GAZETTE DES BEAUX-ARTS
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Ce jour-là, en vérité, n’était perdu ni pour le patriarche, ardent recruteur de troupes
neuves, qui allait trouver dans les Rosset d’inattendus et précieux agents de propa-
gande, ni pour les Rosset eux-mêmes qui, chargés désormais de fournir aux besoins
du culte philosophique, élargissaient du même coup leur clientèle et allaient voir,
grâce aux philosophes, leur petite célébrité locale se colorer d’un rayon de gloire.
Que dire enfin de l’intérêt tout particulier qu’offre à un Franc-Comtois, ou du
moins à un historien de nos vieilles provinces, l’excellente biographie de ces artistes
distingués ?
Les Rosset sont profondément enra-
cinés dans le sol comtois. Venus,
semble-t-il, du Bugey, ils sont établis à
Saint-Claude dès le xvie siècle. Ce sont
à l’origine des orfèvres ou des sculpteurs
sur bois, et au choix ou du moins à
l’exercice de cette profession le milieu
où ils vivent n’est assurément pas étran-
ger. La ville, en effet, en somrenir du
saint dont elle porte le nom, en raison
des miracles attribués aux reliques
qu’elle renferme, est devenue de bonne
heure un lieu de pèlerinage où Louis XI
en personne ne dédaigne pas de se
rendre : aussi attire-t-elle et groupe-t-
elle autour de son antique abbaye une
foule d’artisans qui s’appliquent à sculp-
ter dans le bois d’abord, puis dans la
corne, l’ivoire, le marbre, l’albâtre, la
figure du saint et toute sorte d’objets
de piété. Les Rosset doivent à leur ville
natale et leur vocation et leur éducation
artistique : si, avec Joseph, ils s’élèvent
en quelque sorte du rang d’artisans à
celui d’artistes, c’est assurément grâce
aux dons personnels de ce dernier; c’est
aussi peut-être grâce à l’obscur travail de plusieurs générations comtoises dont
Joseph et ses fils sont le naturel épanouissement.
Sans doute ceux-ci ont-ils eux-mêmes le sentiment de ce qu’ils doivent à leur
petite patrie, puisqu’ils lui restent, en somme, si attachés. François, qui cultiva sur-
tout la peinture, voyagea longtemps en Asie, et finit par se fixer à Dole ; Antoine
eut peut-être un atelier à Paris, mais Joseph, leur père, ne semble avoir quitté
Saint-Claude que pour faire un assez court voyage à Paris en 1771- Les brillantes
promesses du parti philosophique qui voulait le retenir ne le décidèrent pas ; avec
quelle joie il regagna sa petite ville ! « Il lui semblait toujours », écrit son biographe,
STATUETTE DE J.-J. ROUSSEAU
MARBRE, PAR JOSEPH ROSSET
(Musée de l’Ariana, Genève.)
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Ce jour-là, en vérité, n’était perdu ni pour le patriarche, ardent recruteur de troupes
neuves, qui allait trouver dans les Rosset d’inattendus et précieux agents de propa-
gande, ni pour les Rosset eux-mêmes qui, chargés désormais de fournir aux besoins
du culte philosophique, élargissaient du même coup leur clientèle et allaient voir,
grâce aux philosophes, leur petite célébrité locale se colorer d’un rayon de gloire.
Que dire enfin de l’intérêt tout particulier qu’offre à un Franc-Comtois, ou du
moins à un historien de nos vieilles provinces, l’excellente biographie de ces artistes
distingués ?
Les Rosset sont profondément enra-
cinés dans le sol comtois. Venus,
semble-t-il, du Bugey, ils sont établis à
Saint-Claude dès le xvie siècle. Ce sont
à l’origine des orfèvres ou des sculpteurs
sur bois, et au choix ou du moins à
l’exercice de cette profession le milieu
où ils vivent n’est assurément pas étran-
ger. La ville, en effet, en somrenir du
saint dont elle porte le nom, en raison
des miracles attribués aux reliques
qu’elle renferme, est devenue de bonne
heure un lieu de pèlerinage où Louis XI
en personne ne dédaigne pas de se
rendre : aussi attire-t-elle et groupe-t-
elle autour de son antique abbaye une
foule d’artisans qui s’appliquent à sculp-
ter dans le bois d’abord, puis dans la
corne, l’ivoire, le marbre, l’albâtre, la
figure du saint et toute sorte d’objets
de piété. Les Rosset doivent à leur ville
natale et leur vocation et leur éducation
artistique : si, avec Joseph, ils s’élèvent
en quelque sorte du rang d’artisans à
celui d’artistes, c’est assurément grâce
aux dons personnels de ce dernier; c’est
aussi peut-être grâce à l’obscur travail de plusieurs générations comtoises dont
Joseph et ses fils sont le naturel épanouissement.
Sans doute ceux-ci ont-ils eux-mêmes le sentiment de ce qu’ils doivent à leur
petite patrie, puisqu’ils lui restent, en somme, si attachés. François, qui cultiva sur-
tout la peinture, voyagea longtemps en Asie, et finit par se fixer à Dole ; Antoine
eut peut-être un atelier à Paris, mais Joseph, leur père, ne semble avoir quitté
Saint-Claude que pour faire un assez court voyage à Paris en 1771- Les brillantes
promesses du parti philosophique qui voulait le retenir ne le décidèrent pas ; avec
quelle joie il regagna sa petite ville ! « Il lui semblait toujours », écrit son biographe,
STATUETTE DE J.-J. ROUSSEAU
MARBRE, PAR JOSEPH ROSSET
(Musée de l’Ariana, Genève.)