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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
balançant entre l’amour de la statuaire antique et ses influences d’Orient?
Par la noblesse héroïque des attitudes, par le galbe sculptural des formes,
les Cavaliers arabes emportant leurs morts', à propos desquels Gautier évo-
quait Homère, et surtout le Caïd visitant un douar \ évoquent avec persis-
tance les doctrines du maître des Bergers d'Arcadie et à’Apollon et Daphné.
Apollon et Daphné3. La fable charmante devait inspirer au disciple de
Poussin une œuvre délicieuse que lui, du moins, put terminer. Dans la
Défense des Gaules\ dans ce chef-d’œuvre presque anéanti : la décoration
de la Cour des Comptes5, où le Commerce rapprochant les peuples permit à
l’exotisme de l’artiste de se donner libre cours, enfin dans le Tepidarium,
d’une palette sans doute un peu désaccordée, mais où triomphent les lan-
guides et pâles beautés, si chères à Chassériau, l’inspiration de Nicolas
Poussin est partout visible.
On ne saurait soustraire l’orientalisme d’un Chassériau à ces règles d’ordre
classique, d’idéal antique, d’harmonie gréco-romaine que le fougueux créole
ne cessa de demander au peintre du Triomphe de Flore. En un temps où il
était de bon ton de dénigrer le siècle de llacine et de Le Nôtre, ce grave
orientaliste, ce sérieux romantique nous a, dans une de ses notes, livré le
secret de son cœur subjugué par la magnificence de Versailles : « Ne pas
oublier la valeur riche des arbres jeunes, dorés avec des taches blanches,
comme aux lauriers que j’ai vus à Versailles. Monter tout mon travail sur ce
ton et faire le ciel, entre les arbres, d’un bleu rayonnant et d’une grande
force; que cela aille jusqu’au haut d’une partie de ma scène. Ne pas oublier
les tons d’or et puissants, quelque chose qui soit royal et qui reste. »
« Quelque chose qui soit royal et qui reste. » Cette orgueilleuse devise,
que Théodore Chassériau fit sienne jusqu’à son dernier souille, décore et
explique cet œuvre altier, né sous le ciel des Antilles, mûri au soleil de
Pompéi et de l’Orient islamique, avide de vie et de rêve, gardant, entre Ingres
et Poussin, Delacroix et le Greco, sa personnalité foncière, son génie mélan-
colique et sensuel.
Parmi les toiles que l’artiste, eulevé à trente-sept ans, laissait à l’état
d’ébauches, il en est une, précieuse entre toutes, où Gautier démêla combien
d’espérances disparaissaient avec Théodore Chassériau : « Deux femmes, en
brillants costumes, se renversent sur les coussins d’un divan, avec des poses
1. Collection Pereire.
2. Musée du Louvre (Don de M. le baron Arthur Chassériau).
3. Collection Arthur Chassériau. Lithographiée par l’artiste (v. Gazelle des Beaux-Arts,
1886, t. II, p. 214)-
4- Salon de i855. Aujourd’hui au Musée de Clermont-Ferrand.
5. V. Ary Renan, Théodore Chassériau el les peintures du palais de la Cour des Comptes
(Gazette des Beaux-Arts, 1898, t. I, p. 89 et suiv.)
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
balançant entre l’amour de la statuaire antique et ses influences d’Orient?
Par la noblesse héroïque des attitudes, par le galbe sculptural des formes,
les Cavaliers arabes emportant leurs morts', à propos desquels Gautier évo-
quait Homère, et surtout le Caïd visitant un douar \ évoquent avec persis-
tance les doctrines du maître des Bergers d'Arcadie et à’Apollon et Daphné.
Apollon et Daphné3. La fable charmante devait inspirer au disciple de
Poussin une œuvre délicieuse que lui, du moins, put terminer. Dans la
Défense des Gaules\ dans ce chef-d’œuvre presque anéanti : la décoration
de la Cour des Comptes5, où le Commerce rapprochant les peuples permit à
l’exotisme de l’artiste de se donner libre cours, enfin dans le Tepidarium,
d’une palette sans doute un peu désaccordée, mais où triomphent les lan-
guides et pâles beautés, si chères à Chassériau, l’inspiration de Nicolas
Poussin est partout visible.
On ne saurait soustraire l’orientalisme d’un Chassériau à ces règles d’ordre
classique, d’idéal antique, d’harmonie gréco-romaine que le fougueux créole
ne cessa de demander au peintre du Triomphe de Flore. En un temps où il
était de bon ton de dénigrer le siècle de llacine et de Le Nôtre, ce grave
orientaliste, ce sérieux romantique nous a, dans une de ses notes, livré le
secret de son cœur subjugué par la magnificence de Versailles : « Ne pas
oublier la valeur riche des arbres jeunes, dorés avec des taches blanches,
comme aux lauriers que j’ai vus à Versailles. Monter tout mon travail sur ce
ton et faire le ciel, entre les arbres, d’un bleu rayonnant et d’une grande
force; que cela aille jusqu’au haut d’une partie de ma scène. Ne pas oublier
les tons d’or et puissants, quelque chose qui soit royal et qui reste. »
« Quelque chose qui soit royal et qui reste. » Cette orgueilleuse devise,
que Théodore Chassériau fit sienne jusqu’à son dernier souille, décore et
explique cet œuvre altier, né sous le ciel des Antilles, mûri au soleil de
Pompéi et de l’Orient islamique, avide de vie et de rêve, gardant, entre Ingres
et Poussin, Delacroix et le Greco, sa personnalité foncière, son génie mélan-
colique et sensuel.
Parmi les toiles que l’artiste, eulevé à trente-sept ans, laissait à l’état
d’ébauches, il en est une, précieuse entre toutes, où Gautier démêla combien
d’espérances disparaissaient avec Théodore Chassériau : « Deux femmes, en
brillants costumes, se renversent sur les coussins d’un divan, avec des poses
1. Collection Pereire.
2. Musée du Louvre (Don de M. le baron Arthur Chassériau).
3. Collection Arthur Chassériau. Lithographiée par l’artiste (v. Gazelle des Beaux-Arts,
1886, t. II, p. 214)-
4- Salon de i855. Aujourd’hui au Musée de Clermont-Ferrand.
5. V. Ary Renan, Théodore Chassériau el les peintures du palais de la Cour des Comptes
(Gazette des Beaux-Arts, 1898, t. I, p. 89 et suiv.)