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Le Grelot: journal illustré, politique et satirique — 3.1873

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GRELOT

(Supplément au numéro 138)

SOMMAIRE. — La Chemise de feu, par Horace Cher-
pin. — La Voyante, par Xavier de Montépiii. —
Le Lys enchanté, p.r Henri Augu. — La Fiancée
d'Éric, par Emmanuel Gonzalès.

LA CHEMISE DE FEU

(0

\ III

LA MÈRE ET LE FILS

(Suite.)

— Oui... je pensais bien aussi que c'était là l'ex-
plication qui vous était venue à l'esprit... Et c'est
pour cela, n'est-ce pas, — c'est pour cela que vous
étiez persuadé que c'était le père qui était le ravis-
seur, — que vous avez fait fouiller Mulhouse et ses
environ:- ?...

— En effet.

— Mais sans pouvoir mettre la main sur ce que
vous cuerchiez?

— Hélas ! non.

— Bien... Maintenant, voulez-vous me permettre
de vous dire pourquoi vos recherches à Mulhouse ont
été vaines?...

— Oui, je serais curieux de le savoir.

— Pour deux raisons. La première, c'est que le
nom de Duroc, sous lequel l'amant de Marguerite s'é-
tait présenté à elle, était vraisemblablement un nom
d'emprunt...

— Assurément, — mais le signalement que Mar-
guerite en avait donne aurait suffi pour le retrouver
malgré son incognito.

— Peut-être... Aussi, y avait-il une autre raison
pour que vos démarches restassent infructueuses, —
*t celle-ci est plus importante que la première : c'est
que l'enfant n'a jamais été conduit ni à Mulhouse, ni
thème en Alsace...

— Mais comment savez vous ces détails?...

— Probablement, parce que je connais la personne
iqui a enlevé l'enfant!

— Et cette personne?...

Le comte regarda fixement Frédéric avec le sou-
tire moqueur qui lui était habituel et répondit :

— Vous la connaissez parfaitement...

— Oh ! s'écria Frédéric, en se voilant la face de
Ses deux mains. C'était donc vous?...

— fc.li ! qui, parbleu! c'était moi! dit le comte avec
Un éclat de'rire strident... Allons, voyons, continua-
t-il en reprenant subitement son sérieux, me croyez-
Vous si enfant, si jeune, si peu avisé, que d'aller vous
laisser prendre dans les filets d'une femme, — vous
qui êies ma créature, — vous qui m'appartenez, sans
^Ue le me garantisse contre cette femme, et sans que
Je lui prenne un gage, de façon à me ménager, à un
Hioment donné, un échange de prisonnier V... Vrai-
ment, mon cher Frédéric, vous ne devez pas me
supposer assez naïf, — car je vous ai montré bien des
Choses depuis les quelques années que nous nous
Connaissons... je pressentais qu'un jour j'aurais à lut-
ter contre cette lemme, — j'ai pris mes précautions
«outre elle en lui enlevant son enfant, — comme j'ai
Pris mes précautions contre vous en mettant à l'abri
de vos tentatives les deux frères Allemands qui ont
Snterré le véritable baron de Shoënberg, et que vous
pensiez morts...

Le secrétaire intime de l'ambassade d'Autriche
Semblait anéanti.
U comprenait dans quel engrenage il était pris.
Le comte reprit :

— Je veux que vous soyez heureux, mon cher Fré-
déric, — et vous pouvez l'être, à moins que vous ne
Cherchiez à contrarier mes vues. . Maintenant que
*ous êtes décidé à épouser mademoiselle Delamarre.
^ous seinblez craindre que la passion de Marguerite
Pour vous ne vous suscite quelque embarras... Je veux
bien croire à ces craintes, — peut-être exagérées, —
<le votre orgueil d'amoureux... Eh bien 1 écoutez-
t>oi I...

Le jeune homme releva la tête et regarda M. de
■Miremont.

— Votre mère sort d'ici, dit le comte... Je l'ai fait
Appeler, alin de m'assurer que ce mariage avait toute
*on approbation...

Ici le comte eut un sourire diabolique, —car il-
•ttdt bien évident, — son caractère éiant donné,—
lu'il se souciait fort peu d'avoir ou non le consente-
ment de la vieille Lisbeth, et que ce n'avait pas du
■put été là le motif pour lequel il l'avait fait mander à
1 hôtel.

