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Le Grelot: journal illustré, politique et satirique — 3.1873

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https://doi.org/10.11588/diglit.6812#0193

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LE GRELOT

(Supplément au numéro 133)

A partir de la semaine prochaine,
le Supplément littéraire du Grelot pa-
raîtra régulièrement sur quatre pages,
sans augmentation de prix.

LA CHEMISE DE FEU

VI

UNE LUEUR DANS LA HUIT

De toutes les rues singulières du vieux Paris, détruit
aujourd'hui par suite des embellissements successive-
ment apportés à la capitale, l'une des plus curieuses
était certainement la rue de la Calandre.

C'était un amas de bâtisses rachitiques et pen-
chantes, construites au hasard, sans aucun souci de
l'alignement, et qui formaient en s'accolant les unes
aux autres, une série d'angles et de saillies du plus
bizarre effet.

Des industries mystérieuses s'y exerçaient.

Il y avait là des caves où on fabriquait de la fausse
monnaie, et des greniers où des juifs pratiquaient leur
métier de recéleur et fondaient au creuset les objets
d'or et d'argent volés par les tilous parisiens.

Les prostituées de la dernière classe y trouvaient
des bouges propres à leur commerce.

Tout un monde ténébreux avait là son centre d'af-
faires.

On y voyait un cabaret fréquenté par les escarpes
qui portait ce nom horrible : A l'Homme Buté, —
et plusieurs de ces fripiers où les voleurs vont de-
mander les déguisements qui leur sont nécessaires, et
qu'ils appellent, dans leur langue pittoresque, des
changeurs, y avaient élu domicile.

Par une froide soirée d'octobre, — rendue plus triste
encore par une petite pluie fine qui tombait depuis
le matin, — deux hommes s'engagèrent dans cette rue
où la police elle-même n'osait pas s'aventurer.

Ces deux hommes semblaient venir de loin.

Ils étaient crottés jusqu'à l'échiné et mouillés jus-
qu'aux os.

Ils s'arrêtèrent devant le n" 7 de la rue de la Ca-
landre.

Cette maison, qui se composait d'un rez-de-chaussée
et de deux étages, était occupée par un brocanteur
qui vendait un peu de tout, — de vieilles ferrailles,
des armes, des trousseaux de clés, des outils de toute
espèce.

* Mais ce n'était point là le principal commerce du
Père l'Enquille, — comme on l'appelait.

Il réalisait le plus clair de ses bénéfices en se livrant
au recel,— et surtout en faisant de sa maison une
espèce d'agence et de bureau de placement pour les
voleurs.

11 y a dans le inonde de la pègre un certain nombre
d'individus qui tiennent beaucoup à leur liberté, —
ce qui se conçoit, — et qui évitent avec soin les con-
damnations ; aussi, au lieu d'opérer eux-mêmes, ils se
contentent de combiner des vols et de les indiquer à
d'autres.

Cette espèce de filous s'appelle, en argot, les nour-
risseurs.

Un voleur de cette catégorie croit-il avoir trouvé
une affaire, il l'étudié et attend jusqu'à ce que l'oc-
casion lui paraisse favorable, — tî nourrit le poupard,
en un mot.

Quand il croit que le moment propice est arrivé, il
s'adresse à un ouvrier qui se charge do l'exécution du
vol.

Après quoi, on partage d'après les conditions spé-
cifiées d'avance.

Lé père l'Enquille était un intermédiaire entre les
« ouvriers » et les « nourrisseurs, » — et comme les
uns et les autres lui faisaient également une remise sur
l'affaire, il était facile de comprendre que ses bénéfices
devaient être assez élevés.

Quand un voleur manquait d'ouvrage, il allait au
n° 7 de la rue de la Calandre, et disait :

— Y a-t-il quelque chose pour moi?

— Attends, pégriot,—lui disait le père l'Enquille,—
je vais te dire ça.

