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Le Grelot: journal illustré, politique et satirique — 3.1873

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EE GRELOT

(Supplément au numéro 131)

LA CHEMISE DE FEU

IV

LA PRÉDICTION

(Suite.)

— Ne m'assure de rien...Tiens, je vais te dire : c'est
ce petit coenr maternel qui est inquiet et qui est at-
teint d'une nouvelle espèce de nostalgie quis'appelle...
revoir mon fils... N'est-ce pas que j'ai bien deviné?

Les jones de Marguerite se colorèrent légèrement,
et elle baissa la tête.

— Ne crois-tu pas, reprit le jeune homme avec une
extrême douceur dans la voix, que, bien longtemps
avant ces derniers six mois, je ne m'étais pas aperçu
qu'il y avait quelque chose qui te tourmentait? Tu étais
préoccupée. Quelquefois, quand je te parlais, tu ne me
répondais pas, où tu me répomais tout de travers,
parce que tu venais d'être distraite. Bien des fois je
m'étais demandé ce qui pouvait te rendre ainsi. Un
moment, j'ai eu peur; je ine suis dit : Voyons, est-ce
qu'elle ne m'aime plus? Est-ce que, sans oser me le
dire, elle tâche de me le faire comprendre? fc,t je
cherchais où était mon rival.

— Un rival, s'écria Marguerite.

— Oui, un rival 1 et je ne ine .trompais pas, j'en
avais bien un!... Oh!... mais rassure-toi, cher ange
adoré, je n'en pris pas ombrage, et je n'en veux pas
à ce petit enfant de la place qu'il tient dans ton cœur.

— Oh ! que tu es bon!... dit Marguerite en caressant
doucement la tête du jeune homme. Allons, continua-
t-elle, ]e ne veux pas que tu restes là à genoux devant
moi comme devant le bon Dieu, assieds-toi là sur ce
tabouret, et parle-moi ainsi.

Et elle lui désignait un tabouret sur lesquels ses
pieds étaient posés.

Le jeune homme se leva et alla s'asseoir docilement
à la place que lui avait indiquée Marguerite.

Il avait alors le visage tourné vers la lumière.

Alors apparurent ces beaux cheveux d'un noir bleu,
ce teint un peu cuivré, ces yeux impérieux que nous
avons déjà eu l'occasion de décrire dans le chapitre
précédent, car en effet le Frédéric de Marguerite n'é-
tait autre que le jeune baron de Shoënberg, secrétaire
intime de l'ambassadeur d'Autriche.

11 appuya doucement ses deux mains jointes sur les
genoux de Marguerite et reprit :

— Quand je te vis pour la première fois, je sentis
que mon âme était prise à jamais...

C'était un hasard qui m'avait conduit sur tes pas ;
mais le hasard sait bien ce qu'il fait. Aussitôt que tes
yeux se furent croisés avec les miens, c'en fut l'ait de
ma vie, et à toute lin, il fallait que tu m'aimasses, si-
non il m'eût fallu mourir.

— Mon bon Frédéric!... dit Marguerite.

— Tout ce qui était toi, je l'aimais, et j'étais indif-
férent à tout ce qui n'était pas toi... Mais tu étais
comme prisonnière et tu attendais le chevalier qui te
délivrât, ma pauvre princesse au Bois-Donnant! C'est
moi qui vins prononcer les mots magiques qui firent
tomber les fers de tes mains et les barreaux de ta
geôle... Que m'importait ton passé? et qu'est-ce que
cela me faisait qu'un autre eût possédé ton corps,
puisque j'étais certain de recueillir le premier mur-
mure de ton âme...

11 s'arrêta un peu :
Puis continuant :

— Le souvenir de cette journée où je te rencontrai
ne peut s'effacer de mon esprit, bien que, depuis, cinq
ans se soient écoulés. Je te vois encore avec ton cha-
peau de paille d'Italie et ta robe blanche, marchant
plus légère qu'un chevreuil dans la petite allée de
vieux saules qui conduisait à cette maisonnette que
j'ai toujours devant les yeux. Tout le paysage était
éclairé de ta présence; quand tu entras dans la mai-
son, il me sembla qu'on l'éteignait. Mais un peu après,
tu sortis de la cabane, tenant dans tes bras un petit
enfant, et l'illusion reparut.

