DOI issue:
Nr. 2
DOI article:Cochin, Henry: Dante peintre: Henry Cochin
DOI Page / Citation link:https://doi.org/10.11588/diglit.24942#0083
7°
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
les éléments de son fantastique sur quelque observation vivante de la nature.
Les Centaures ramènent son souvenir aux cavalcades de chasse qu'il a aimées
dans sa jeunesse. Ainsi dans bien d'autres cas ; il est presque toujours possible,
dans ses figures, je dirais dans toutes ses métaphores, de retrouver le trait qui
lui vient delà nature, —l’œil d’un peintre, le dessin, la couleur d’un peintre.
Ici je me demande : de quel peintre P Je répondrais presque : de ceux de
tous les temps, — et on le verra. — Mais tout d’abord, évidemment, il nous
fait penser aux bons peintres de fresques de son temps, pour ce qui est sur-
tout de l’expression. C’est le propre du peintre toscan du quatorzième siècle,
d’exprimer par un trait simple et net, par le dessin d’un geste, d'une attitude,
d’un mouvement des yeux, tel sentiment, tel état mystérieux de l’âme ; il y
réussit mieux qu’aucun peintre d'aucun autre temps. Ainsi fait Dante : il note
sobrement, presque sans détail, et cependant il exprime les caractères des
hommes, les pensées, les passions. Il a des groupes, des personnages, qui
font penser à Giotto, à quelque Siennois, aux Orcagna.
Voici quelques types d’immobilité dantesque ou giottesque : dans les
Limbes, les sages1, — ni tristes, ni gais, impénétrables, des hommes silen-
cieux aux yeux lents et profonds ; — sur la côte du Purgatoire, Sordello 2 :
.O âme lombarde,
que tu étais altière et dédaigneuse,
et, à mouvoir les yeux si digne et lente !
Elle ne nous disait aucune chose,
mais nous laissait aller, nous regardant
comme fait le lion qui se repose.
Voici une autre immobilité, mais exprimant cette fois la rage et le dépit.
C’est Farinata le Gibelin (qui ne le connaît?) après que Dante lui a jeté au
nez la bonté de sa défaite :
ne changea de visage,
ne mut le col, ne plia son côté3.
Encore une immobilité : c’est le saisissement, la surprise: Dante a vu,
quelque jour, à Fknence, un montagnard de l’Apennin, qui reste effaré
et contemple muet,
quand, rustique et sauvage, il entre en ville4.
Cette image des fils de saint François est du même ordre de dessin :
1. Inf., IV, 84-
2. Purg., VI, 6i.
3. Inf., X, 74.
4- Purg., XXVI, 67.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
les éléments de son fantastique sur quelque observation vivante de la nature.
Les Centaures ramènent son souvenir aux cavalcades de chasse qu'il a aimées
dans sa jeunesse. Ainsi dans bien d'autres cas ; il est presque toujours possible,
dans ses figures, je dirais dans toutes ses métaphores, de retrouver le trait qui
lui vient delà nature, —l’œil d’un peintre, le dessin, la couleur d’un peintre.
Ici je me demande : de quel peintre P Je répondrais presque : de ceux de
tous les temps, — et on le verra. — Mais tout d’abord, évidemment, il nous
fait penser aux bons peintres de fresques de son temps, pour ce qui est sur-
tout de l’expression. C’est le propre du peintre toscan du quatorzième siècle,
d’exprimer par un trait simple et net, par le dessin d’un geste, d'une attitude,
d’un mouvement des yeux, tel sentiment, tel état mystérieux de l’âme ; il y
réussit mieux qu’aucun peintre d'aucun autre temps. Ainsi fait Dante : il note
sobrement, presque sans détail, et cependant il exprime les caractères des
hommes, les pensées, les passions. Il a des groupes, des personnages, qui
font penser à Giotto, à quelque Siennois, aux Orcagna.
Voici quelques types d’immobilité dantesque ou giottesque : dans les
Limbes, les sages1, — ni tristes, ni gais, impénétrables, des hommes silen-
cieux aux yeux lents et profonds ; — sur la côte du Purgatoire, Sordello 2 :
.O âme lombarde,
que tu étais altière et dédaigneuse,
et, à mouvoir les yeux si digne et lente !
Elle ne nous disait aucune chose,
mais nous laissait aller, nous regardant
comme fait le lion qui se repose.
Voici une autre immobilité, mais exprimant cette fois la rage et le dépit.
C’est Farinata le Gibelin (qui ne le connaît?) après que Dante lui a jeté au
nez la bonté de sa défaite :
ne changea de visage,
ne mut le col, ne plia son côté3.
Encore une immobilité : c’est le saisissement, la surprise: Dante a vu,
quelque jour, à Fknence, un montagnard de l’Apennin, qui reste effaré
et contemple muet,
quand, rustique et sauvage, il entre en ville4.
Cette image des fils de saint François est du même ordre de dessin :
1. Inf., IV, 84-
2. Purg., VI, 6i.
3. Inf., X, 74.
4- Purg., XXVI, 67.