U reprit :

— Elle est enchantée... aussi nous a-t-elle promis
'e nous aider de tout son concours pour le faire
Réussir.

— Ah!

— Oui, il vous serait peut-être pénible de préparer
'ous-même, et tout seul, Marguerite à ce mariage;
Mre mère va l'acheminer doucement à cette idée.

— Comment cela?

— En lui faisant entendre qu'il est dans le destin
lue son enfant lui soit rendu le jour où votre mariage
s«ra célébré.

— Mais...

— Q"'y a-t-il?... Croyez-vous que Marguerite pré-
'ère que vous ne vous mariiez pas, et ne jamais revoir
son fils T...

(1) Toute reproduction est interdite.

— Non, mais que pensera-t-elle de tout ceci? Et
quelle explication lui donner si elle m'interroge?

— Vous vous mariez par ordre de l'empereur d'Au-
triche, votre souverain, — et ce sont vos agents qui,
le plus naturellement du monde, retrouveront le petit
Acnille le jour même de vos noces. — Et maintenant
allez, car il se fait tard, et j'ai encore plusieurs affai-
res à expédier cette nuit.

IX

LADOREC ET GABRIELLE

Quand la voilure qui portait Ladorec, Neveu et leur
victime fut parvenue à la hauteur de la place de la
Concorde, l'Enquille lui fit prendre les quais et re-
monta la Seine jusqu'au Pont-Neuf qu'il passa ; — et
elle se remit à suivre de nouveau les quais jusqu'à
l'endroit où se trouve aujourd'hui la fontaine Saint-
M'chel.

L'hnquille prit alors la rue Saint-Séverin, la rue
Galande, la place Maubert et fila tout le long de la
rue Saint-Victor.

Arrivé à la rue de Versailles, il s'y engagea, et fina-
lement la voiture s'arrêta devant cette maison qui fai-
sait le coin de la rue d'Arras et de la rue des Traver-
sas où Neveu avait mené Ladorec au début de cette
histoire.

Neveu descendit le premier et frappa de façon à se
faire reconnaître.

La porte ne tarda pas à s'ouvrir.

Ladorec mit pied a terre à son tour.

Et l'Enquille s'éloiuna avec- la voiture, tandis que
les deux complices entraient dans la maison avec
Marguerite qui, pendant ce voyage nocturne, s'était
évanouie de terreur.

Lorsqu'ils furent dans le logement de Neveu, Ladorec
débarrassa la jeune femme du grand manteau dont il
l'avait enveloppée, lui retira de la bouche le mouchoir
dont il l'avait bâillonnée, et la déposa sur le lit.

Cependant, Neveu avait donné de la lumière.

Ladoree se pencha sur le visage pâle de Marguerite,
et la contempla un moment en silence :

— Eh bien I demanda Neveu au bout de quelques
minutes, qu'a-t-elle donc?... On la croirait morte.

— Ce n'est rien, dit Ladorec... C'est l'émotion. Elle
va revenir à elle dans un instant.

Et, versant un peu d'eau dans le creux de sa main,
il la jeta avec force au visage de Marguerite qui tres-
saillit, poussa un long soupir et ouvrit à demi les
yeux.

— Où suis-je?... murmura-t-elle faiblement.
Ladorec ne lui répondit pas.

11 éiait debout près du lit.
Neveu se tenait à l'écart dans un coin de la cham-
bre.

Marguerite se souleva à demi sur le côté, — puis
elle retomba sur le lit comme épuisée.

Elle n'avait pas encore conscience de sa situation.
Ladorec lit un signe à Neveu qui sortit aussitôt de la
chambre.

L'ancien forçat se mit à contempler de nouveau
cette adorable créature qui l'avait aimé autrefois, —
et tout un monde de pensées roula dans son cœur.

Que se passait-d eu lui ?

Etait-ce le souvenir de l'ancien amour qui lui en-
fonçait dans l'âme les flèches empoisonnées de la ja-
lousie?

Se reprenait-il à aimer encore, et, malgré tout,
cette femme qui avait été la seule passion tendre de
toute sa vie?

