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Le Grelot: journal illustré, politique et satirique — 3.1873

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https://doi.org/10.11588/diglit.6812#0074

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2

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SUPPLÉMENT DU GRELOT

II

Qu'est-ce que Mi 'Barodet

Parmi les journaux qui combattent la candidature répu-
blicaine, il en est qui emploient des procédés courtois et
des arguments sérieux que nous discuterons; mais il en est
d'autres — et malheureusement c'est le grand nombre —
qui font de la controverse hysantine et établissent tout
leur édifice sur des-niaiseries' vraiment indignes du peu-
ple qui a été nommé, à tort, le plus spirituel, et un peu, à
raison, le plus léger de l'Europe. Une minute d'examen
suffira pour déjouer toutes leurs combinaisons et pour
renverser tous leurs calculs.

« — Qu'est-ce que. Barodet? s'écrient quelques-unes de
ces feuilles, plus ou moins stipendiées par les partis mo-.
narchiques qui se disputent la peau de l'ours qu'ils-ne
tueront pas. Nous ignorons ce qu'est ce Lyonnais? De quelle
banlieue nousarrive-t-il? Que nous veut-il? IPnous^|aut des
hommes que nous connaissions depuis longtcm^set on qui
nous puissions mettre toute notre confiante! »

A quoi les autres feuilles, non moins stipendiées, répon-
dent avec une affliction toute jésuitique :

« — Hélas! Il faut vraiment que le parti républicain soit
bien pauvre, à Paris, pour en être réduit à aller demander
un candidat à Lyon. Et quel candidat! Un homme inconnu
il y a quelques années encore, dans son propre pays! Déci-
dément, la République n'est pas possible avec des républi-
cains si clair-semés. » .
Faisons d'abord justice de ces billevesées.
Ce qu'est Barodet, nous allons le dire à ceux qui le savent
aussi bien que nous et à ceux qui ne le savent pas, le ré-
péter, afin que nul n'en ignore.

Barodet, aujourd'hui âgé de cinquante ans, est fils d'ins-
tituteur, et, pendant de longues années, a été instituteur
lui-même.C'est, hélas! un partisan convaincu de l'instruc-
tion laïque, gratuite et obligatoire.

Instituteur! maître d'école ! ! Jugez donc s'il n'y a pas là
de quoi faire hausser les épaules, de quoi désopiler la rate
de tous les conservateurs... des anciens régimes ! On com-
prendrait qu'un duc, un marquis ou un comte, qu'un
Roulier ou un Bazaine osât aspirer à la représentation de
Paris; on admrttrait même, en désespoir de cause, un Hu-
gelmann ou n'importe lequel des grotesques exotiques qui
bourdonnent autour de la Présidence, mais un maître d'é-
cole! En vérité, l'on n'y pense pas!

Or, ce maître d'école, qui a le tort d'avoir, depuis l'âge de
raison, des convictions démocratiques inébranlables, travail-
lait activement déjà, en 1847, à la propagation des idées ré-
publicaines. Il ne se contentait pas d'enseignerl'alphabet aux
bambins, —ce qui, depuis quinze jours, provoque l'hilarité
d'une feuille bonapartiste qui a nom : la Liberté, — il en-
seignaitaux pères„de famille leurs droits et leurs devoirs de
citoyens. Et, après la révolution de Février, il eut l'audace
d'ouvrir dans son école un cours spécial de politique popu-
laire où tous les habitants de sa commune venaient ap-
prendre à connaître, à aimer, à bénir la République. Aussi,
le département tout entier, reconnaissant de ses longs et
généreux efforts, lui offrit-il une candidature pour la Cons-
tituante, ce qui laisserait à penser que l'idée des républi-
cains de Paris n'est pas déjà aussi saugrenue qu'on vou-
drait le faire croire.

Mais, entre autres défauts, B:irodet a celui d'être d'une
modestie rare, — ce que l'on ne reprochera jamais à cer-
tains de ses adversaires. — Il refusa, se contentant de dé-
signer au choix des électeurs ceux qu'il croyait plus dignes
que lui des suffrages du peuple.

Toutefois, il accepta d'être délégué et secrétaire au con-
grès international de Tournus et de Châlons, et de diriger
en quelque sorte le mouvement républicain des campagnes
de Saône-et-Loire. Décidément, de mois en mois, ce maître
d'école devenait de plus en plus coupable.

On le lui fit bien voir. La révolution de Février ne fut
qu'un éclair fugitif, suivi bientôt d'une réaction épouvan-
table. En 1849, cette réaction était devenue toute-puissante
et, sous l'habile direction des jésuites de robes courtes ou
longues, préparait déjà l'étranglement de la liépublique et
l'avénement des hontes et des misères du second Empire.
On procédait déjà par l'élimination, et les conservateurs de
l'époque, semblables aux consérvateurs de nos jours, se
livraient avec acharnement à la solution du problème de la
République sans républicains.