Tandis qu'il parlait, les yeux du baron de Shoën-
berg avait perdu l'expression impérieuse qu'ils avaient
ordinairement, et l'énergie indomptable qui caracté-
risait ses traits avait fait place à une expression d'at-
tendrissement ineffable.

Marguerite l'écoutait sans l'interrompre, prêtant
l'oreille à ce babillage amoureux qui lui sonnait au
cœur délicieusement.

— Maintenant, reprit Frédéric, écoute, je voyais
bien à la tristesse qui passait de temps en temps dans
tes yeux qu'il te manquait quelque chose; et si j'a-
menais moi-même, il ya quelques mois, la conversation,
le plus doucement que je pus, sur cet enfant, si mys-
térieusement disparu, c'est que je soupçonnais que c é-
tait là ta blessure, saignante encore 1...

— Ah! s'écria Marguerite, quoi qu'on fasse, on ne
peut oublier son enfant.'...

Frodéric lui prit les deuxjmains dans les siennes, et
dit à mi-voix

— Voici bien longtemps que je fais les recherches
que je t'ai promises pour le reirouver; mais malgré
tous mes efforts, je n'ai encore rien découvert... Seu-
lement, chère, il n'y a pas de ma faute, et j'espère
que. tu ne m'en veux pas de cet insuccès, et que ce
n'était pas cela qui faisait couler tes larmes tout à
l'heure.

— Non, mon bon Frédéric, répondit Marguerite,
non, ce n'est pas cela.

— Qu'est-ce donc alors?

— Oh! un enfantillage, une crainte ridicule...

— Voyons, parle...

— Cette Lisbeth...

— Lisbeth!

— Oui, je suis une folle.

— Qu'a-t-elle donc fait, qu'a-t-elle donc dit?

— Rien. Je lui avais demandé de me dire la bonne
aventure.

— Ah! Lisbeth! Lisbeth... et qu'a-t-elle vu dans
ses cartes ?

(1) Toale repTod wMuu en interdite.

— Elle a dit que tu étais menacé par d,eux enne-
mis puissants.

— Et alors?

— Alors, j'ai eu peur de te perdre,"je craignais de
te voir en danger, et que veux-tu? notre tête s'égare
si vile, à nous autres femmes, quand il s'agit de ce
que nous aimons.

— Lt c'était moi qui faisais pleurer ces doux yeux
adorés?

Marguerite regarda avec une inexprimable ten-
dresse.

— Tu m'aimes donc bien? dit Frédéric en attirant
doucement la jeune femme à lui.

— Si je t'aime!... répondit-elle d'une voix plus
harmonieuse qu'aucune musique. Demande-moi donc
si j'existe !

Et se penchant sur son amant, elle posa câlinement
la tête sur son épaule.

Le jeune homme la saisit alors dans ses bras, l'assit
sur ses genoux avec emportement et lui baisa les lè-
vres comme un fou.

Ils restèrent ainsi longtemps, noués pour ainsi dire
par l'âcre et profond baiser d'amour.

Quand ils se séparèrent, un peu de calme était
rentré dans le cœur de Marguerite ; elle était certaine
du moins que son amant n'aimait bien qu'elle, et elle
sentit ses inquiétudes se dissiper peu à peu.

En quittant Marguerite, le secrétaire intime de l'am-
bassade d'Autriche ne quitta point immédiatement le
pavillon où il avait logé sa maitresee.

Il voulait, avant de partir, recommander à Lisbeth
un peu plus de prudence, et la prier de ne plus ef-
frayer la jeune fille par de sinistres prédictions.

Il semblait que la vieille eût deviné sa pensée; car,
au moment où il descendait les dernières marches de
l'escalier, Frédéric se trouva en face de Lisbeth qui
l'attendait.

Klle lui lança un regard perçant, et lui fit signe du
doigt de la suivre, parce qu'elle avait à lui parler.