Ou bien méditait-il le moyen qu'il allait prendre
pour la forcer à lui rendre son fils, — car il était con-
vaincu que c'était elle qui avait fait enlever l'enfant
de chez sa nourrice !

Peut-être y avait-il un peu de lout cela?

Cependant Marguerite était là, étendue sur le lit de
Neveu, n'ayant pour vêtement que son léger peignoir
de dentelles sous lequel transparaissaient ses formes
élégantes et frêles.

Tout à coup ie froid la saisit.

Un frisson lui courut par tout le corps ;

Et elle revint à elle.

Elle ouvrit tout à fait les yeux.

Soudain elle aperçut Ladorec à demi-penché sur
elle, et elle poussa un cri terrible.

Elle venait de revoir en une vision aussi rapide
qu'un éclair, tout ce qui s'était passé depuis une
heure.

Et, en reconnaissant Ladorec. elle soupçonnait que
le coup de main dont elle venait d'être victime, n'était
que le prélude d'une vengeance épouvantable que
son ancien amant voulait exercer sur elle.

Cependant Ladorec avait répris tout son calme.

Il s'assit sur le bord au lit, et faisant à Marguerite
un signe qui commandait le silence, il la regarda
avec des yeux d'où la colère était aussi absente que
l'amour.

Marguerite, malgré son épouvante, resta toute sur-
prise de cette, attidude qu'elle n'avait pas prévue.

Elle s'attendait à trouver son amant irrité, fou de
rage et de vengeance, et elle se trouvait en présence
d'un homme froid et impassible.

Mais sou étonuement fut bien plus grand encore
quand Ladorec lui dit d'une voix où l'on eût cherché
en vain la moindre nuance d'émotion.

— Ma chère Gabrielle,— ou plulôt ma chère Mar-
guerite, puisqu'il vous a plu de prendre ce nom,—je
comprends que vous ne vous attendiez plus à me re-
voir jamais; vous pensiez être trop bien cachée pour
qu'on pût vous découvrir, et assurément vous ne
vous étiez pas si bien dérobée à tous les regards par
amour pour moi...

Marguerite fit un mouvement.
Ladorec ne lit pas semblant de s'en apercevoir, et
continua :

— C'est pourquoi j'ai supposé que je ne pourrais
pas avoir avec vous un entretien que je juge absolu-

ment nécessaire, en employant la voie ordinaire.
Après ce qui s'est passé entre nous, et connaissant
mon caractère comme vous pensiez le connaître, vous
auriez craint, si je vous avais fait demander une en-
trevue, quelque querelle, ou pire encore peut-être. Vous
voyez pourtant que vous vous seriez trompée. Mais
quoi qu'il en soit, je voulais vous parler, il le fallait,
et j'ai prisun moyen sans doute extrê ne, mai-, assuié,
pour avoir une explication aprèî laquelle tout sera fini
entre nous...

Marguerite ne revenait pas de sa surprise.

Quoi ! cet homme qu'elle avait vu autrefois si vio-
lent et si emporté, était-ce bien le même qui était là
assis à côté d'elle, et qui lui parlait avec une voix si
mesurée ?

Elle en était stupéfaite.

Ladorec vit cet étonuement et sourit.

— Mon Dieu, monsieur, lui dit alors Marguerite,
qui peu à peu était revenue de sa terreur, j'ignore
complètement quel est le sujet dont vous voulez m'en-
tretenir...

Ladorec se redressa vivement.

— Comment, dit-il, vous ne vous en doutez pas?
Marguerite, qui était à cent lieues de soupçonner le

but que poursuivait Ladorec, et qui le croyait coupable
précisément du fait dont son ancien amant l'accusait
elle-même,— Marguerite répondit en baissant la tête :

— Un retour sur le passé après si longtemps...

— Que dites-vous donc?... fit Ladorec,surpris à son
tour.

— Si je fus coupable envers vous, reprit Marguerite,
et je ne cherche point à le cacher, il en faut surtout
rejeter la faute sur mon extrême jeunesse; mais à
présent que cette faute est commise, qu'elle est irré-
parable, ne vaut-il pas mieux tâcher d'oublier que
nous nous sommes jamais connus etrester pour toujours
des étrangers l'un pour l'autre, que d'essayer de res-
susciter un passé bien mort et de renouer une chaîne
depuis si longtemps rompue?...

