LE GRELOT
■ Paris, le 25 janvier 1873.
Le général gouverneur de Paris,
Sur l'avis de M. le ministre de l'intérieur et
vu le journal le Grelot, numéro du 16 du cou-
rant, lequel contient une chanson intitulée :
« Le bruit que, fait une vessie en crevant; » chan-
son conçue dans des termes odieux, attenta-
toires à la morale et au respect dû aux morts.
En vertu des pouvoirs que confère la loi
du 9 août 1849, sur l'état de siège,
Arrête :
Article 1er. — La vente sur la voie publique
du journal le Grelot est interdite pendant un
mois, à partir du 26 janvier.
Article 2. — M. le préfet de police est
chargé d'assurer l'exécution du présent ar-
rêté.
Le général, gouverneur de Paris,
Signé : de Ladmibault.
En présence de l'arrêté du général Ladmi-
rault, Paris-Journal, sous la signature de Gy-
gè-i (Jehan Valler!) imprime l'odieuse calom-
nie suivante, ayant évidemment pour but
d'attirer une seconde fois sur le Grelot les ri-
gueurs de l'état de siège :
« On sait que le dernier numéro du journal le Grelot a
été saisi pour un article intitulé : Du brait que fait une
vessie en crevant,
Ot article est signé : Job. .
Or, voulez-vous savoir miel est l'écrivain qui se cache
sous ce pseudonyme A? Job C'est, nous assure t on, l'ex-
rédacteur en chef du Père Duchesne pendant la Commune :
le citoyen Lugène Vermersch, collaborateur régulier du
Grelot depuis un certain temps, parait-il, sous les trois
pseudonymes de Job, Daniel et Un Homme de Rien.
Bien que ces renseignements nous soient affirmés, nous
espérons un démenti, cnr nous ne voulons pas croire
qu'un journal publié librement à Paris aille chercher
pour rédacteur un réfugié de la Commune, un des hom-
mes qui ont le plus contribué à pousser à la guerre ci-
vile, au meurtre et à l'incendie »
Non-seulement la rédaction du Grelot op-
pose à MM. Valter et C le plus énergique dé-
menti, mais encore la direction se réserve
d'assigner les inventeurs de cette fable mal-
veillante en police correctionnelle pour diffa-
mation.
Vermesch n'a jamais écrit ane ligne au Gre-
lot, et ce n'est point au moment où la Conven-
tion de Bordeaux e? t poursuivie par la justice
civile pour avoir inséré une lettre de Georges
Cavalier, que nous voudrions, sous le régime
paternel de l'état de siège,—enfreindre, en fa-
veur de l'ex-père Duchesne, contre lequel nous
avons su lutter courageusement, alors que
Paris-Journal était en sûreté à Versailles,— la
loi qui interdit à la presse d'avoir pour colla-
borateurs des complices de la Commune.
En revanche, M. Jehan-Gygès-Valter, citoyen
de la République Suisse, faisant de la politique
monarchiste en France, a eu l'honneur de col-
laborer au Grelot sous le pseudonyme de Tri-
boulet; mais comme il nous envoyait souvent
par erreur la copie réactionnaire destinée à la
feuille de M. Henri de Pêne, nous avons dû
nous priver de ses services.
Ce que, du reste, nous ne regrettons nul-
lement.
LA RÉDACTION.
berceau du nourrisson, qui ronflait harmo-
nieusement, s'extasiaient sur les traits char-
mants de l'adorable bébé.
— Voyez, disaient-ils, quelle figure intelli-
gente !
— Quel front élevé 1
— Quel nez ravissant 1
— Quelle structure délicate!
— Et cependant solide !
— Que ses joues sont fraîches !
—■ Que ses oreilles sont d'un dessin ex-
quisl
— Que cette bouche est vern eille et-fine!
Et le petit Baze ronflait toujours.
Enfin, il daigna se réveiller î our pousser
immédiatement quelques hurlements.
— Quelle voix admirable ! reprirent les no-
tables.
— Ce sera un homme célèbre.
— Un grand orateur!
— Un grand général 1
— Un grand j harmacien!
— Un prince de la science!
— Vous vous trompez tous, s'écria une voix
enrouée, qui n'appartenait à aucun des spec-
tateurs et qui semblait sortir de la cheminée...
il ne sera rien de tout cela !