L'attilude des deux personnages vis-à-vis l'un de
l'autre eût paru singulière à un observateur, car ce
n'était pas du tout colle d'un maître et d'une gouver-
nante qui se trouvent en présence.

11 y avait dans la personne du jeune homme quel-
que chose de respectueux, tandis que Celle de la
vieille femme respirait l'autorité : les rôles étaient in-
tervertis.

Lisbeth enfila alors un corridor au fond duquel se
trouvait une porte qu'elle ouvrit.

C'était celle d'un salon qui donnait sur un petit
jardin placé à l'arrière du pavillon.

Lisbeth entra la première.

Le baron de Shoënberg la suivit et referma la porte
derrière lui.

Puis se retournant vers la vieille femme :

— Ma mère..., lui dit-il.

Et il s'arrêta, car ses yeux rencontrèrent le regard
sévère de la vieille femme.

— Je me doutais bien, dit celle-ci en l'interrom-
pant, que vous voudriez me parler : c'est pourquoi je
vous ai attendu, car, moi aussi, j'ai quelqne chose à
vous dire.

— Parlez, ma mère, je vous écoute, dit le jeune
homme.

— Votre maîtresse vous a raconté ce que j'avais lu
ce soir dans ses cartes?

— En effet, et je voulais vous dire que je croyais
inutile...

— Je sais ce que vous voulez dire. Vous désirez
que je ne trouble pas Marguerite par des révélations
auxquelles vous n'ajoutez pas foi.

— Précisément, ma mère.

— Et moi, je vous dis ceci, Frédéric : vous êtes
jeune, et vous n'avez pas étudié le livre des destins.
Eh bien ! moi, je vous dis ceci, et retenez-le bien :
vous courez en ce moment de grands dangers.

— Vraiment, ma mère, je ne comprends pas que
vous vous obstiniez à attacher de l'importance à des
bagatelles qui n'en ont aucune, et parce que vos
cartes...

— Les cartes disent la vérité, répondit la vieille
Lisbeth en levant gravement son doigt comme elle
avait fait tantôt avec Marguerite, et d'ailleurs il n'y a
pas que les cartes qui vous présagent malheur.

— Qu'y a-t-il donc encore ?

— Il y a que, depuis trois nuits, un corbeau vient
percher sur le toit de cette maison et y croasse pen-
dant des heures entières.

— N'est-ce que cela?

— Il y a que, la nuit passée, j'ai fait ce rêve : que
j'étais dans l'église du village où je suis née. On en-
terrait quelqu'un, je ne savais pas qui. Les murs
étaient tout tendus de noir; il y avait une foule im-
mense en habit» de deuil. Tandis que le prêtre chan-
tait le De Profundis, je m'approchai avec les autres
pour jeter de l'eau bonite sur le corps. Eh bien!
comme je tenais le goupillon, savez-vous.ee que je vis?

— Mon Dieu, non, ma mère.

— Deux hommes étaient à la tête du cercueil, l'un
était le comte de Miremont, l'autre était masqué ;
mais bien que je ne pusse pas voir son visage, il me
semblait le reconnaître... Ces deux hommes me firent
signe d'approcher; je fis quelques pas en avant. Les
deux hommes soulevèrent alors le suaire et j'aperçus
le visage du mort.

— Eh bien !... ma mère.

— Eh bien! ce mort, mon fils, c'était vous.

— Voilà un rôve singulier !

— N'est-ce pas? Mais ce n'est pas tout. Comme,
toute pétrifiée d'horreur, je relevais les veux vers l'au-
tel, je m'aperçus alors que ce que j'avais pris pour ls
prêtre, c'était votre Marguerite, qui, une chasuble
noire sur les épaules, entonnait de nouveau le De
Profundis d'une voix moqueuse.

— Certainement, ma mère, ce que vous me racon-
tez est assez lugubre ; mais quel rapport voyez-vous T

— Vous êtes bien incrédule, mon fils, reprit la
vieille femme d'une voix grave, et moi, je prévois que
des malheurs épouvantables vont pleuvoir sur voua.
C'est cette femme qui vous perdra. Mais malheur à
elle ! J'ai consenti à prendre le rôle que je joue, moi,
votre mère, pour mieux veiller sur votre bonheur,
parce que vous savez que je vous aime plus que ma
vie; mais, gare à elle, s'il vous arrive quelque choseI

— Je vous en supplie, ma mère, chassez ces idées
noires, dit le jeune homme eh joignant les mains.