Ladorec jeta à Marguerite un regard perçant.

— Vous vous trompez complètement, dit-il.

— Vous croyez donc qu'il est possible maintenant...

— Je répète que vous êtes tout à fait dans l'erreur.
Si j'ai désiré vous voir, ce n'a pas été du tout dans le
but de renouer des relations devenues impossibles
désormais...

— Mais alors...

— Le motif pour lequel j'ai désiré vous entretenir
est beaucoup plus grave à mes yeux, — et ce que j'ai
à vous demander m'intéresse bien autrement.

— Ce que vous avez à me demander ?...

— Oui.

— Expliquez-vous, car je ne vous comprends pas.
L'expression du visage de Ladorec devint sévère et

presque menaçante.

— Vous ne me comprenez pas, dit-Il.

— Non, en vérité, répondit Marguerite.

— Eli bien, reprit Ladorec, puisque vous avez si
bien oublié tout le passé, voici ce que j'ai à vous de-
mander : Qu'avez-vous fait de notre enfant ?... Ré-
pondez !

Marguerite resta muette d'étonnement.

De toutes les questions qu'elle croyait Ladorec sus-
ceptible de lui adresser, c'était celle à laquelle elle s'at-
tendait le moins.

Tout son sang lui reflua au cœur, et elle devint
extrêmement pâle.

Une foule de pensées lugubres se présenta aussitôt
à son esprit.

Si Ladorec n'avait pas enlevé son fils, qu'est-ce que
cet enfant était devenu !

On l'a vu : jusqu'ici elle ignorait complètement que
le comte de Miremont fût l'auteur de ce rapt, et elle
avait supposé qu'il fallait l'attribuer à son ancien
amant.

La question que celui-ci venait de lui poser renver-
sait tout l'échafaudage d'hypothèses qu'elle avait
construit.

Au milieu de ses regrets maternels, si quelque chose
l'avait à demi rassurée, c'est que si eue était privée de
la vue de son fils, du moins l'enfant était en sûreté
auprès de, son père, — qu'il ne manquait de rien, —
qu'à défaut d'elle, il y avait quelqu'un pour veiller sur
lui.

A présent une angoisse atroce torturait son cœur
maternel.
Où l'enfant pouvait-il être?
Qui avait pu l'enlever?

Quelle était la inain mystérieuse sortie de l'ombre
tout à coup comme pour la punir de son amour pour
Frédéric ?

Et qu'en avait-on fait?

Vivait-il encore seulement?

En une seconde, elle se fit toutes ces questions
douloureuses.

Ce n'était que maintenant qu'elle voyait toute l'é-
tendue de la faute qu'elle avait commise.

Celait ià le châtiment !...

La voyant anéantie pour ainsi dire, Ladorec lui prit
la main comme pour la rassurer, et il lui dit, en ra-
doucissant sa voix :

— Pardonnez-moi, si je vous ai parlé un peu brus1
quement, peut-être, je vous ai etïrayée, vous avez eu
peur, mais revenez à vous, je suis prêt a tout oublier;
mais dites-moi où il est?...

Et comme Marguerite restait sans répondre.

— Ecoutez, coutinua-t-il, vous devez comprendre
cela, je veux revoir mon enfant... voilà assez long-
temps que ça dure... Vous, vous êtes partie, vous vous
êtes amusée, vous vivez dans la joie, dans le luxe, dans
l'amour... je ne vous eu veux pas... Vous m'avez quitté,
trahi, je ne m'en souviens plus... L'amour passe,
on souffre, puis on oublie!,.. Mais un enfant, on n'ou-
blie pas cela... Ah! je sais bien ce que vuus allez me
dire,—que vous en avez eu bien soin, que vous l'avez.,
bien aimé; — que vous avez rempli tous vos devoirs

envers lui, — je n'en doute pas, je le crois... mais
je suis son père après tout, et j'ai bien le droit de le
voir, moi aussi, n'est-ce pas ?... Voyons, où est mon
enfant?

Les yeux de Marguerite étaient pleins de larmes, et
elle sanglotait.