11 passait alors avec le filou dans son arrière-bou-
tique, et lui expliquait, s'il y avait lieu, la besogne à
accomplir.

Les deux hommes que nous avons montrés circulant
dans la rue de la Calandre, sous la pluie, ne s'arrê-
tèrent pas à la boutique du père l'Enquille.

Ils la dépassèrent, — et s'enfoncèrent dans une pe-
tite allée sombre et étroite qui longeait son magasin.

Ils fermèrent avec soin la porte derrière eux, — et
montèrent l'escalier qui se trouvait au fond de l'allée.

Le premier étage servait de réserve aux marchan-
dises du père l'Enquille.

Les deux hommes poussèrent donc directement jus-
qu'au second.

Quand ils eurent mis le pied sur le dernier palier,
une porle s'ouvrit au fond du corridor où ils allaient
s'engager, — et la lueur d'une chandelle vint éclairer
leur marche, — ce dont ils avaient grand besoin, car
aucune fenêtre ne donnait de jour à l'escalier où l'on
n'avait pas même eu la précaution d'allumer une veil-
leuse.

— C'est vous?... — demanda une voix de femme.

— Oui, — dirent ensemble les deux hommes, —
c'est nous.

— Arrivez, le souper est prêt.

Les deux hommes entrèrent dans la chambre d'où

(1) Toute reproduction est interdite.

la voix de femme était partie et où ils trouvèrent la
table mise.

— Tiens, — dit la vieille femme, qui était haute et
maigre, et semblait avoir une soixantaine d'années, —
mets-toi ici, I.adorée, et toi là, Neveu... Comme ça
vous aurez le dos au feu pour vous sécher; vous avez
l'air d'en avoir crânement besoin.

I.adorec el Neveu, — car c'étaient eux, — s'assirent
aux places que la vieille femme leur avait désignées,

— non sans avoir préalablement ôtô leurs paletots
ruisselants de pluie et les avoir étalés sur des chaises
près de la cheminée.

— Eh bicnl... Johanna!... nous as-tu fait un bon
S0l,per?... — dit Ladorec

— Une soupe au lard, — répondit la vieille femme,

— un rasoût aux pommes, des entrecotes, de la salade
et du fromaae... Si vous n'êtes pas contents avec ça,
vous serez difficiles!..

— Allons, ma vieille, ça ira, — dit Ladorec, dont
les pensées sombres semblaient ce soir-là s'être un
peu dissipées, — si tu disais à l'F.nquille de boucler
sa boutanche (fermer sa boutique) et de venir béquil-
ler avec nousaillcs (manger avec nous)?

— Snitl... — dit Johanna.

Et elle disparut dans l'escalier qu'on l'entendit des-
cendre avec plus de rapidité qu'on n'eût pu en attendre
d'une femme de son âge.

— L'Enquille nous apprendra peut-être du nou-
veau, — dit Ladorec à Neveu. — Celui-là est toujours
bien informé.

— Et puis, — ajouta Neveu, — c'est un homme de
bon conseil dans tous les cas.

On entendit, bientôt des pas dans l'escalier, et la
porte de la chambre s'ouvrit de nouveau.

I e père l'Enquille entra, suivi de Johanna.
C'était un homme d'une soixantaine d'années, long,

sec jaune, au museau de fouine, et dont toute la per-
sonne respirait à un degré indéfinissable la sournoise-
rie et la ruse.

II s'assit, après avoir serré la main aux deux con-
vives déjà attablés.

Johanna se plaça à coté de lui, et le repas com-
mença.

La conversation roula d'abord, — vague et sans pré-
cision.— sur ce qui venait de se passer dans le monde
où vivaient habituellement nos quatre personnages, —
sur les projets en l'air, sur les arrestations opérées la
veille, les évasions, etc.

Puis elle prit un caractère plus intime.

— Savez-vous, — dit l'Enquille, — que ce que vous
m'avez raconté hier fort brièvement est bien sinculier.

