GAZETTE DES BEAUX-ARTS
26
flèches sont lancées sur lui par ses archers ; elles retombent inertes ou
restent suspendues en l’air. L’une d’elles, rebroussant chemin, crève l’œil du
roi, mais une goutte du sang de Christophe recueilli après sa décollation,
mêlée d’un peu de terre, suffit à guérir le blessé, qui se convertit à son tour
et rend hommage à son sauveur.
D’après un ouvrage publié en 1919, à Munich, par M. E.-K, Stahl1,
jusqu'au xe siècle les compilateurs de légendes ne faisaient pas encore du
géant un porte-Christ et les artistes ne le représentaient pas comme tel.
Cette transformation du personnage ne commence qu’au xii“ siècle2. C’est
au xiiic, affirme-t-il, que la légende ainsi embellie se répandit dans tous les
pays et que le Chrislophore devint l’objet d’une vénération universelle.
Pour ma part, je suis convaincu que l’abondante diflusion de la Légende
Dorée du xme au xvi“ siècle3 a puissamment contribué à rendre populaire
un saint qui avait été favorisé par Dieu d’un honneur si extraordinaire.
Jacques de Voragine n’a probablement fait qu’enregistrer un épisode
poétique et touchant ajouté, dans le cours du siècle précédent, aux biogra-
phies antérieures. Au xmc siècle, la Légende Dorée a recueilli et fixé tous
les traits de celle prodigieuse aventure qui serviront de thème invariable aux
artistes. Elle attribue la conversion du géant à un ermite qui, pour péni-
tence. lui impose de mettre sa force au service des voyageurs et de s’établir
passeur au bord d’un fleuve ; elle fait porter à Reprobus sur ses épaules un
enfant qui, l’accablant de son poids, déclare ensuite être Celui qui a créé le
Monde et, pour preuve de son dire, fait reverdir le bâton planté en terre.
C’est donc sous cette forme propre à frapper l’imagination des simples, à
les convaincre de la toute-puissance divine, que l image du martyr se
répandit dans toute la chrétienté, fut proposée aux regards des fidèles par
des fresques aux frontons et aux murs des églises *, resplendit dans les
1. Die Legende des lieiligen Riesen Chrislophorus in der Graphik des XV‘m und XVllen
Jahrhunderls, 1 vol. in-fol. de 225 p., et 1 vol. de planches avec 2 pages de texte.
2. L’abbé Huot fait remonter au viii" siècle les premières images de saint Christophe,
mais sans fournir aucune preuve. 11 y aurait eu, dit un autre biographe ecclésiastique,
l’abbé Chavanne, dans le trésor de la Sainte-Chapelle du Palais, au xue siècle, une figure
en argent doré, du poids de 5 marcs, 1 once, 2 gros, sur une terrasse en verre supportée
par cinq lions, représentant ce saint.
6. Voir la préface de Teodor de Wyzewa à sa traduction de la Légende Dorée.
4- L’image de saint Christophe fut très populaire en Allemagne (voir le livre cite plus
haut de M. Stahl) ; elle se répandit aussi en Alsace et en Lorraine. Il y avait un Saint Chris-
tophe géant peint au mur Est du transept Sud de la cathédrale de Strasbourg ; il y en a
encore un, badigeonné jusqu’à la tête, puis repeint, au transept Sud de 1 abbaye Saint-Pierre
à Wissembourg ; on en a découvert un, en 1864, à l’église des Dominicains de Guebwiller,
aujourd’hui convertie en halle. R. Rahn (Geschichte der bildenden Künsle in der Schweiz;
Zurich, 1876, in-8) assure qu’on trouve fréquemment des représentations semblables dans
les églises des Grisons et du Tessin. La fresque de Zillis serait l’une des plus anciennes.
26
flèches sont lancées sur lui par ses archers ; elles retombent inertes ou
restent suspendues en l’air. L’une d’elles, rebroussant chemin, crève l’œil du
roi, mais une goutte du sang de Christophe recueilli après sa décollation,
mêlée d’un peu de terre, suffit à guérir le blessé, qui se convertit à son tour
et rend hommage à son sauveur.
D’après un ouvrage publié en 1919, à Munich, par M. E.-K, Stahl1,
jusqu'au xe siècle les compilateurs de légendes ne faisaient pas encore du
géant un porte-Christ et les artistes ne le représentaient pas comme tel.
Cette transformation du personnage ne commence qu’au xii“ siècle2. C’est
au xiiic, affirme-t-il, que la légende ainsi embellie se répandit dans tous les
pays et que le Chrislophore devint l’objet d’une vénération universelle.
Pour ma part, je suis convaincu que l’abondante diflusion de la Légende
Dorée du xme au xvi“ siècle3 a puissamment contribué à rendre populaire
un saint qui avait été favorisé par Dieu d’un honneur si extraordinaire.
Jacques de Voragine n’a probablement fait qu’enregistrer un épisode
poétique et touchant ajouté, dans le cours du siècle précédent, aux biogra-
phies antérieures. Au xmc siècle, la Légende Dorée a recueilli et fixé tous
les traits de celle prodigieuse aventure qui serviront de thème invariable aux
artistes. Elle attribue la conversion du géant à un ermite qui, pour péni-
tence. lui impose de mettre sa force au service des voyageurs et de s’établir
passeur au bord d’un fleuve ; elle fait porter à Reprobus sur ses épaules un
enfant qui, l’accablant de son poids, déclare ensuite être Celui qui a créé le
Monde et, pour preuve de son dire, fait reverdir le bâton planté en terre.
C’est donc sous cette forme propre à frapper l’imagination des simples, à
les convaincre de la toute-puissance divine, que l image du martyr se
répandit dans toute la chrétienté, fut proposée aux regards des fidèles par
des fresques aux frontons et aux murs des églises *, resplendit dans les
1. Die Legende des lieiligen Riesen Chrislophorus in der Graphik des XV‘m und XVllen
Jahrhunderls, 1 vol. in-fol. de 225 p., et 1 vol. de planches avec 2 pages de texte.
2. L’abbé Huot fait remonter au viii" siècle les premières images de saint Christophe,
mais sans fournir aucune preuve. 11 y aurait eu, dit un autre biographe ecclésiastique,
l’abbé Chavanne, dans le trésor de la Sainte-Chapelle du Palais, au xue siècle, une figure
en argent doré, du poids de 5 marcs, 1 once, 2 gros, sur une terrasse en verre supportée
par cinq lions, représentant ce saint.
6. Voir la préface de Teodor de Wyzewa à sa traduction de la Légende Dorée.
4- L’image de saint Christophe fut très populaire en Allemagne (voir le livre cite plus
haut de M. Stahl) ; elle se répandit aussi en Alsace et en Lorraine. Il y avait un Saint Chris-
tophe géant peint au mur Est du transept Sud de la cathédrale de Strasbourg ; il y en a
encore un, badigeonné jusqu’à la tête, puis repeint, au transept Sud de 1 abbaye Saint-Pierre
à Wissembourg ; on en a découvert un, en 1864, à l’église des Dominicains de Guebwiller,
aujourd’hui convertie en halle. R. Rahn (Geschichte der bildenden Künsle in der Schweiz;
Zurich, 1876, in-8) assure qu’on trouve fréquemment des représentations semblables dans
les églises des Grisons et du Tessin. La fresque de Zillis serait l’une des plus anciennes.