— Et que sera-t-il donc, ô mon Dieu?
— Il sera questeur !
*
* *
Et en effet.
Le jeune Baze, dès sa plus tendre enfance,
manifesta certaines dispositions qui laissaient
évidemment voir que le ciel le destinait à de
grandes choses.
11 était rageur, quinteux, insolent, vaniteux,
querelleur, bourru et déplaisant à tout le
monde.
Pour un rien, il cassait une demi-douzaine
de dents à ses petits camarades ou leur pochait
un œil.
Il était charmant!... et les notables d'Agen
ne cessaient de se féliciter d'être les compa-
triotes d'un aussi sublime polisson.
*
* *
Je glisserai rapidement sur les jeunes années
de notre héros qui, à peine âgé de vingt ans,
rouait ses maîtresses de coups, sous prétexte
de leur former le style et l'esprit.
L'amour, cependant, n'eut jamais que peu
de prise sur ce cœur taillé dans le granit le
plus dur.
Il aima juste ce qu'il en faut pour se bien
porter.
L'aimable Baze savait qu'il était réservé à
de hautes fonctions et ne cessait de s'y pré-
parer par une étude approfondie de la boxe
et de la savate.
Lorsqu'il se sentit de force à solliciter les
suffrages de ses concitoyens, il se présenta à
la dôputation.
Un vote unanime l'envoya à l'Assemblée.
Dans sa jubilation, Baze, de reloue dans sa
rna'son, administra une pile effroyable à son
domestique, qui avait négligé de l'appeler :
mossieu le député.
Ak! il commençait bien!
*
Une fois à la Chambre, le doux Baze, ne
trouvant pas un emploi assez satisfaisant de
ses biceps et de son humeur accommodante
dans la seule application de son mandat de
député, ne craignit pas de demander à ses
collègues de le nommer questeur.
Il sentait bien que là était sa destinée.
Ses collègues intimidés l'élurent après une
scène effroyable qu'il leur fit en sortant de
déjeuner.
Baze avait trouvé sa voie !
11 était au comble'de sa fortune.
Il pouvait enfin donner carrière à ses heu-
reuses qualités )
*
* *
On lui a rogné les ongles.
On l'a remisé.
Baze a eu beau monter à" la trib ine, gesti-
culer, se gonfler, hurler, bondir; on l'a à peu
près dégommé.
Désormais, il ne fera que ce qu'on lui or-
donnera de faire.
Et s'il n'est pas sage, on le cassera aux ga-
ges tout à fait.
*
Lui qui fessait si bien tout le monde, on l'a
fait passer par les verges.
Et. ce que nous en avons ri !
On nous a entendu des Balignolles.
Je crois même que ses électeurs l'enten-
dront d'Agen !
Ainsi soit-il !
Nicolas FLAMMÈCHE.
LE PORTEFEUILLE ENRAGÉ
on
MIIIKEL EMBÊTÉ PAR SIMON
Za scène se passe dans un des cabinets particu-
liers de, l'hôtel dis fiéservfiirs. Les terres à
Champagne, ont un crêpe au pied. Les bougies
pleurent en signe de, désolation. Dans un coin,
Ckangarnier arrache des cheveuxàsaperruque.
M. Dupanloup se, verse de la andre de cigare,
sur ta tête, et M. Baragnon déchire ses habits,
y compris sa chemise, jusqu'au nombril inclu-
sivement.
dahirel. Battus comme plâtre !
dupanloup. Après tant d'éloquence !
lorgeril. Qu'allons-nous devenir?
baragnon. Enseigner la gymnastique dans
•les écoles I
lorgeril, A la place des vers latins!
dupanloup.O Fénelonl oh! l'éducation des
filles! l'éducation des filles!
dahirel. Malédiction !
dupanloup. C'est Littré qui est cause de tout
cela! Pourquoi a-t-on reçu ce singe à l'Aca-
démie 1
dahirel. Que monseigneur a d'esprit!
dupanloup. Il ne s'agit pas d'esprit, mais
d'expédients... Comment sortir de là?... On
a supprimé jusqu'au thème latin!... Ah ! c'est
Jules Janin qui ne sera pas content !
dahirel. Rosa, la rose, rosœ, de la rose,
hélas!
dupanloup. Dominus vobiscum, ou nous
sommes perdus !... L'éducation de la jeunesse
va tomber aux mains des séculiers ; il n'y a
plus de stabilité pour la société!... Vile,
emportons le décalogue au désert!