— Oui, — répondit Ladorec, — mais nous finirons
bien par en savoir le fin mot.

— N'aviez-vous rien remarqué de louche auparavant?

— reprit le vieux brocanteur en s'adressant à Johanna.

— Non, rien, absolument, — répondit celle-ci.

— Écoutez, dit Ladorec, je vais vous mettre, Neveu
et toi, dans la confidence, complète... J'avais d'abord
résolu d'attendre jusqu'à ce qu'on eût retrouvé Ga-
brielle pour vous faire connaître tout mon secret ; mais
j'ai réfléchi depuis, et je crois plus utile de vous révé-
ler, dès maintenant, la vérité tout entière...

Johanna fit silencieusement un signe de tête affir-
matif.

— Qu'y a-t-il donc encore?... dit l'Enquille.

— Voici... Vous pensez bien que, s'il ne s'agissait
que de cette femme, l'affaire ne me tiendrait pas si
fort au cœur...

— Ah! dit Neveu... Je pensais bien qu'il y avait
quelque chose de plus.

— Oui, dit Ladorec, et ce quelque chose, — qui
m'est plus cher que n'importe quoi au monde, — c'est
mon fils!

— Un enfant !... s'écria l'Enquille.

— Oui... un enfant!

— Ah ! je comprends à présent !

— Voilà pourquoi je veux à toute force retrouver
cette femme.

— Mais quel a pu être le motif qui l'a poussée à
l'enlever avec elle?

— Que sais-je, moi?... Est-ce pour avoir un moyen
de défense contre moi quand nous nous retrouverons?...
ou seulement par amour maternel?

— Voyons, dit l'Enquille en appuyant par un geste
de réflexion qui lui était habituel, l'index de sa main
droite contre son nez, — voyons, comment cet enlè-
vement s'est-il fait?... Car ce n'est qu'en en étudiant
tous les détails que nous arriverons à trouver la
piste...

— Parfaitement, dit Ladorec, mais je ne sais moi-
môme que ce que Johanna m'a raconté.

— Eh bien ! que sait-elle?

— La chose, dit Johanna, s'est passée il y a main-
tenant à peu près quatre ans et demi,..

— Quel âge avait alors l'enfant?... demanda l'En-
quille.

— Deux ans et quelques mois.

— Bon. Continue.

— Ladorec l'avait placé dans un petit village situé
dans la banlieue rie Gap, chez une bonne femme qui
ignorait complètement la position du père et de la
mère. De temps en temps, Ladorec quittait sa bande,
arrivait rue des Templiers et allait voir son enfant chez
la nourrice, avec Gabrielle; mais quand il fut arrêté h
Grenoble, il y avait à peu près six mois que nous ne
l'avions point vu à Gap...

— Pourquoi donc?... interrompit l'Enquille.

— Nous avions eu une série d'affaires importantes
qui rie m'avaient pas permis de m'éloigner.

— Après le dernier voyage de Ladorec, Gabrielle
coulinua à aller voir son fils toutes les semaines, comme
elle en avait l'habitude...

— Seule?...

— Quelquefois je l'accompagnais, —mais la plupart
d temps elle était seule.

— Imprudence !

— Sans doute, dit Johanna, — mais on ne peut tout
prévoir... C'était une petite femme si douce, si tran-
quille, qu'on lui aurait donné, comme on dit, le bon
Dieu sans confession ; et, — pour détourner les soup-
çons, sans doute, — c'était elle qui, presque toujours,
me demandait de l'accompagner...

— Vous n'aviez rien remarqué de suspect dans ses
allures.

— Non, — moi, du moins.

— Mais, moi, dit Ladorec, — dès mon avant-dernier
voyage, il m'avait semblé qu'elle n'était plus la même
à mon égard. Aussi quand j'allai à Gap la dernière
fois, j'emmenai Neveu avec mois, — et je lui fis sur-
veiller trois jours et trois nuits la maison de la rue des
Templiers...

