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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 5. Pér. 3.1921

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Nr. 3
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Réau, Louis: L' exotisme russe dans l'œuvre de J.-B. Le Prince
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https://doi.org/10.11588/diglit.24941#0178

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56

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

mais tu n’as pas connu une de nos passions1... Monsieur le Prince, Vous
êtes sans idées, sans finesse et sans âme. »

Et l’impitoyable salonnier, s’acharnant sur sa victime, conclut ainsi sa
mortifiante diatribe: a De tout ce qui précède, que s’ensuit-il? Que le prin-
cipal mérite de Le Prince est de bien babiller. On ne peut lui refuser cet
éloge ; il n’y a pas un de ses tableaux où il n’y ait une ou deux figures bien
habillées. Mais il colorie mal; ses tons sont bis, couleur de pain d’épice et
de brique... Son dessin n’est pas correct. Ses caractères de têtes ne sont pas
intéressants. Il règne dans tous ses tableaux une monotonie déplaisante. On
en a vu vingt et l’on croit que c’est toujours le même... On les regarde
froidement; on les quitte comme on les regarde.

« Si cet artiste n’eût pas pris ses sujets dans des mœurs et des coutumes
dont les habillements ont une noblesse que les nôtres n’ont pas et sont aussi
pittoresques que les nôtres sont gothiques (sic) et plats, son mérite s’évanoui-
rait. Substituez aux figures de Le Prince des Français ajustés à la mode de
leur pays et vous verrez combien les mêmes tableaux, exécutés de la même
manière, perdront de leur prix... »

*

* *

Les envois de l’artiste aux Salons qui se succédèrent tous les deux ans, de
1769 jusqu’en 1781, ne modifièrent pas l’opinion désormais bien arrêtée de
son critique. A propos d’un tableau exposé en 1769, Diderot classe Le Prince
dans la catégorie de « ces hommes qui forcent les portes de nos Académies
par un premier morceau qui promet et qui sont arrêtés tout court. Tel est
Le Prince dont je n'ai vu jusqu’à présent d’autre composition estimable que
son Baptême russe. Qu’est-ce que ce Cabak ou espèce de guinguette aux
environs de Moscou1 2P Beaucoup de mouvement, beaucoup d'objets, beaucoup
de scènes diverses, une multitude infinie de figures; mais tout est croqué,
nulle image. Tout est ébauché et faible dans la Danse russe et la Balançoire
à la manière de ces peuples. » Un Intérieur de cabaret, exposé au Salon de
1771, ne lui inspire que cette hargneuse boutade : « Je n’aime ni la suie ni
la bile délayée. »

Diderot 11e fait ici que refléter l’humeur du public qui. le premier mou-

1. Les grands seigneurs russes étaient plus indulgents. Le livret du Salon de 1773 men-
tionne, en effet, comme appartenant à M. le comte Stroganoff deuxtableaux de Le Prince
représentant l’un : Une femme qui, en donnant à téter à son enfant, écoute une vieille qui fait
une lecture, l’autre: Un homme au cabaret qui présente de l'argent à une jeune file.

a. Le même sujet avait déjà été exposé par Le Prince en 1767. Le dessin correspondant
a fait partie de la collection Goncourt.
 
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