(Entrée de M. Jules Simon.)
j. simon. Ah! mais nonl mais non! pas ça,
hein! pas ça !
dupanloup. Si, si, au désert, au désert !
j. simon. Mais non, je vous dis, mais non.
D'abord, voyez-vous, c'est si loin!...
dupanloup. Ça ne fait rien, nous prendrons
l'omnibus, et avec la correspondance! !!
j. simon. Quoi ! vous voulez me quitter, moi
qui ai tant fait pour vous, qui vous dorlotais,
qui vous emmaillotais dans tous les petits
soins, ah !...
dahirel. Nous n'avons plus rien de com-
mun avec un homme qui pousse l'impudence
jusqu'à supprimer le thème...
dupanloup. Et qui remplace les vers latins
par les barres fixes et le trapèze!
j. simom. Hi! hi ! hi!
dahirel. Nous qui lui avions fait toutes les
concessions !
lorgeril. Ingrat!
dupanloup. Margaritas ante...
de falldux, entrant. Porcum... Je connais
ça; j'en fais, c'est mon métier!... Qu'est-ce
qu'il y a donc? On a l'air de se bouder, ici !
dahirel. Oui, Simon qui nous fait des mi-
sères.
de falloux. Tiens, tiens!... Cependant il
avait été bien gentil jusqu'ici !
dahirel. Eh oui ! mais voilà qu'il veut faire
à sa tête, maintenant.
de falloux. Eh bien I qu'on lui ôte son
portefeuille)
dahirel. Peux pas!... Il s'est assis dessus!
de falloux. Est-ce vrai, Simon?... Est-il
possible !
j. simon. Mais je vous assure que je fais tout
ce qu'on veut; vous voyez bien, je vais à la
messe quand on me le demande; si vous vou-
lez, je communierai, je ferai mes pâques et je
vous montrerai mon billet de contession, mais
il fallait supprimer le vers latin, voyez-vous ;
c'est le seul sacrifice que j'aie fait à la révolu-
tion. Au fond, qu'esl-ce que c'est que les vers
latins? Bien du tout, n'est-ce pas'' 11 n'y eu a
pas un parmi vous qui saurait en mettre un
sur pied. Eh bien ! voyez mon adresse : le parti
républicain m'en voulait de mon amitié pour
vous : en supprimant les vers latins qui de-
vaient vous faire crier, je le savais, j'ai l'air
de me fâcher avec vous; le parti coupe là-
dedans comme dans du beurre; il nous croit
à couteaux tirés, et pas du tout, puisque...
de falloux. Dans mes bras, Jules, dans mes
bras! tu es un grand homme"!
dupanloup. Quoi! Falloux l'embrasse!
j. simon. Mais oui, puisque tout ça c'était
pour rire, et que nous restons amis.
dupanloup. Alors, Dahirel, il faut lui par-
donner!
dahirel. boit; pour cette fois, puisque c'é-
tait une blague!
de falloir, Par tous les chemins à un seul
but.
JOB.
Ce n'est pas encore fait!
On peut bi*n en parler, et il est probable
qu'on en parlera longtemps, de cette fusion
qui doit mettre le parti radical dans ses petits
souliers, à ce que prétendent les journaux
bien pensants.
Elle n'est pas impossible, puisqu'il n'y a
d'impossible que de's'asseoir sur une baïon-
nette; mais à le bien prendre, malgré les pro-
t stations de M. Larochefoucauld-Bisaccia,
eïl nous paraît diablement risquée.
Je suppose que j'aie eu l'avantage de faire
guillotiner votre grand-père; il est peu pio-
bable que vous vouliez m'accepter pour votre
légataire universel, uniquement parce que je
vous en ferais la demande, et que vous alliez
chaque soir chez Marquis acheter des pralines
à la crème pour en bourrer ma progéniture.
Or, le comte de Chambord se trouve, vis-à-
vis du comte de Paris, dans une situation ana-
logue.
11 est donc peu probable qu'il le couche
tout au long sur son testament, parce que le
comte de Paris lui dira, en lui tendant la
main :
— Monsieur, je vous le jure : je suis bien
fâché de ce qui est arrivé.