— Et?...

— Et il ne vit rien de particulier.

— C'est que, sans doute, s'il y avait quelque amour
sous jeu, dit l'Enquille, l'intrigue avait été nouée ail-
leurs.

— Oui, reprit Johanna, et c'est probablement ainsi
que la chose s'est passée : la nourrice, — quand je la
vis après l'enlèvement, — m'avoua que, depuis quel-
que temps, Gahrielleétaittouioursaccompagnée, quand
elle venait voir son fils, d'un jeune homme qui lui don-
nait le bras.

— Et pour qui Gabrielle le faisait-elle passer !

— Pour son frère.

— Mais comment se fait-il que la nourrice ne vous
en ait jamais parlé?

— La bonne femme était royaliste, et Gabrielle fai-
sait passer son frère pour un émigré rentré en France
à la faveur d'un incognito qu'il ne fallait point trahir
sous peine de lui faire courir les plus grands dangers.

— En vérité, dit l'Enquille, tout cela était assez
bien mené.

— Oui, répondit Ladorec, et ce n'est point elle qui
eût trouvé cela toute seule.

— Je le crois aussi, reprit l'Enquille... mais dites-
moi, Johanna, quelles furent les particularités de l'en-
lèvement?

— Un jeudi, après déjeuner, dit la vieille femme,
Gabrielle partit de la rue des Templiers pour aller voir
son fils, comme elle faisait chaque semaine.

— Et vous n'avez rien aperçu d'extraordinaire ce
jour-là dans sa mise ou dans ses manières?...

— Non. Elle avait la robe de soie noire qu'elle por-
tait d'habitude, son chapeau de paille et sa voilette de
dentelle... ce fut seulement le soir de sa fuite que je
me rappelai qu'elle m'avait embrassée avant de partir,
— ce qui no lui arrivait jamais, — et qu'elle m'avait
semblée émue et extrêmement pâle... Je n'y avais
point fait attention sur le moment... Et il y avait bien
un mois qu'elle était partie quand je m'aperçus de la
disparition d'un médaillon qui contenait le portrait
du petit Achille à l'âge de dix-huit mois...

— Qu'avez-vous fait quand vous vous êtes aperçu
de la fuite de Gabrielle?...'

—' Elle avait l'habitude de rentrer vers les six heu-
res du soir, Lorsque huit heures sonnèrent, je com-
mençai à être inquiète. Vers neuf heures, je craignais
quelque accident. Enfin, à dix heures, je n'y tins plus,
et je courus chez la nourrice...

— Eh bien?... _ '

— Je trouvai la bonne femme couchée... Elle fut
toute stupéfaite de me voir, — mais ce qu'elle allait
me dire devait bien plus m'étonner que je ne l'avais
surprise elle-même par ma présence... En effet, quand
je lui demandai où était Gabrielle, elle me répondit
qu'elle devait être de retour depuis longtemps puis-
qu'elle n'avait fait que passer à midi, et était repartie
aussitôt...

— Mais l'enfant?...

— Attendez... Je m'informai aussitôt du petit
Achille, — prévoyant que quelque chose de fâcheux
venait d'arriver...

— Alors?

— Alors, voici ce que la nourrice me raconta : le
matin, vers les dix heures, un homme était venu, por-
teur d'un mot de Gabrielle, qui se disait malade, de-
mander l'enfant qu'il avait emmené avec lui, soi-di-
sant pour le conduire rue des Templiers, — et la nour-
rice le lui avait remis.

— Mais comment expliquez-vous?...