Étant donné cet axiome de la Cuisinière bourgeoise, que
pour faire un civet il faut un lièvre, les devanciers.de la
droite actuelle se disaient, qu'en épurant soigneusement
l'échelle sociale, de haut en bas, il ne resterait plus de ré-

publicain en fonction, — partant plus de lièvre ni de civet.

Comme tant d'autres, Barodet fut révoqué. Ce titre lui
fut conféré le 19 juin 1849.

Beaucoup s'en seraient tenus là. Mais cette nature est
aussi énergique et persévérante que dévouée. Après de nom-
breux et pénibles efforts, Barodet parvient à fonder une
école libre à Cuisery„ Tout allait bien, lorsque la France
fut précipitée dans-Fabîtqe que les conservateurs avaient
creusé avec tant de soins et d'enthousiasme. La nuit san-
glante de décembre arriva bientôt ; — cette nuit terrible,
péndant laquelle une bande de saltimbanques s'empara du
pays, emprisonna les députés,viola les serments solennels,
la constitution et les lois, et sema partout la désolation,
la terreur et la mort. L'éteignoir fut mis sur la France en-
tière, et l'école libre de'Cuisery disparut avec le reste.

Barodet rentra dans la vie privée et trouva, grâce à l'es-
time et à l'affection dont l'entouraient les honnêtes gens
non déportés, des ressources suffisantes dans son travail
quotidien pour élever dignement sa famille.

Pendant de longues années, il dut se résigner à un mu-
tisme apparent; mais lorsque le pays recommença à avoir
conscience de lui-même, lorsque le second Empire, devenu
la risée de l'Europe, se mit enfin à vaciller sur ses bases,
lorsque l'indignation fut au comble et que l'opposition prit
un corps, on vit Barodet rentrer modestement, mais acti-
vement dans la vie politique. Il travailla sans relâche, dans
sa sphère, comme le faisaient de leur côté le tant regretté
M. Hénon,MM. Leroyer, Émile Bonnardel, Ferrouillat, Val-
îier, Favier, Bouchu et tant d'autres. Aux élections de 1863
et à celles de 1869, il montra par son zèle infatigable tout
ce que l'on pouvait attendre de lui.

Au 4 septembre, alors que de catastrophes en catastro-
phes, la France, entraînée dans une guerre insensée par
l'Empire aux abois, fut vaincue, envahie, menacée d'une
ruine complète, alors qu'elle eut besoin du dévouement de
tous ses enfants, Barodet futàson poste.

Sans même attendre les nouvelles de Paris, il se rend à
l'Hôtel de Ville, en compagnie deM. Hénon, et ces deux vail-
lants citoyens y proclament la République et empêchent
tout, désordre.

Un comité de salut public est immédiatement résolu.
M. Barodet en est nommé membre par acclamation.

Le 21 septembre, les élections municipales ont lieu.
Barodol, figure un des premiers sur la liste.

Puis il devient adjoint au maire, M. Hénon, et jours et
nuits, sans fatigue, sans relâche, il seconde vaillamment
cet administrateur admirable, trop tôt enlevé à l'affection
et au respect de ses concitoyens.

Ce qu'il a déployé de zèle, d'activité, d'intelligence, de
travail, il n'est pas plus permis de l'ignorer à Paris qu'à
Lyon. Barodet croyait ardemment, comme tous les répu-
blicains convaincus, à la possibilité et à la nécessité do la
défense. Il veilla aux approvisionnements de Lyon, aux tra-
vaux de défense de la ville, encourageant toute la popula-
tion par son ardeur, donnant sans cesse l'exemple du pa-
triotisme le plus complet et le plus absolu.

L'armistice fut pour lui un coup terrible. Il voulait la
lutte acharnée pour sauver l'honneur national et empêcher
le démembrement du pays. Nommé membre de la déléga-
tion que la démocratie du Rhône envoya à Bordeaux pour
protester contre la paix qui allait nous être infligée, il s'é-
puisa en vains efforts. Les trames des monarchistes étaient
déjà trop bien ourdies. Le désespoir dans l'âme, il revint à
Lyon.

Puis survint la guerre civile. La démocratie lyonnaise le
délégua avec MM. Ferrouillat, Vallier, Crestin et Outhior,
tous conseillers municipaux de Lyon , pour tenter un su-
prême effort de conciliation entre Paris et Versailles.

On sait les résultats de cette généreuse tentative.

Menacés par le ministre de l'intérieur d'êtrearrêtés, les dé-
légués lyonnais n'en obtinrent pas moi n s de M. Thiers l'en.
gement solennel de maintenir la République. Cet engage-
ment, M. le Président de la République ne l'a pas oublié, et
naguère encore, à la tribune, il le rappelait à la droite exas-
pérée^ ,,.[ ,,;„, ,.• ,.:(„,, .pfltl î karb f»ftf33llltti ?H»"tl *»sJsj

En se retirant,lesdéléguéslyonnais rédigèrent uneadresse
à l'Assemblée nationale et à la Commune , qui commençait
ainsi :

« Citoyens,

« Délégués du conseil municipal do Lyon , nous n'avons
pu voir, sans une profonde douleur, se prolonger la lutte
sanglante entre Paris et l'Assemblée de Versailles.