— Ce qui est écrit est écrit, répondit Lisbeth.
Faites bien attention maintenant, mon fils, à ce que
le comte de Miremont va exiger de vous, et veillez,
avec le plus de soin possible, sur tous ceux qui vous
approcheront, car la trahison et la mort sont dans
l'air... Allez!... c'est tout ce que j'avais à vous dire.

Le jeune baron eût voulu répliquer, mais la vieille
femme mit son doigt sur sa bouche et lui jeta un re-
gard dont il comprit l'expression impérieuse.

Il s'inclina, sortit du salon et du pavillon, et quel-
ques minutes après, il sautait dans sa voiture qui l'at-
tendait à quelque distance, en disant au cocher :

— Rue de la Chaussée-d'Antin, 62.

V

LE N° 62 DE LA RUE DE LA CHAUSSÉE-
D'ANTIN

L'hôtel qui formait le numéro 62 de la rue de la
Chaussée-d'Antin se composait de deux corps de bâ-
timents.

Le premier donnait sur la rue de la Chaussée-d'An-
tin.

Il contenait les appartements et salons de réception
et d'apparat pour les |ours où le comte de Miremont
recevait, ce qui était excessivement rare.

Derrière, venait une grande cour carrée que flan-
quaient sur les côtés les écuries et les remises.

Puis, au fond démette cour, le second corps de logis.

C'est là que se tenait de préférence le comte de Mi-
remont.

Un grand jardin planté d'arbres très-touffus et en-
touré de murs élevés, s'étendait à l'arrière de l'hôtel,
et donnait, par une petite porte de chêne garnie de
barres de fer, sur un passage à peine assez large pour
un homme et débouchant dans un sombre et tortueux
boyau qui portait alors le nom de : rue des Mûriers-
Hlancs.

Le lendemain du jour où nous l'avons présenté au
lecteur dans les salons de l'ambassade d'Autriche, le
comte de Miremont, ancien écuyer de M. le comte
d'Artois et ex-gouverneur du baron de Shoënberg, se
promenait à grands pas dans un vaste cabinet de tra-
vail situé au premier étage dn second corps de logis
de l'hôtel.

C'était une salle d'aspect sévère, toute meublée de
chêne, et dont les grands panneaux tendus de cuir
fleuri d'or, alternaient avec des panoplies d'armes de
tous les pays et de tous les temps.

Aux deux bouts du cabinet, deux énormes biblio-
thèques.

Au milieu, une grande table chargée de papiers, de
livres, de cartes géographiques, de notes, de rapports
et de journaux.

C'est là que le comte travaillait.

Il était vêtu à ce moment d'an pantalon à pied de
couleur gris-perle et d'une immense robe de chambre
de velours noir piquée de satin bleu de ciel.

Il portait une chemise da foulard de dessin bizarre
at précieux, et ses pieds étaient chaussés de pantou-
fles éclatantes, brodées d'or et de perles, évidemment
rapportées d un voyage en Asie.

Le comte paraissait vivement préoccupé.

Ses yeux d'un grisbluuâtre, éclatants d'intelligence,
jetaient de fauves éclairs.

Les mèches de ses cheveux, qui commençaient à
blanchir, voltigeaient autour de ses tempes, et ses
lèvres milices et rusées se plissaient fréquemment d'un
sourire amer.

Les pensées intérieures qui l'agitaient contractaient
son masque étrange, d'où se détachait, en saillie au-
dacieuse, un de ces grandi nez d'aigle qui n'appar-
tiennent qu'aux hommes d'aventure.

Qnel était donc le combat qui se livrait en ce mo-
ment dans cette âme mystérieuse dont nul au monde
n'avait pénétré le secret?...

11 était à peu près dèux heures de l'après-midi, et le
comte venait de déjeuner chez lui selon son habi-
tude.