— Ce n'est pas tout, — continua Johanna, — et
voici ce que je trouve de plus singulier dans toute cette
affaire... « L'homme, — dit la nourrice, — était parti
depuis deux heures environ quand une berline do
poste à quatre chevaux s'arrêta devant la cabane. Dans
cette berline se trouvaient madame Gabrielle et le
jeune homme qu'elle m'avait dit être son frère. Je fus
très-étonnéo de la voir, puisqu'elle m'avait fait dire
qu'elle était malade, et en effet elle était blanche
comme un linge. Mais je fus bien plus étonnée en-
core quand elle me déclara qu'elle venait chercher
son tils... Je lui répondis que l'enfant était parti depuis
dix heures du matin pour l'aller voir, et que je l'avais
remis à l'homme qu'elle m'avait envoyé. A ces mots,
le mal de la dame redoubla sans doute, — elle devint
encore plus pâle, et tomba en syncope, — ce qui n'a-
vait rien d'étonnant, car elle m'avait fait l'effet, en ar-
rivant, d'une femme qui va faire une grande maladie.
Son frère l'a prise alors dans ses bras, et l'a portée dans
h berline qui s'est immédiatement éloignée au galop...»

— Il y a en effet dans tout cela, — dit le père l'En-
quille en secouant la tête, — quelque chose qui n'est
pas clair, mais on l'éclaircira, si cela dépend de moi,
du moins... Car je n'oublie pas que tu m'as sauvé la
vie, mon vieux Ladorec, le jour où ce coquin de
Filoche,qui depuis a été buté (guillotiné) à Arras, vou-
lait m'estourbir d'un coup duvingt-deux (me tuer d'un
coup de poignard) au tapis de la loche de jonc (au
cabaret do l'oreille d'or).

— Nous y arriverons, mais comment faire?... — dit
Ladorec, — je ne sais à quoi me décider.

— Un mot d'abord, — dit l'Enquille, — avez-vous
besoin de travailler?...

— Non, — dit Neveu, — nous avons sauvé le trésor
des Francs-Routiers.

— Tant mieux, — dit l'Enquille; — comme ça
nous avons les coudes libres, et nous avons le temps
d'attendre un grand coup, sans nous compromettre
dans des bagatelles.

— Nous avons de quoi vivre pendant plusieurs an-
nées, nous et ceux que nous emploierons, — dit à
son tour Ladorec.

Et, allant à un placard dissimulé dans la muraille,

il en tira une petite cassette, qu'il apporta sur la table.

Il l'ouvrit, et ses compagnons aperçurent d'abord un
amas énorme do pièces d'or qui semblait remplir toute
la cassette.

Ladorec vida cet or dans un grand vase" qu'il prit
sur la cheminée, et fit jouer un ressort de la cassette
qui découvrit un double-fond.

Le second compartiment de la boîte était littérale-
ment bourré de pierres précieuses : diamants, rubis,
perles, émeraudes, saphirs, etc., la plupart d'une
grande valeur et qui lançaient dans la chambre des
gerbes de flammes de mille couleurs.

Le père l'Enquille y plongea le bout des doigts avec
une sorte d'ivresse et dit :

— Les jolis cailloux!... comme ça luit!

— Tu comprends, — dit Ladorec, — que pour l'in-
stant nous n'avons besoin de nous inquiéter de rien.

— Ça tombe à merveille, — reprit l'Enquille.

— Quand j'appris de la bouche de Johanna, il y a
quelques jours, à Gap, les détails qu'elle vient de vous
répéter, et qu'elle n'avait pu me transmettre plus tôt
à cause des déplacements continuels de la bande dans
les derniers mois de son existence, mon premier soin
fut de lui demander les démarches qu'elle avait faites
pour retrouver la trace des fugitifs...

— Qu'a-t-elle découvert?...

— Des choses qui, sans avoir une importance déci-
sive, ne doivent cependant pas être sans influence sur
la direction à donner à nos recherches. Celle-ci d'a-
bord : le signalement du jeune homme, à peu près
exact, sans doute,et tel que la nourrice le lui a donné...

— Voyons...

— C'était alors un garçon d'environ vingt-trois ans.
Très-brun. Taille moyenne. Les yeux noirs. Le teint
cuivré comme un indien La tournure élégante. Riche
assurément, à en juger du moins par son équipage...