« Nous sommes accourus sur le champ de bataille pour
tenter un effort suprême de conciliation entre les; belligé-
1 rants.

« Où est l'ennemi? Pour nous, il n'y a parmi les combat-

tants que des Français. Nous intervenons entre eux au
nom d'un principe sacré : la fraternité. Nous trouvons en
présence deux pouvoirs rivaux qui se disputent les desti-
nées de la France : d'un côté, l'Assemblée nationale, dans
laquelle nous respectons le principe du suffrage universel;
de l'autre, la Commune, qui personnifie un droit incontes-
table, celui qu'ont les villes de s'administrer elles-mêmes.
Nous venons leur rappeler à tous deux une chose plus sainte
encore, le devoir d'épargner la France et la République...

Paris et la France n'oublieront jamais cela. Un jour le
pays tout entier rendra justice à ce citoyen, dont le patrio-
tisme, la prudence et le dévouement ont été constamment
à la hauteur des événements terribles que nous avons tra-
versés.

Non, Paris ne l'oubliera pas, et le scrutin du 27 avril sera
la preuve éclatante de sa gratitude.

M. Thiers lui-même, — et en invoquant ce témoignage
nous ne serons certes pas suspect, — M. Thiers s'est sou-
venu, et après la mort de M. Hénon, lorsqu'il s'agit de
mettre un maire à la tête de cette administration tant
calomniée, qui choisit-il?

Trois membres avaient été désignés par le conseil muni-
cipal à M. le préfet du Rhône pour être proposés au choix
du gouvernement. Naturellement, M. Barodet était à la tête
de cette liste, et ce fut lui qui fut nommé par un décret en
date du 23 avril 1872. Croit-on que cette nomination ne fut
pas la reconnaissance pleine et entière du caractère et des
aptitudes exceptionnelles de M. Barodet?

De ces aptitudes exceptionnelles il donna une nouvelle
preuve,par son premier acte public, en ouvrant l'Exposition
universelle de Lyon. Là, en présence de M. Victor Lefranc,
ministre de l'intérieur, il prononça, avec cette éloquence
mâle et digne qu'il possède, un discours remarquable d'où
nous extrayons les lignes qui suivent :

«.....Il ne faut pas qu'on puisse dire de nous que nous

avons tout oublié et que nous n'avons rien appris. Il faut
que le passé lamentable nous serve da leçon, et si nous
savons lire dans cette Exposition et réfléchir aux éléments
divers qui ont produit ces richesses et ces merveilles, nous
y trouverons la position même du problème redoutable
qui agite le monde et que nous devons résoudre, sous peine
de décadence : les droits respectifs du travail et du capital.

»Et si nous voulons éviter les solutions inintelligentes
et brutales, si nous vouions que le suffrage universel soit
éclairé, si nous nous rappelons que nous avons failli périr
par l'ignorance populaire et par le despotisme d'un seul,
si nous aimons la justice, cette fin des sociétés humaines
et cette suprême volupté de la conscience, nous serons
conduits à proférer, d'une voix unanime, le cri du salut :
L'instruction ! l'instruction!..........

» Si l'instructioivconvient à une nation, c'est surtout, à la
France.

» Les autres peuples ont une idée politique personnelle,
j'oserai dire presque égoïste. L'idée française seule, qui est
celle de 89, a un tel, degré d'humanité, d'universalité, de
grandeur, de désintéressement et de générosité, qu'elle
constitue pour elle un rayonnement et une puissance de
séduction à laquelle rien n'échappe; et c'est par là, mes-
sieurs, que notre ascendant nous sera rendu, et que nous
conquerrons le monde plus sûrement que par le procédé
barbare des armes.

» Ces biens précieux, l'instruction populaire, la liberté,
la justice sociale, qui doivent sauver et régénérer le pays,
mettre fin aux guerres civiles, assurer l'ordre véritable et
lo progrès continu, la République seule peut nous les donner
et nous les garantir, parce qu'elle vit de ces grandes choses
qui sont mortelles aux monarchies. »

Est-ce là le langage d'un révolutionnaire effréné, d'un
ennemi éternel de la propriété et de la famille? Certes non;
M. Victor Lefranc en fut ému. et ne put s'empêcher de te
dire. Quant à M. Thiers, qui s'y connaît en hommes, il lutta
et défendit pendant un an M. Barodet contre toutes les
attaques de la réaction coalisée. S'il a été débordé, s'il s'est
cru dans la nécessité de sacrifier les franchises municipales
aux récriminations bruyantes et intéressées des monar-
chistes, n'est-ce pas une raison et un devoir pour les élec-
teurs parisiens de protester légalement, par un acte soie»+
nel, contre de semblables erremen ts?

Voilà ce qu'a été Barodet, ce maître' d'école traité avec
tant de dédain par la Liberté et a utres feuilles de la mÔm-é
farine. Que de gens devraient, atler auprès de lui prendre
des leçons de modestie, de dévouement, d'énergie, de pa-
triotisme et de sincérité !
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