils ont voulu montrer. Il
n’est pas interdit de croire que cette influence a été presque aussi décisive, sinon
en Italie, toujours un peu réfractaire au mysticisme septentrional, du moins en
France, et spécialement dans la région parisienne. Peut-être n’y découvrirait-on
pas beaucoup de vitraux inspirés du Spéculum; mais les enlumineurs lui ont
fait certainement de copieux emprunts. De ce fait, l’ouvrage de MM. Lutz et
Perdrizet déborde sans doute le cadre qu’ils lui ont donné et fournira une aide
précieuse à ceux qui suivent dans les manuscrits les progrès de l’art pictural au
Moyen âge.
Je n’entends pas dire que les miniaturistes aient copié servilement les images
du Spéculum en leur attribuant le même sens mystique ou symbolique; mais il
est certain qu’à partir du dernier tiers du xive siècle les exemplaires illustrés
de cet ouvrage ont été assez répandus pour exercer une influence réelle sur les
enlumineurs de la France proprement dite. Le Spéculum donne, par exemple, la
cruelle Tomyris, reine des Massagètes, qui fit plonger la tête coupée de Cyrus
dans un tonneau plein de sang, comme une préfigure de la Vierge victorieuse
du démon parla part qu’elle prend à la Passion de son Fils. Qu’un peintre du duc
de Berry ou de Jean sans Peur ait à illustrer, dans le traité de Boccace des Cas
des nobles hommes et femmes, le chapitre 22 du livre If, qui, entre plusieurs
autres tragiques événements, rappelle cette scène de sauvagerie, ie seul nom
de Tomyris rencontré dans le texte remettra devant les yeux de l’artiste l’image
du Spéculum qui lui est familière, et il s’en inspirera si bien, que son dessin
semblera parfois n’en être qu’un décalque. On pourrait citer beaucoup d’exemples
analogues. Il paraît donc probable que les illustrations de ce livre ont été
connues d’un très grand nombre de peintres et que les manuscrits en ont dû,
à un moment, être considérés comme de véritables albums de modèles où l’on
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ment en faveur de l’origine strasbourgeoise du Spéculum, puisque les deux ma-
nuscrits en question sont manifestement d’origine italienne, c’est-à-dire écrits et
illustrés en Italie.
D’ailleurs, le but principal de la publication est d’indiquer à quelles sources
l’auteur, quel qu’il soit, a puisé, pour quelles raisons souvent assez futiles il s’est
décidé à choisir dans l’Ancien Testament et aussi dans d’autres livres les scènes
qu’il considère comme les préfigures des divers événements de la vie du Christ
et de la Vierge.
Cette première partie du travail est tout à fait remarquable : je vois dans la
seconde un intérêt non pas peut-être plus grand, mais plus pratique. On y
trouvera très clairement exposée, et rendue manifeste par de nombreuses repro-
ductions de miniatures, de vitraux et de tapisseries, l'influence de ce livre d’images
sur l’iconographie religieuse à partir du xivc siècle. La connaissance approfondie
du sujet a permis aux auteurs de relever chez leurs devanciers bien des inexac-
titudes, de redresser bien des erreurs. Cela ne va pas toujours sans une certaine
vivacité qui étonne un peu. MM. Lutz et Perdrizet ne paraissent pas, il est vrai,
avoir été moins sévères pour eux-mêmes que pour les autres. Leur ouvrage, qui
est fait avec une grande conscience, témoigne d’un labeur énorme : ils devront
s’en tenir récompensés par la gratitude de tous ceux dont ils auront facilité les
travaux. Peut-être même le nombre de ces derniers sera-t-il plus grand que les
auteurs ne font pensé.
C’est surtout l’influence du Spéculum en Alsace qu’ils ont voulu montrer. Il
n’est pas interdit de croire que cette influence a été presque aussi décisive, sinon
en Italie, toujours un peu réfractaire au mysticisme septentrional, du moins en
France, et spécialement dans la région parisienne. Peut-être n’y découvrirait-on
pas beaucoup de vitraux inspirés du Spéculum; mais les enlumineurs lui ont
fait certainement de copieux emprunts. De ce fait, l’ouvrage de MM. Lutz et
Perdrizet déborde sans doute le cadre qu’ils lui ont donné et fournira une aide
précieuse à ceux qui suivent dans les manuscrits les progrès de l’art pictural au
Moyen âge.
Je n’entends pas dire que les miniaturistes aient copié servilement les images
du Spéculum en leur attribuant le même sens mystique ou symbolique; mais il
est certain qu’à partir du dernier tiers du xive siècle les exemplaires illustrés
de cet ouvrage ont été assez répandus pour exercer une influence réelle sur les
enlumineurs de la France proprement dite. Le Spéculum donne, par exemple, la
cruelle Tomyris, reine des Massagètes, qui fit plonger la tête coupée de Cyrus
dans un tonneau plein de sang, comme une préfigure de la Vierge victorieuse
du démon parla part qu’elle prend à la Passion de son Fils. Qu’un peintre du duc
de Berry ou de Jean sans Peur ait à illustrer, dans le traité de Boccace des Cas
des nobles hommes et femmes, le chapitre 22 du livre If, qui, entre plusieurs
autres tragiques événements, rappelle cette scène de sauvagerie, ie seul nom
de Tomyris rencontré dans le texte remettra devant les yeux de l’artiste l’image
du Spéculum qui lui est familière, et il s’en inspirera si bien, que son dessin
semblera parfois n’en être qu’un décalque. On pourrait citer beaucoup d’exemples
analogues. Il paraît donc probable que les illustrations de ce livre ont été
connues d’un très grand nombre de peintres et que les manuscrits en ont dû,
à un moment, être considérés comme de véritables albums de modèles où l’on