Bien que Louis XVI ne soit pas le grand-
père du comte de Chambord, il lui touche
pourtant d'assez près, pour que sa mort ne
puisse être regardée par celui-ci comme un
événement de mince importance dont le sou-
venir peut être effacé par quelques paroles.
De son côté, le comte de Paris ne peut pas
honorablement déclarer en public qu'il con-
sidère Philippe-Égalité, son aïeul, comme un
simple coquin qui mériterait, s'il vivait en-
core, d'être purement et simplement fusillé à
Satory.
Quelque peu de respect qu'on ait pour ses
parents, il est difficile d'en venir là, alors
mémo que, pour le comte de Chambord, le
comle de Paris cesserait d'être autre chose
que monsieur de Paris.
Si nous ne devons mourir que le jour de la
fusion, nous voilà immortels!
P. P. C.
♦
A. qui le (oui'?
La mort de l'ex-empereur est d'autant plus
regrettable pour les bonapartistes que l'espoir
d'une restauration est devenue, par suite de
ce décès, tellement problématique, qu'il se-
rait pour eux de bonne politique d'y re-
noncer.
Mais ce qui ajoute encore à la quantité de
noir que chacun d'eux a à broyer, c'est que
cette espérance s'étant éteinte au cœur de
beaucoup de fonctionnaires qui hésitaient en-
core, les fidèles du duc de Chislehurst vont
se trouver maintenant en hutte à toutes les
rigueurs du droit commun : les anciennes
amitiés qui leur gardaient jusqu'à cette heure
quelques restes de leurs privilèges d'autrefois,
les remettront désormais au pas, et lame des
tendres bonapartistes apparaîtra tout entière
dans sa laideur native.
Comment en douter?
L'ex-empereur n'a pas fermé l'œil, que
voilà déjà le conseil d'administration de la
Société industrielle qui s'assied sur les bancs
de la correctionnelle.
On avait acquitté Janvier de la Motte parce
qu'on se disait tout bas : Eh! eh! si l'autre, re-
venait, cependant!... De la prudence! de la
prudence !
Mais, cette fois-ci, qu'on est bien certain
que l'autre est dans le trou, tous les petits
Bertrands de Maeairr-Bureau ont d<3 fortes
chances pour aller tricoter de; chaussons de
lisières à Poissy ou à Clairvaux.
Ils s'étaient trop fiés, les petits Bertrands,
au mot du patron :
LA
Légende de l'aimable questeur
pour faire suite aux contes de perrault.
En ce temps-là vivait à Agen une honora-
ble famille, dont le seul chagrin était de ne
pas avoir de rejetons.
Le père s'appelait Baze.
Enfin le ciel exauça les vœux de ce digne
homme.
Il lui accorda un fils.
Le jour de la naistance du jeune Baze, des
signes non équivoques de la faveur céleste
éclatèrent par toute la ville.
Un rosier se ( ouvrit de fleurs au mois de
décembre ;
Les pruniers fournirent des prunes merveil-
leuses, si merveilleuses que, de même qu'on
parle encore du via de la Comète, ou s'entre-
tient encore dans les longues veillées des pru-
neaux de cette bienheureuse année.
Les notables de la ville, réunis autour du
A peine nommé, l'aimable questeur se mit
à bousculer les journalistes;
11 les appela escrocs, cabotins, canailles,
galopins, etc., etc. ;
Il en battit quelques-uns;
Il en aplatit d'autres;
Il en chassa le plus grand nombre comme
des pelés et des galeux.
Il disposa des places comme si elles eus-
sent été sa propriété.
11 moucha les lampes, balayaBles corridors,
mit du papier dans les cabinets, surveilla tout,
dirigea tout, régla tout, assommant tout le
monde et n'obligeant personne.
Et Baze se félicitait !
Et, Baze se frottait les mains !
Il fallait voir !
«
Hélas! toute médaille a son revers!
I/aimable questeur vient d'être mis à la
raison.
Cette insupportable mouche du coche a
tellem nt lassé l'Assemblée, qu'elle s'est re-
biffée et a mis le dit Baze à pied, comme un
simple cocher de fiacre ou une vulgaire ou-
vreuse de loges.