— Pensiez-vous donc que je l'avais oublié ? dit en-
core Ladorec... Ecoutez, je vous ai bien aimée : quand
j'appris votre fuite, j'en fus triste jusqu'à la mort;
mais, rien, entendez vous; cela ne fut rien en compa-
raison de la douleur que je ressentis en apprenant la
disparition de notre fils!... Allons, où est-il?... Parlez,
je le veux ; où le cachez-vous ?

Marguerite se mit à trembler de tous ses membres.
Elle cacha sa tête dans l'oreiller et s'écria au milieu
de ses sanglots :

— Je l'ai mérité ! je l'ai mérité !

Ladorec, en proie à une indicible surprise, sentait
cependant sourdre la colère dans son cœur.

Tout à coup, il saisit brusquement Marguerite par
les bras :

— Ah! ça!... parleras-tu?... s'écria-t-il d'une voix
farouche.

— Oh! pardon, pardon!...dit seulement la malheu-
reuse femme brisée par tant d'émotions.

Ladorec se leva.

Il croisa ses bras contre sa poitrine et se mit à par-
courir la chambre d'un pas rapide.

11 ne comprenait plus rien à la scène qui se passait
sous ses yeux.

— Voyons, — dit-il tout à coup, car une pensée fu-
nèbre venait de lui traverser l'esprit, — qu'en as-tu
fait?... Est-ce qu'il est mort, voyons ?... Réponds,
j'aime mieux n'importe quoi que de rester dans cette
incertitude.

Marguerite se redressa.

— Notre enfant, dit-elle, a été volé... j'ignore
comme toi ce qu'il est devenu.

— Misérable lemme!... s'écria Ladorec en levant
le bras sur elle d'un air menaçant!... Malheur à toi si
tu dis la vérité, et malheur à toi aussi si tu ne la dis
pas l...

Horace CHERPIN.
(La suite au prochain numéro.)

LA VOYANTE

PREMIERE PARTIE

VII

(Suite.)

Cette enfant n'était pour notre héros qu'une
étrangère, presque une inconnue, — il n'a-
vait pas le droit de se mêler à sa vie, d'in-
tervenir dans sa douleur, de lui offrir des
consolations.

— Seule sur la terre aussi !... — se dil-il,
— orpheline comme moi, et bien plus mal-
heureuse que moi qui, n'ayant pa3 connu ma
mère, n'ai pu la regretter 1...

Son cœur se serra. Il prit dans sa chambre
le dessin qu'il venait chercher, et il regagna
l'atelier. — Pendant toute la journée il fut
triste, distrait, absorbé. — Il lui semblait,
par une étrange hallucination, que le bruit
étouffé des sanglots de l'orpheline arrivait
jusqu'à lui.

Quand il rentra le soir, il prêta l'oreille en
s'arrètant devant la mansarde où venait de
passer la mort. Un silence profond régnait
dans cette mansarde.

La jeune fille dormait sans doute, épuisée
de fatigue et de chagrin.

Elle va reprendre des forces dans le repos,
pensa Jean Vaubaron.

Et il se sentit momentanément soulagé.

Comme de coutume il alluma sa lampe, il
s'installa devant sa petite table, il disposa sur
cette table un traité de mécanique, des pa-
piers et des crayons, et il essaya de travailler,
mais ce fut une tentative inutile. — Ses idées
confuses se heurtaient dans son cerveau, ses
yeux ne se fixaient qu'avec une distraction
invincible sur les figures géométriques qui les
sollicitaient en vain.

Le jeune homme, comprenant bien que le
travail lui serait momentanément impossible,
se jeta sur son lit et voulut dormir. — Il ne
put venir à bout de fermer les yeux. — Une
pensée unique, incessante, éloignait de lui le
sommeil. — Il croyait voir sans cesse, au mi-
lieu des ténèbres qui l'environnaient, la
blonde enfant, pâle et brisée, semblable à
une statue de la Douleur.

Toute la nuit se passa ainsi, et cette nuit
fut longue. — Lorsque enfin sonna l'heure de
quitter sa mansarde pour retourner à i'atelier,
Jean Vaubaron n'avait pas goûté un seul ins-
tant de repos.

Qne se passait-il donc dans cette âme? quel
sentiment nouveau, d'une puissance incom-
parable, s'en emparait ainsi victorieusement,
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