Il prit dans une grande boîte d'argent ciselé une
- pincée de tabac turc jaune comme du safran, la roula
dans une feuille de papier à cigarette et, s'approchant
d'une des grandes fenêtres qui donnaient sur le jar-
din, il murmura :

— Ce serait d'une pierre faire deux coups : d'une
part montrer que Fouchô conspire le retour des Bour-
bons, ce qui m'en débarrasserait pour toujours,et, de
l'autre, l'aire voir l'incapacité absolue de Bourgui-
gnon, le ministre de police actuel, qui aura tout laissé
passer sans rien voir. Je doublerais ainsi la conlw.nce
que Bonaparte a déjà en moi. — De plus, le mariage
de Frédéric me donnerait un appui sérieux dans le gé-
néral Delamare qui a l'oreille du premier consul,et je
saurais bien manœuvrer de façon à ce qu'il me soit
complètement acquis. Enfin, l'affaire de la rue Saint-
Dominique, en privant lesprinces et leurs amis de leur
principal bailleur de fonds servirait à merveille mon
œuvre de vengeance.

En ce moment le visage du comte de Miremont
avait une expression vraiment infernale.

Deux sillons profonds partant de l'aile du nez ve-
naient retomber dans les coins de sa bouche et ac-
centuaient sa physionomie d'une façon terrible.

Des milliers de petites rides rayonnaient aux coins
de ses paupières, et ses yeux avaient ce regard doux
et faux qu'ont les chats au moment où ils méditent
quelque méfait.

—Ah! continua-l-il,—et sa voix devint sarcastique,
— ah! bonnes gens, vous avez cru qu'on pouvait faire
fi demoi impunément! Naïfs deCoblentz et de Turin,
vous avez pensé qu'il n'y avait qu'à dire : Mon bon de
Miremont, allez donc en France marquer nos cham-
bres à la craie,soyez notre maréchal-des-logis!... Vous
avez même eu la simplicité de me prendre précisé-
ment pour votre agent secret, moi qui vous haïssais
jusqu'à la mort, et vous vous êtes imaginé que j'allais
me mettre en quatre pour vous obliger,— que je me
servirais du jeune baron de Shoënberg et de son am-
bassadeur pour intriguer à Vienne en votre faveur, —
que je reviendrais dans mon pays pour vous gagner

des partisans et vous frayer une route vers le trône,
— et que je ferais tous nies efforts pour renverser
Bonaparte et vous mettre à sa place! Eh bien, vrai!
vous n'êtes pas malins, mas petits amis, et je vous
croyais plus forts que cala! Car tous mes moyens,
toute mon intelligence, tout le pouvoir dont je dis-
pose, je l'emploierai, oui, — mais à vous desservir!
Et votre comte de Provence apprendra un peu tard à
à ses dépens que le sang des Miremont a plus de va-
leur qu'il n'a cru devoir lui en attribuer.

En prononçant celte tirade d'une voix stridente, le
comte s'était mis à arpenter de long en large son ap-
partement.

Il marchait à grands pas et paraissait en proie à une
vive exaltation.

En ce moment, le marteau de l'hôtel résonna, et
presque aussitôt un carrosse entra dans la cour.

Le comte s'approcha de la fenêtre :

— Ah! fit-il, c'est la marquise de Meilleuse.
Aussitôt un changement complet s'opéra dans sa

physionomie.

Autant, une seconde auparavant, il semblait agité,
autant, à présent, il était calme et même;froid.

Une porte s'ouvrit et donna passage à une femme
d'une trentaine d'années, mise avec recherche et soi-
gneusement voilée.

C'était la marquise de Meilleuse.

Elle était sans doute attendue et devait être un des
hôtes les plus familiers du comte de Miremont, car
un valet de chambre en petite tenue l'avait introduite
aussitôt auprès de son maître et avait ouvert devant
elle la porte du cabinet de travail sans l'annoncer.

Le comte alla au-devant de la marquise et, s'incli-
nant amicalement, il la conduisit à un grand fauteuil
où il la lit asseoir.

— Eh bien, fit-il, avons-nous du nouveau?

