Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Overview
loading ...
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
<NiiN

LE GRELOT.



"iw.

'■33S

,c**jl,

ru

s m

ieliif-'

11 y avait une première.

Je pénétrai flans l'enceinte et je reconnus en effet ce public
fie choix qu'on ne rencontre qu'à Paris. L'orchestre était ruti-
lant d'uniformes.

On y voyait le général Détroyat vêtu d'un magnifique uni-
forme"péruvien. A sa droite, Charles Lullier en costume d'a-
miral suisse. L'ex-commandant des canonnières de la Seine,
le brave Durassier,—quel nom ! mes entants, quel nom! —
pour mieux rendre sa situation de marin dégommé, avait un
habit mi-partie, comme on en voyait tant sous Charles VII. Le
côté droit, consacré à la marine, se composait d'une jambe de
pantalon à bande d'or et d'une tunique d'amiral. Le côté gau-
che était purement civil. Pantalon gris-perle, jaquette pon-
ceau, — pas voyant du tout, n'est-ce pas?—un gant paille...
et c'est tout. Sa main droite, — côté de la marine, — s'ap-
puyait sur une jolie ancre en simili-bronze; sa main gauche,

__Côté pékin, — taquinait un fin lorgnon d'écaillé de la maison

Nachet jeune, opticien, place du Théâtre-Français.

(Prière de ne pas dire à mon rédacteur en chef que j'ai reçu
trente-cinq sous de ce riche négociant pour lui pousser celle petite
réclame. )

Les lettres et les arts étaient non moins brillamment repré-
sentés que notre vaillante armée.

Le citoyen — président — de — la — Société — fédérative—

{les__ peintres — parisiens, l'illustre Courbet, s'étalait sur

deux chaises et causait nonchalamment avec cet excellent père
Duchêne.

Je constatai que le peintre d'Oman» fumait une remarquable
Gambier.

Un heureux hasard me permit de surprendre un fragment
de la conversation de ces deux grands hommes.

Je vous le sers.

LE PÈRE DUCHÊNE.

— Ah! foutre de foutre! citoyen Courbet, vous venez.de
pousser un petit speech bougrement urf à l'assemblée des
peintres!... Nom de Dieu, quelle platine !... et pas d'accent!...
pas le plus petit accent.

Courbet, minaudant.

Oh ! mon dieu, je ne suis pas un orateur, moi.

LE PÈRE DUCHÊNE.

Kon !... c'est que j'tousse !

COURBET.

Vous toussez? Ah! dame, les premières chaleurs.., on s'en-
rhume.

LE PÈRE DUCHÊNE, à part.

En v'ià un serin !...

COURBET.

Je parle tout simplement... comme je peins... c'est senti...
c'est vécu... À propos, Duchêne, vous n'auriez pas un peu de
tabac?... J'ai oublié ma blague.

LE PÈRE DUCHÊNE.

J'ai justement la mienne sur moi.

[Il lire de sa poche un objet qu'à' première vue on prendrait
pour une calebasse).

COURBET. '
Tiens!... quelle drôle de blague!

LE PÈRE DUCHÊNE.

C'est le crâne d'un de ces jean-foutres de réactionnaires !...

(Mouvement violent de Courbet. Une dis chaises qui le portent se
casse. Le peintre des Baigneuses tombe sur le derrière. Cris dans
la salle. Le père Duchêne rit comme un fou.)

,dev*

COURBET.

Ah ! sacrebleu, je crois que j'ai cassé ma pipe en tombant.

LE PÈRE DUCHÊNE.

C'est égal... vous m'avez fait bougrement rire. Ah! ah! ah!...
Elle est toujours drôle, n'est-ce pas?

courbet, très-froid.
Je ne trouve pas.

LE PÈRE DUCHÊNE.

Ah! ça, est-ce que ce foutu polisson de Guignol va faire
attendre comme çà les bons bougres de patriotes?

(Entre le chat.)

LE PUBLIC.

.Ah!... Enfin.

(A ce moment un cri perçant se fait entendre. C'est Mme Olympe
Audouard qui vient de s'asseoir sur l'ancre de l'amiral Durassier.
Celui-ci se confond en excuses et offre, dans son trouble, à la célèbre
voyageuse, de s'assurer par lui-même du dommage. Rougeur et refus
de Mme Audouard. L'incident n'a pas de suites.)

LE CHAT.

Rroon!... rroon !...

(Une odeur délicieuse se répand dans la salle.)

