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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
fonde, et l’on pouvait se promener longtemps à travers le paysage, en
éprouvant de plus en plus intense l’impression que donne la nature...1
Si Rousseau, de plus en plus, délaissait ainsi l’accidentel pour
s’attacher à une sorte de permanence de la lumière, c’est qu’il y était
porté par cette gravité d’observation qui constituait le fond de sa
nature. Toujours,jusque-là,dans ses œuvres aux fugitifs phénomènes
aériens, se trouvaient opposées la stabilité de la forme, la vitalité in-
terne des choses et, vers l’horizon, la sensation du globe qui tourne,
comme l’a écrit Charles Blanc, et, par-dessous le champ, celle de la
masse terrestre qui le soutient, comme l’a fait observer Ernest Ches-
neuu. La nature ne s’offrait pas à son sentiment de réaliste aune
échelle moindre que ne la concevait auparavant l’esprit classique dans
ses habitudes de généralisation. Toujours, au-dessous de la particula-
rité de ses notations, se laissait deviner comme un fond de pérennité
et d'universalité. De là à en faire planer l’impression dans le champ
aérien, il y avait un acheminement naturel, auquel il se prêta tout à
fait quand la pleine maturité de l’âge vint apaiser ses sensations.
Les visiteurs du Salon de 1859 comprirent moins encore cette évo-
lution quand elle s’offrit à leur jugement dans un motif aussi volon-
tairement modeste que celui de la Ferme dans les Landes. Comment !
aller faire appel au souvenir d’un voyage en une lointaine et
particulière région, et ne tirer de là qu’une donnée à ce point dénuée
de pittoresque! — « Rien ne vaut que par la compréhension de
l’agence universelle de l’air, ce modelé de l’infini», répondait Théo-
dore Rousseau, « rien ne peut empêcher qu’une borne autour de
laquelle l’air semble circuler ne soit une plus grande conception
que l’œuvre ambitieuse qui manquera de ce génie. » — « Mais ces
arbres n’ont aucun relief, ils s’étalent en espalier sur le fond uni
de ce ciel2 !... » ■—« Ils ne veulent de relief que celui qu’ils emprun-
tent à l’air et se trouvent réellement modelés si le tableau semble
vivre de son atmosphère... » Publiée dans un journal, la lettre où
il exposait ainsi ses raisons paraissait aussi énigmatique que la fac-
ture du tableau, et il était obligé d’y ajouter un commentaire. Cepen-
dant, cette immobile évocation d’un plein midi, devant laquelle pas-
1. Gazette des Beaux-Arts, 1887, t. II, p. 253.
2. Castagnary ferait cette observation à proposée la Clairière dans la forêt de
Fontainebleau exposée au Salon de 1867. Mais la même critique s’adressait déjà
à la Ferme dans les Landes dans laquelle il reprochait au bleu du ciel et au vert,
des arbres leur intensité trop égale.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
fonde, et l’on pouvait se promener longtemps à travers le paysage, en
éprouvant de plus en plus intense l’impression que donne la nature...1
Si Rousseau, de plus en plus, délaissait ainsi l’accidentel pour
s’attacher à une sorte de permanence de la lumière, c’est qu’il y était
porté par cette gravité d’observation qui constituait le fond de sa
nature. Toujours,jusque-là,dans ses œuvres aux fugitifs phénomènes
aériens, se trouvaient opposées la stabilité de la forme, la vitalité in-
terne des choses et, vers l’horizon, la sensation du globe qui tourne,
comme l’a écrit Charles Blanc, et, par-dessous le champ, celle de la
masse terrestre qui le soutient, comme l’a fait observer Ernest Ches-
neuu. La nature ne s’offrait pas à son sentiment de réaliste aune
échelle moindre que ne la concevait auparavant l’esprit classique dans
ses habitudes de généralisation. Toujours, au-dessous de la particula-
rité de ses notations, se laissait deviner comme un fond de pérennité
et d'universalité. De là à en faire planer l’impression dans le champ
aérien, il y avait un acheminement naturel, auquel il se prêta tout à
fait quand la pleine maturité de l’âge vint apaiser ses sensations.
Les visiteurs du Salon de 1859 comprirent moins encore cette évo-
lution quand elle s’offrit à leur jugement dans un motif aussi volon-
tairement modeste que celui de la Ferme dans les Landes. Comment !
aller faire appel au souvenir d’un voyage en une lointaine et
particulière région, et ne tirer de là qu’une donnée à ce point dénuée
de pittoresque! — « Rien ne vaut que par la compréhension de
l’agence universelle de l’air, ce modelé de l’infini», répondait Théo-
dore Rousseau, « rien ne peut empêcher qu’une borne autour de
laquelle l’air semble circuler ne soit une plus grande conception
que l’œuvre ambitieuse qui manquera de ce génie. » — « Mais ces
arbres n’ont aucun relief, ils s’étalent en espalier sur le fond uni
de ce ciel2 !... » ■—« Ils ne veulent de relief que celui qu’ils emprun-
tent à l’air et se trouvent réellement modelés si le tableau semble
vivre de son atmosphère... » Publiée dans un journal, la lettre où
il exposait ainsi ses raisons paraissait aussi énigmatique que la fac-
ture du tableau, et il était obligé d’y ajouter un commentaire. Cepen-
dant, cette immobile évocation d’un plein midi, devant laquelle pas-
1. Gazette des Beaux-Arts, 1887, t. II, p. 253.
2. Castagnary ferait cette observation à proposée la Clairière dans la forêt de
Fontainebleau exposée au Salon de 1867. Mais la même critique s’adressait déjà
à la Ferme dans les Landes dans laquelle il reprochait au bleu du ciel et au vert,
des arbres leur intensité trop égale.