■ Paris, le 25 janvier 1873.
Le général gouverneur de Paris,
Sur l'avis de M. le ministre de l'intérieur et
vu le journal le Grelot, numéro du 16 du cou-
rant, lequel contient une chanson intitulée :
« Le bruit que, fait une vessie en crevant; » chan-
son conçue dans des termes odieux, attenta-
toires à la morale et au respect dû aux morts.
En vertu des pouvoirs que confère la loi
du 9 août 1849, sur l'état de siège,
Arrête :
Article 1er. — La vente sur la voie publique
du journal le Grelot est interdite pendant un
mois, à partir du 26 janvier.
Article 2. — M. le préfet de police est
chargé d'assurer l'exécution du présent ar-
rêté.
Le général, gouverneur de Paris,
Signé : de Ladmibault.
En présence de l'arrêté du général Ladmi-
rault, Paris-Journal, sous la signature de Gy-
gè-i (Jehan Valler!) imprime l'odieuse calom-
nie suivante, ayant évidemment pour but
d'attirer une seconde fois sur le Grelot les ri-
gueurs de l'état de siège :
« On sait que le dernier numéro du journal le Grelot a
été saisi pour un article intitulé : Du brait que fait une
vessie en crevant,
Ot article est signé : Job. .
Or, voulez-vous savoir miel est l'écrivain qui se cache
sous ce pseudonyme A? Job C'est, nous assure t on, l'ex-
rédacteur en chef du Père Duchesne pendant la Commune :
le citoyen Lugène Vermersch, collaborateur régulier du
Grelot depuis un certain temps, parait-il, sous les trois
pseudonymes de Job, Daniel et Un Homme de Rien.
Bien que ces renseignements nous soient affirmés, nous
espérons un démenti, cnr nous ne voulons pas croire
qu'un journal publié librement à Paris aille chercher
pour rédacteur un réfugié de la Commune, un des hom-
mes qui ont le plus contribué à pousser à la guerre ci-
vile, au meurtre et à l'incendie »
Non-seulement la rédaction du Grelot op-
pose à MM. Valter et C le plus énergique dé-
menti, mais encore la direction se réserve
d'assigner les inventeurs de cette fable mal-
veillante en police correctionnelle pour diffa-
mation.
Vermesch n'a jamais écrit ane ligne au Gre-
lot, et ce n'est point au moment où la Conven-
tion de Bordeaux e? t poursuivie par la justice
civile pour avoir inséré une lettre de Georges
Cavalier, que nous voudrions, sous le régime
paternel de l'état de siège,—enfreindre, en fa-
veur de l'ex-père Duchesne, contre lequel nous
avons su lutter courageusement, alors que
Paris-Journal était en sûreté à Versailles,— la
loi qui interdit à la presse d'avoir pour colla-
borateurs des complices de la Commune.
En revanche, M. Jehan-Gygès-Valter, citoyen
de la République Suisse, faisant de la politique
monarchiste en France, a eu l'honneur de col-
laborer au Grelot sous le pseudonyme de Tri-
boulet; mais comme il nous envoyait souvent
par erreur la copie réactionnaire destinée à la
feuille de M. Henri de Pêne, nous avons dû
nous priver de ses services.
Ce que, du reste, nous ne regrettons nul-
lement.
LA RÉDACTION.
berceau du nourrisson, qui ronflait harmo-
nieusement, s'extasiaient sur les traits char-
mants de l'adorable bébé.
— Voyez, disaient-ils, quelle figure intelli-
gente !
— Quel front élevé 1
— Quel nez ravissant 1
— Quelle structure délicate!
— Et cependant solide !
— Que ses joues sont fraîches !
—■ Que ses oreilles sont d'un dessin ex-
quisl
— Que cette bouche est vern eille et-fine!
Et le petit Baze ronflait toujours.
Enfin, il daigna se réveiller î our pousser
immédiatement quelques hurlements.
— Quelle voix admirable ! reprirent les no-
tables.
— Ce sera un homme célèbre.
— Un grand orateur!
— Un grand général 1
— Un grand j harmacien!
— Un prince de la science!
— Vous vous trompez tous, s'écria une voix
enrouée, qui n'appartenait à aucun des spec-
tateurs et qui semblait sortir de la cheminée...
il ne sera rien de tout cela !
