FRAGMENTS D’UN LIVRE SUR COURBET
'il
beaux yeux, qui s’ouvraient si largement devant la nature et ana-
lysaient avec tant de sûreté ses harmonies colorées, se fermèrent;
cette main puissante qui, par la brosse et le couteau à palette, avec
une justesse que personne n’a encore atteinte, reproduisait le spec-
tacle des choses et donnait la sensation même de la vie, retomba
inerte : Gustave Courbet n’était plus (31 décembre 1877). La mort
est la pacification suprême. En éloignant l’athlète, en arrêtant le
combat, elle désarme les passions irritées, le calme se fait autour
de la mémoire. Les haines s’en vont, les rivalités s’effacent, et la
justice, qui se taisait, se lève pour formuler l’inéluctable jugement.
La mémoire de Courbet a déjà bénéficié, dans une large mesure,
de cette'disposition favorable des esprits.
L’exposition posthume de ses œuvres à l’Ecole des Beaux-Arts
en mai 1882, a eu un succès imprévu. C’a été comme une révéla-
tion. On avait beaucoup parlé de Courbet pendant sa vie, on le
connaissait fort peu malgré la presse incertaine ; le monde est
accouru; chaque jour des équipages. Une jeune duchesse, à qui on
ne connaissait pas ce goût, faisait de la propagande. On commençait
à comprendre la couleur et L’harmonie; la jeunesse étonna. Entraîné
par le mouvement d’opinion, le gouvernement ne put se dispenser
d’intervenir dans la vente qui suivit l’exposition, et, dans la salle
des ventes, quand on annonça au public que le Combat de Cerfs,
Y Hallali, Y Homme blessé, Y Homme à la ceinture de cuir venaient
d’être acquis par l’Etat et que ces magnifiques tableaux ne quit-
teraient pas la France, des applaudissements éclatèrent. Mlle Juliette
Courbet compléta, en donnant Y Enterrement au Louvre.
L’avenir, il faut l’espérer, déterminera sa force et lui assignera
son véritable rang.
C’était un des principes de Courbet que la beauté est répandue
dans les choses et que la nature, dans la combinaison des formes
et des couleurs, possède une fécondité d’invention qui défie toute
concurrence humaine. « Pourquoi chercherais-je dans le monde ce
qui n’y est pas? » disait-il, « et irais-je défigurer par des efforts
d’imagination tout ce qui s’y trouve? »
Là fut la règle constante de sa vie et la véritable explication de
son art. Il ne peignait que ce qu’il voyait. L’excitation chez lui ne
provenait pas du mouvement propre de la pensée; elle venait des
sens, du spectacle extérieur. Une chose qu’il n’eût pas vue, il n’eût
pas pu la peindre. C’est ainsi qu’il n’a jamais fait de Nymphes; mais
il a fait, et tout naturellement, des Baigneuses, substitant l’image
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beaux yeux, qui s’ouvraient si largement devant la nature et ana-
lysaient avec tant de sûreté ses harmonies colorées, se fermèrent;
cette main puissante qui, par la brosse et le couteau à palette, avec
une justesse que personne n’a encore atteinte, reproduisait le spec-
tacle des choses et donnait la sensation même de la vie, retomba
inerte : Gustave Courbet n’était plus (31 décembre 1877). La mort
est la pacification suprême. En éloignant l’athlète, en arrêtant le
combat, elle désarme les passions irritées, le calme se fait autour
de la mémoire. Les haines s’en vont, les rivalités s’effacent, et la
justice, qui se taisait, se lève pour formuler l’inéluctable jugement.
La mémoire de Courbet a déjà bénéficié, dans une large mesure,
de cette'disposition favorable des esprits.
L’exposition posthume de ses œuvres à l’Ecole des Beaux-Arts
en mai 1882, a eu un succès imprévu. C’a été comme une révéla-
tion. On avait beaucoup parlé de Courbet pendant sa vie, on le
connaissait fort peu malgré la presse incertaine ; le monde est
accouru; chaque jour des équipages. Une jeune duchesse, à qui on
ne connaissait pas ce goût, faisait de la propagande. On commençait
à comprendre la couleur et L’harmonie; la jeunesse étonna. Entraîné
par le mouvement d’opinion, le gouvernement ne put se dispenser
d’intervenir dans la vente qui suivit l’exposition, et, dans la salle
des ventes, quand on annonça au public que le Combat de Cerfs,
Y Hallali, Y Homme blessé, Y Homme à la ceinture de cuir venaient
d’être acquis par l’Etat et que ces magnifiques tableaux ne quit-
teraient pas la France, des applaudissements éclatèrent. Mlle Juliette
Courbet compléta, en donnant Y Enterrement au Louvre.
L’avenir, il faut l’espérer, déterminera sa force et lui assignera
son véritable rang.
C’était un des principes de Courbet que la beauté est répandue
dans les choses et que la nature, dans la combinaison des formes
et des couleurs, possède une fécondité d’invention qui défie toute
concurrence humaine. « Pourquoi chercherais-je dans le monde ce
qui n’y est pas? » disait-il, « et irais-je défigurer par des efforts
d’imagination tout ce qui s’y trouve? »
Là fut la règle constante de sa vie et la véritable explication de
son art. Il ne peignait que ce qu’il voyait. L’excitation chez lui ne
provenait pas du mouvement propre de la pensée; elle venait des
sens, du spectacle extérieur. Une chose qu’il n’eût pas vue, il n’eût
pas pu la peindre. C’est ainsi qu’il n’a jamais fait de Nymphes; mais
il a fait, et tout naturellement, des Baigneuses, substitant l’image