— Oui, répondit la marquise, et il y a décidément
de par le monde des gens bien fous.

— Hélas! madame, dit le comte en souriant, vous
savez le mot de Chamfort !

— Lequel?... — il y en a tant !...

— Celui-ci : «Tous les hommes sont fous, on n'en-
ferme que les plus fous. »

— Ceux-ci sont bien des plus fous, je vous en ré-
ponds!

— Aussi les enfermera-t-on peut-être, marquise.

— J'y compte bien.

— Et quels sont ces fous?

— C'était hier, chez M. de Talleyrand, où il y avait
réunion intime. Ce qui s'est dit là dé sottises sur le
gouvernement, sur la certitude d'une restauration
prochaine, sur l'avenir des Bourbons, cela est in-
croyable.

— Vraiment !

— Figurez-vous, comte, que le petit vicomte de Li-
gneux émettait encore hier soir l'opinion qu'on pou-
vait corrompre Bonaparte et l'engager au service de
Louis XVIII.

— Ce sont là de ces idées qu'on a pu avoir il y
a quelques années, pendant deux ou trois fois vingt-
quatre heures, dit le comte en souriant, mais vous
avez raison, marquise, pour les avoir gardées jusqu'à
cette heure, il faut être bien fou. La quatrième race
se lève déjà dans l'ombre de Bonaparte, et aveugle qui
ne le voit pas !

— C'est ce que je pense depuis longtemps, comte,
aussi faut-il être aussi envolé que les petits de Bierlz,
de Corsac, de Blainville, ou aussi ganache que le
vieux Bernard de Saint-Pré, pour applaudir aux fa-
daises de de Ligneux.

— Kt Talleyrand?

— Oh! Talleyrand écoute tout, entend tout, sourit
à tout, et ne se prononce sur rien, ne promet rien
et montre qu'il ne veut se mêler de rien.

— Je reconnais bien là mon vieux renard, dit le
comte... Mais est-ce tout, marquise ?

— Non pas... On est résolu à ne pas s'en tenir aux
paroles !

— Quelle imprudence!... Les paroles cependant suf-
fisent bien.

— Oui, mais on veut agir.

— Quand donc ?

— Oh ! sous peu, car on craint que Bonaparte ne
pousse encore plus haut ses vœux ambitieux avant
qu'il soit peu de temps.

j<;— A-t-on fixé un jour ?
—Pas encore... On attend une lettre de Louis XVIII
pour prévenir les officiers, sur lesquels on compte dans
l'armée.

— Et qui recevra cette lettre T

— Oh f le vieux Bernard do Saint-Pré, probable-
ment. Vous savez qu'il est le correspondant ordinaire
de Sa Majesté catholique.

— A merveille... Et maintenant, marquise, j'ai
une bonne nouvelle à vous annoncer : votre aimable
cousin, le chevalier de Sinclair, dont j'ai parlé à Bo-
naparte dans les meilleurs termes, sera chargé de la
nouvelle fourniture de l'année des Alpes...

— Oh! merci, comte... je vois que vous n'oubliez
pas vos amis...

— Les gens intelligents, marquise, répondit le
comte en s inclinant, trouvent toujours moyen de s'en-
tendre.

Ici une petitesonnette d'argent, qui se trouvait dans
l'angle du cabinet, se mit à tinter légèrement.

— Allons, comte, dit la marquise en se levant,
voilà du monde qui vous vient... Je me sauve... En-
core une fois merci, et adieu.

M. de Miremont alla la reconduire jusqu'à la porte
de son cabinet, et l'espionne se jeta dans sa voi-
ture qui s'éloigna rapidement.

A peine avait-elle disparu qu'une espèce de paysan
entra.

Il était Iong-guêtré, portait une blouse bleue ornée
de quelques broderies de fil blanc et était coiffé d'un
feutre à larges bords.

Jl salua M. de Miremont d'une façon qui témoignait
hautement qu'il n'était rien moins que ce qu'il sem-
blait Ctre, et lui présenta une lettre de petite dimen-
sion que le comte saisit avec un empressement res-
pectueux.

Horate CHERPIN.
{La évite au prvfwin numéro.)
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