— Et que sera-t-il donc, ô mon Dieu?
— Il sera questeur !
*
* *
Et en effet.
Le jeune Baze, dès sa plus tendre enfance,
manifesta certaines dispositions qui laissaient
évidemment voir que le ciel le destinait à de
grandes choses.
11 était rageur, quinteux, insolent, vaniteux,
querelleur, bourru et déplaisant à tout le
monde.
Pour un rien, il cassait une demi-douzaine
de dents à ses petits camarades ou leur pochait
un œil.
Il était charmant!... et les notables d'Agen
ne cessaient de se féliciter d'être les compa-
triotes d'un aussi sublime polisson.
*
* *
Je glisserai rapidement sur les jeunes années
de notre héros qui, à peine âgé de vingt ans,
rouait ses maîtresses de coups, sous prétexte
de leur former le style et l'esprit.
L'amour, cependant, n'eut jamais que peu
de prise sur ce cœur taillé dans le granit le
plus dur.
Il aima juste ce qu'il en faut pour se bien
porter.
L'aimable Baze savait qu'il était réservé à
de hautes fonctions et ne cessait de s'y pré-
parer par une étude approfondie de la boxe
et de la savate.
Lorsqu'il se sentit de force à solliciter les
suffrages de ses concitoyens, il se présenta à
la dôputation.
Un vote unanime l'envoya à l'Assemblée.
Dans sa jubilation, Baze, de reloue dans sa
rna'son, administra une pile effroyable à son
domestique, qui avait négligé de l'appeler :
mossieu le député.
Ak! il commençait bien!
*
Une fois à la Chambre, le doux Baze, ne
trouvant pas un emploi assez satisfaisant de
ses biceps et de son humeur accommodante
dans la seule application de son mandat de
député, ne craignit pas de demander à ses
collègues de le nommer questeur.
Il sentait bien que là était sa destinée.
Ses collègues intimidés l'élurent après une
scène effroyable qu'il leur fit en sortant de
déjeuner.
Baze avait trouvé sa voie !
11 était au comble'de sa fortune.
Il pouvait enfin donner carrière à ses heu-
reuses qualités )
*
* *
On lui a rogné les ongles.
On l'a remisé.
Baze a eu beau monter à" la trib ine, gesti-
culer, se gonfler, hurler, bondir; on l'a à peu
près dégommé.
Désormais, il ne fera que ce qu'on lui or-
donnera de faire.
Et s'il n'est pas sage, on le cassera aux ga-
ges tout à fait.
*
Lui qui fessait si bien tout le monde, on l'a
fait passer par les verges.
Et. ce que nous en avons ri !
On nous a entendu des Balignolles.
Je crois même que ses électeurs l'enten-
dront d'Agen !
Ainsi soit-il !
Nicolas FLAMMÈCHE.
LE PORTEFEUILLE ENRAGÉ
on
MIIIKEL EMBÊTÉ PAR SIMON
Za scène se passe dans un des cabinets particu-
liers de, l'hôtel dis fiéservfiirs. Les terres à
Champagne, ont un crêpe au pied. Les bougies
pleurent en signe de, désolation. Dans un coin,
Ckangarnier arrache des cheveuxàsaperruque.
M. Dupanloup se, verse de la andre de cigare,
sur ta tête, et M. Baragnon déchire ses habits,
y compris sa chemise, jusqu'au nombril inclu-
sivement.
dahirel. Battus comme plâtre !
dupanloup. Après tant d'éloquence !
lorgeril. Qu'allons-nous devenir?
baragnon. Enseigner la gymnastique dans
•les écoles I
lorgeril, A la place des vers latins!
dupanloup.O Fénelonl oh! l'éducation des
filles! l'éducation des filles!
dahirel. Malédiction !
dupanloup. C'est Littré qui est cause de tout
cela! Pourquoi a-t-on reçu ce singe à l'Aca-
démie 1
dahirel. Que monseigneur a d'esprit!
dupanloup. Il ne s'agit pas d'esprit, mais
d'expédients... Comment sortir de là?... On
a supprimé jusqu'au thème latin!... Ah ! c'est
Jules Janin qui ne sera pas content !
dahirel. Rosa, la rose, rosœ, de la rose,
hélas!
dupanloup. Dominus vobiscum, ou nous
sommes perdus !... L'éducation de la jeunesse
va tomber aux mains des séculiers ; il n'y a
plus de stabilité pour la société!... Vile,
emportons le décalogue au désert!