— Très-bien.

— Johanna se rendit, ensuite aux messageries, et elle
y apprit que le jeune homme, dont elle fit le portrait
au maître de poste, et qui avait loué la berline, avait
manifesté l'intention de se rendre à Paris,..

— Oui, mais n'était-ce pas là un piège pour détour-
ner l'attention... Et, en admettant qu'il se soit en effet
rendu à Paris, y est-il resté depuis ce temps-là?...
Voilà la question!,.. Et s'il y est resté, Gibrielle est-
elle encore sa maîtresse?...

— C'est là précisément ce qu'il nous faut vérifier.

— Sans doute.

— Et c'est pour cela, — dit Ladorec, — que l'idée
m'est venue de reprendre pour quelque temps mon
tapis et mes gobelets, et de parcourir Paris en tous
sens en faisant des tours d'escamotage... Peut-être ar-
riverai-je ainsi à voir bien des choses... On ne se défie
pas de nous, on se met aux fenêtres, et on nous laisse
pénétrer dans les cours...

— Puisque Neveu a vu la jeune fille, — dit l'En-
quille, — il la reconnaîtrait peut-être...

— Aussi, — reprit Ladorec, — je compte bien l'em-
mener avec moi...

— Mais comment donc vous êtes-vous retrouvés?...
— demanda encore l'Enquille.

— Ma foi!... — dit Ladorec,— presque par hasard...
En arrivant à Paris je descendis chez la mère de la
Pègre, dont j'avais eu l'adresse à Toulon, et là je ren-
contrai qui?... Lapineau !

— Lapineau! — s'exclama l'Enquille... — C'est
bon, continuez; mais je vais vous en parler tout à
l'heure, de Lapineau.

— Nous nous étions trouvés dans le temps à Rrest,
et comme il avait l'intention de faire quelque chose,
se trouvant presque sans le sou. il me demanda si je
voulais travailler avec lui... Je lui dis que ce n'était
pas de refus, mais que je désirais auparavant savoir
ce que les camarados étaient devenus, parce qu'on
pourrait alors mieux tailler dans le grand. Ce fut alors
qu'il me mena chez la mère Argus où je revis Neveu.

— Lapineau, — dit alors l'Enquille en posant de
nouveau son index contre son nez, — est un intrigant
qui peut être fort utile, et qui peut être aussi fort dan-
gereux selon l'occasion... T'a-t-il dit qu'il avait fait
partie de la police du temps de Fouché ?

— Non.

— Peu de gens le savent, du reste.

— Je le savais, moi, — dit Neveu.

— C'est un juif, — continua l'Enquille, — et pour
cent sous il vendrait sa mère... Mais il est aussi pol-
tron qu'il est fourbe, et c'est pourquoi il ne veut ja-
mais risquer lui-même les coups où il y a des chances
à courir.

— Mais trahirait-il?

— Pour se sauver, oui; sinon, non ; à moins cepen-
dant qu'il n'y voie un intérêt évident pour lui.

— Diable! mais c'est un individu dont on aurait
déjà dû se défaire.

— Je crois qu'on y a pensé, mais c'est un adroit
compère, et souvent on a besoin de lui, car c'est un
dénicheur d'affaires du premier ordre.

— Soit!... Mais qu'importe?

— Cela importe à beaucoup de gens qui ne sont
pas assez malins pour trouver de l'ouvrage eux-mêmes.
Rien ne lui coûte, à lui, pour arriver à ses plans. Un de
ses trucs, tenez, c'est de se placer comme domestique
dans le grand monde. Une fois installé chez un grand
seigneur, il étudie tous les tenants et aboutissants,
prépare ses batteries, et alors il vient me trouver et
m'indique généralement une affaire au bout de laquelle
il y a un joli magot...

Horack CHERPIN.

(La suite au prochain numéro.)
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