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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 5. Pér. 3.1921

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Nr. 2
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Escholier, Raymond: L' Orientalisme de Chassériau
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https://doi.org/10.11588/diglit.24941#0114

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IOO

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

« détrousser » Delacroix. Le mot est de Baudelaire, et l’on s’étonne qu’un
critique aussi subtil ait pu être abusé par celte seule coïncidence que deux
artistes figuraient au même Salon avec deux scènes analogues, deux repré-
sentations de grands chefs musulmans,

Si des tableaux comme Macbeth rencontrant les sorcières (Louvre) ou les
Chefs arabes se défiant (Louvre) nous troublent par leur imitation trop litté-
rale du dessin hachuré et de la palette rutilante de Delacroix, il suffit d’avoir
vu, l’un au Musée de Toulouse, l’autre au Musée de Versailles, ces deux
chefs-d’œuvre, Muley-Abd-er-Rahmann, sultan du Maroc et Ali-Hamed,
khalifat de Constantine, pour saisir à quel point ils sont dissemblables.

Peint avec une admirable sobriété, et le plus souvent à l’aide de tons purs,
ce qui surprend chez le maître de la Prise de Constantinople et ce qui con-
fère à la matière fluide et déliée une fraîcheur imprévue, le portrait du sultan
du Maroc s’offre à nous comme la plus savante harmonie colorée, réalisée
par Eugène Delacroix. Gomment se caractérise cette harmonie, Baudelaire
l’a saisi tout de suite. Comme tant d’autres, il ne s’est pas laissé entraîner
par l’audacieux effet du parasol vert sur le bleu puissant du ciel. Ce qu’il a
judicieusement admiré dans « ce tableau du grand coloriste », c’est qu'il fut,
« malgré la splendeur des tons », « gris comme la nature, gris comme
l'atmosphère de l’été, quand le crépuscule étend comme un crépuscule de
poussière tremblante sur chaque objet1 ».

Combien la touche encore timide du jeune Chassériau (il avait alors vingt
six ans) était encore loin de cette palette souveraine, combien les deux
méthodes de composition et d’exécution différaient ! — Delacroix campant
simplement, seul à cheval, sous le parasol du Prophète, devant les remparts
de la ville sainte, le sultan du Maroc, entouré de ses caïds et de sa garde, et
diluant, une fois de plus, la sécheresse des lignes dans la magie de l’atmo-
sphère, « l’idée d’une ligne », comme il l’a écrit, « ne lui venant pas à l’esprit» ;
Chassériau, dressant, comme hanté par le souvenir d’un Paolo Uccello,
« celte défilade de chevaux et ces grands cavaliers » chez lesquels Baudelaire
démêlait cependant « quelque chose qui rappelle l'audace naïve des grands
maîtres ».

A quel point la technique du peintre à’Ali-Ahmed contraste avec celle du
portraitiste de Muley Abd-er-Rahmann, nul ne l’a mieux établi que Thoré,
quand il a voulu, sans doute sur les indications de Chassériau, nous montrer
ce qui séparait Ingres de son disciple rebelle : « Chassériau », dit-il, « ne se sert
du procédé de M. Ingres qu’après avoir modelé l'intérieur de ses figures,
tandis que le système orthodoxe consiste à sculpter d’abord un galbe géomé-

. Baudelaire, Curiosités esthétiques : Salon de i845.
 
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