(Entrée de M. Jules Simon.)
j. simon. Ah! mais nonl mais non! pas ça,
hein! pas ça !
dupanloup. Si, si, au désert, au désert !
j. simon. Mais non, je vous dis, mais non.
D'abord, voyez-vous, c'est si loin!...
dupanloup. Ça ne fait rien, nous prendrons
l'omnibus, et avec la correspondance! !!
j. simon. Quoi ! vous voulez me quitter, moi
qui ai tant fait pour vous, qui vous dorlotais,
qui vous emmaillotais dans tous les petits
soins, ah !...
dahirel. Nous n'avons plus rien de com-
mun avec un homme qui pousse l'impudence
jusqu'à supprimer le thème...
dupanloup. Et qui remplace les vers latins
par les barres fixes et le trapèze!
j. simom. Hi! hi ! hi!
dahirel. Nous qui lui avions fait toutes les
concessions !
lorgeril. Ingrat!
dupanloup. Margaritas ante...
de falldux, entrant. Porcum... Je connais
ça; j'en fais, c'est mon métier!... Qu'est-ce
qu'il y a donc? On a l'air de se bouder, ici !
dahirel. Oui, Simon qui nous fait des mi-
sères.
de falloux. Tiens, tiens!... Cependant il
avait été bien gentil jusqu'ici !
dahirel. Eh oui ! mais voilà qu'il veut faire
à sa tête, maintenant.
de falloux. Eh bien I qu'on lui ôte son
portefeuille)
dahirel. Peux pas!... Il s'est assis dessus!
de falloux. Est-ce vrai, Simon?... Est-il
possible !
j. simon. Mais je vous assure que je fais tout
ce qu'on veut; vous voyez bien, je vais à la
messe quand on me le demande; si vous vou-
lez, je communierai, je ferai mes pâques et je
vous montrerai mon billet de contession, mais
il fallait supprimer le vers latin, voyez-vous ;
c'est le seul sacrifice que j'aie fait à la révolu-
tion. Au fond, qu'esl-ce que c'est que les vers
latins? Bien du tout, n'est-ce pas'' 11 n'y eu a
pas un parmi vous qui saurait en mettre un
sur pied. Eh bien ! voyez mon adresse : le parti
républicain m'en voulait de mon amitié pour
vous : en supprimant les vers latins qui de-
vaient vous faire crier, je le savais, j'ai l'air
de me fâcher avec vous; le parti coupe là-
dedans comme dans du beurre; il nous croit
à couteaux tirés, et pas du tout, puisque...
de falloux. Dans mes bras, Jules, dans mes
bras! tu es un grand homme"!
dupanloup. Quoi! Falloux l'embrasse!
j. simon. Mais oui, puisque tout ça c'était
pour rire, et que nous restons amis.
dupanloup. Alors, Dahirel, il faut lui par-
donner!
dahirel. boit; pour cette fois, puisque c'é-
tait une blague!
de falloir, Par tous les chemins à un seul
but.
JOB.
Ce n'est pas encore fait!
On peut bi*n en parler, et il est probable
qu'on en parlera longtemps, de cette fusion
qui doit mettre le parti radical dans ses petits
souliers, à ce que prétendent les journaux
bien pensants.
Elle n'est pas impossible, puisqu'il n'y a
d'impossible que de's'asseoir sur une baïon-
nette; mais à le bien prendre, malgré les pro-
t stations de M. Larochefoucauld-Bisaccia,
eïl nous paraît diablement risquée.
Je suppose que j'aie eu l'avantage de faire
guillotiner votre grand-père; il est peu pio-
bable que vous vouliez m'accepter pour votre
légataire universel, uniquement parce que je
vous en ferais la demande, et que vous alliez
chaque soir chez Marquis acheter des pralines
à la crème pour en bourrer ma progéniture.
Or, le comte de Chambord se trouve, vis-à-
vis du comte de Paris, dans une situation ana-
logue.
11 est donc peu probable qu'il le couche
tout au long sur son testament, parce que le
comte de Paris lui dira, en lui tendant la
main :
— Monsieur, je vous le jure : je suis bien
fâché de ce qui est arrivé.