LE PÈRE DUCHÊNE.

Ali ! foutre de foutre !... qui est-ce qui empoisonne comme
çà?... Encore un de ces jean-foutres d'aristocrates, sans
doute.

(Il se bouche le nez.)

(Le citoyen Paschal Groussel entre dans la loge du ministère des
af/ains étrangères. Il est délicieusement vêtu et embaume l'eau de
Lubin. Le jeune Ernest Blum le suit, donnant la main à une dame
masquée.)

LA DAME.

ErnestI... Sommes-nous en sûreté ici?

1 ERNEST.

Y songes-tu?... Quels dangers nous menaceraient si près de
l'avenue... f abrielle?

LA DAME.

C'est vrai. D'ailleurs tu me protégerais, n'est-ce pas, Er-
nest?

ERNEST.

Ne suis-je pas rédacteur du Rappel? Et mes copins Moquerie
et Varice? Tu connais leur courage?

LA DAME.

Heuh !... heuh !...

LE PÈRE DUCHÊNE.

Ah! çà, mais... ça empeste, ici.

Courbet, se frottant les reins.
C'est égal... ça me fait mal.

Ici le violon fait entendre quelques accords sinistres. Le ri-
deau s'agite. Tout le monde se tait. La pièce va commencer.
J'ouvre un calepin et me prépare à prendre des notes.

Le ihêàlre représente une butte. A droite, une boutique de mar-
chand de vin, — ce qu'on appelle au noble faubourg un mastroquet.
Un comptoir, deux chaises dépaillées. Plusieurs canons... de vin
sont rangés avec soin sur une table. La nuit commence à tomber. La
scène en vide au lever du rideau. Silence absolu, troublé de temps en
temps par une douce mélodie. En prêtant l'oreille, on entend au loin
ce refrain :

C'est le sire de Fich-tc-n-Kaug.

On se croirait à Venise, n'était le manque de gondoliers.

SCÈNE I.
polichinelle , entrant, complètement, gris.
Couic !... couicl... couic !...

Maintenant, chers lecteurs, permettez-moi d'employer ici
une ficelle bien connue... miiis toujours bonne.

Cette pièce, représentée avec un succès énorme à Guignol,
je me la suis procurée. Guignol m'en a communiqué le ma-
nuscrit.

Et comme je tiens énormément à ce que vous achetiez le
prochain numéro du Grelot, je vous renvoie à huitaine, en vous
donnant ma parole de gentilhomme... que vous ne regretterez
pas votre argent.

Nicolas FLAMMÈCHE.

Est-ce assez gentil de vous prévenir, hein?

L'ENCYCLOPEDIE-VALLES ■

Le citoyen Jules Vallès a voulu marquer, par un coup d'éclat,
son passage au ministère de l'Instruction publique. Il a voulu
attacher son nom à un monument impérissable. Et il s'est en-
tendu avec ses co-délêgués à l'Instruction (A/sinus asinum
fricat) pour la publication d'une vaste Encyclopédie socialiste
et communaliste qui, seule, devra désormais servir à l'éduca-
tion de la jeunesse parisienne.

Le citoyen Vallès n'aime pas faire les choses à demi. Il est
l'ennemi acharné des traditions, chacun sait ça. Les balivernes
classiques le laissent froid. ]1 trouve Molière un gâteux et il !e
dit. Le nommé Homère, d'après lui, n'a jamais existé. Sha-
kespeare, à ses yeux, n'était qu'un pitre sinistre.
' On dit systématiquement, et sans trop savoir pourquoi, aux
jeunes élèves :

— Ceci est beau, ceci est grand, admirez!

Et ils admirent.

C'est pitoyable, et il est bon de mettre enfin un terme à cet
état de choses.

Détruisons les légendes, a dit le citoyen Vallès, démolissons
les monuments, réformons l'histoire, refaisons l'Encyclo-
pédie.

Et, entre deux bulletins de victoire pour le Cri du peuple, le
savant délégué à l'Instruction a enfanté un échantillon de ce
que seront les Etudes classiques selon la Commune.

Nous avons été assez heureux pour nous procurer une copie
de celte pièce importante, et nous la mettons telle quelle sous
les veux de nos lecteurs.

CALENDRIER PROPHÉTIQUE

(Du lundi 24 au dimanbhe 30 avril.)

LUNDI.

La Montagne, journal des purs et de M. Marotleau, accouchera d'une
souris.
La mère et l'enfant se porteront mal.