Bien que Louis XVI ne soit pas le grand-
père du comte de Chambord, il lui touche
pourtant d'assez près, pour que sa mort ne
puisse être regardée par celui-ci comme un
événement de mince importance dont le sou-
venir peut être effacé par quelques paroles.
De son côté, le comte de Paris ne peut pas
honorablement déclarer en public qu'il con-
sidère Philippe-Égalité, son aïeul, comme un
simple coquin qui mériterait, s'il vivait en-
core, d'être purement et simplement fusillé à
Satory.
Quelque peu de respect qu'on ait pour ses
parents, il est difficile d'en venir là, alors
mémo que, pour le comte de Chambord, le
comle de Paris cesserait d'être autre chose
que monsieur de Paris.
Si nous ne devons mourir que le jour de la
fusion, nous voilà immortels!
P. P. C.
♦
A. qui le (oui'?
La mort de l'ex-empereur est d'autant plus
regrettable pour les bonapartistes que l'espoir
d'une restauration est devenue, par suite de
ce décès, tellement problématique, qu'il se-
rait pour eux de bonne politique d'y re-
noncer.
Mais ce qui ajoute encore à la quantité de
noir que chacun d'eux a à broyer, c'est que
cette espérance s'étant éteinte au cœur de
beaucoup de fonctionnaires qui hésitaient en-
core, les fidèles du duc de Chislehurst vont
se trouver maintenant en hutte à toutes les
rigueurs du droit commun : les anciennes
amitiés qui leur gardaient jusqu'à cette heure
quelques restes de leurs privilèges d'autrefois,
les remettront désormais au pas, et lame des
tendres bonapartistes apparaîtra tout entière
dans sa laideur native.
Comment en douter?
L'ex-empereur n'a pas fermé l'œil, que
voilà déjà le conseil d'administration de la
Société industrielle qui s'assied sur les bancs
de la correctionnelle.
On avait acquitté Janvier de la Motte parce
qu'on se disait tout bas : Eh! eh! si l'autre, re-
venait, cependant!... De la prudence! de la
prudence !
Mais, cette fois-ci, qu'on est bien certain
que l'autre est dans le trou, tous les petits
Bertrands de Maeairr-Bureau ont d<3 fortes
chances pour aller tricoter de; chaussons de
lisières à Poissy ou à Clairvaux.
Ils s'étaient trop fiés, les petits Bertrands,
au mot du patron :
LA
Légende de l'aimable questeur
pour faire suite aux contes de perrault.
En ce temps-là vivait à Agen une honora-
ble famille, dont le seul chagrin était de ne
pas avoir de rejetons.
Le père s'appelait Baze.
Enfin le ciel exauça les vœux de ce digne
homme.
Il lui accorda un fils.
Le jour de la naistance du jeune Baze, des
signes non équivoques de la faveur céleste
éclatèrent par toute la ville.
Un rosier se ( ouvrit de fleurs au mois de
décembre ;
Les pruniers fournirent des prunes merveil-
leuses, si merveilleuses que, de même qu'on
parle encore du via de la Comète, ou s'entre-
tient encore dans les longues veillées des pru-
neaux de cette bienheureuse année.
Les notables de la ville, réunis autour du
A peine nommé, l'aimable questeur se mit
à bousculer les journalistes;
11 les appela escrocs, cabotins, canailles,
galopins, etc., etc. ;
Il en battit quelques-uns;
Il en aplatit d'autres;
Il en chassa le plus grand nombre comme
des pelés et des galeux.
Il disposa des places comme si elles eus-
sent été sa propriété.
11 moucha les lampes, balayaBles corridors,
mit du papier dans les cabinets, surveilla tout,
dirigea tout, régla tout, assommant tout le
monde et n'obligeant personne.
Et Baze se félicitait !
Et, Baze se frottait les mains !
Il fallait voir !
«
Hélas! toute médaille a son revers!
I/aimable questeur vient d'être mis à la
raison.
Cette insupportable mouche du coche a
tellem nt lassé l'Assemblée, qu'elle s'est re-
biffée et a mis le dit Baze à pied, comme un
simple cocher de fiacre ou une vulgaire ou-
vreuse de loges.