MiRBI.

. La Commune voudra supprimer ce qu'il reste de journaux hostiles;
cette mesure sera énérgiquement combattue pur les citoyens Vallès, i'yat,
Delescluze et Grousset, journalistes et membres du gouvernement.

MERCREDI.

Le général Cluseret décrétera qu'on élèvera sur remplacement de la
colonne Vendôme, une colonne « républicaine » avec le bronze des canons
pris aux versaillais.

JEUDI.

Le successeur de M. de Nieuveikerke, le citoyen Pilotell, qui dessine
comme M. de Nieuwerkerke sculptait, ouvrira ses salons.

On passerades rafraîchissements divers : saucissons à l'ail et bière à
discrétion.

Les hommes gantés ne seront pas admis.

VENDREDI.

Le citoyen Protot fera maigre.

Voilà ce que c'est que de coucher dans les draps de l'ex-ministre de

cultes.

SAMEDI.

Les fédérés découvriront, mais un peu tard, que s'ils se battent contre
les gendarmes de Versailles, c'est à propos de bottes.

DIMANCHE.

Le citoyen Avoine donnera sa démission. Acte de simple prudence. Il
seit, à n'en pouvoir douter, qu'en restant à l'Hôtel-de-Ville, il risquerait
■d'être mangé par ses collègues.

le délégué auœ pro%

MÉPHISTO.

LETTRE V. VIRGILE.

P. Virgilius MARAUD est né en 1716, à Genève, d'une l'a-
mille de protestants, chassée du Languedoc par la révocation
de l'édit de Nantes.

La mauvaise conduite de son père le priva des bienfaits
d'une éducation libérale, mais il y suppléa à force de génie et
d'intuition, et, par sa précocité extraordinaire, émerveilla tous
ses contemporains.

Dès l'âge de quatre ans , il jonglait avec trois sabres de ca-
valerie, jouait du piano avec ses cheveux — comme les pia-
nistes romantiques de la stupide Germanie ; résolvait les pro-
blèmes les plus ardus de la géométrie analytique, déchiffrai!
l'écriture cunéiforme des tessons babyloniens, et composait,
en langue cophte, pour les fidèles des bords du Nil, une réfu-
tation odieuse du merveilleux Dictionnaire philosophique du
Père Maimbourg.

Malheureusement, ses conversations brillantes étaient trop
souvent souillées par de nombreuses locutions d'argot; sur
l'observation judicieuse de son pion, qu'il était indigne du
plus grand poète futur du siècle d'Auguste, d'employer des
termes de basse latinité, il renonça, quoique à regret, à celle
langue pittoresque, inventée par Eugénius Spus, et s'attacha, à
ne faire désormais usage que de termes de la plus haute dis-
tinction.

Sa famille avait été ruinée par la grande et éternellement
glorieuse Révolution, et ses propriétés patrimoniales, après la
bataille de Marathon, avaient été saisies comme biens d'émi-
grés. Aussi, pour s'en débarrasser, le destinait-on à l'état
ecclésiastique. Mais entraîné par une vocation irrésistible vers
la littérature, il s'engagea dans l'artillerie de la légion X"",
campée alors en Pannonie, s'éleva successivement, par une
série d'actions d'éclat, jusqu'au grade d'infirmier du Val-de-
Grâce, sauva la vie au pape Léon X, à la sanglante journée de
Waterloo, mérita un g let de flanelle d'honneur au mémorable
siège de Troie, pendant la cam[ agne de Fr*nce, et se couvrit
de gloire pendant le fameux combat naval de Lissa, où l'escadre
romaine fit mordre la poussière à la flotte des Carthaginois.

A la deuxième Restauration, il fut mis à la retraite pour
refus de serment, et se trouva sur le pavé. .

Les historiens réactionnaires, nos prédécesseurs, ont ignoré
que Virgile eût été soldat; mais nous possédons, dans notre
dossier, des pièces originales, états de service, diplôme d'in-
firmier, congés de semestre, permissions de dix heures^ etc.,
qui l'établissent d'une manière péremptoire.

Le chantre du pieux Énée ne pouvait échapper à la destinée
de tous les grands poètes : son génie devait recevoir la consé-
cration du malheur.

Il en fut réduit à jouer (très-faux) de l'ophycléïde sur le
Forum et sur la Voie sacrée, pour payer son terme et satisfaire
l'avidité de son tailleur.
Image description
There is no information available here for this page.

Temporarily hide column
 
Annotationen