LE GRELOT
LES TOQUÉS
Au Trocadéro. la nuit de samedi à ditiititiche,
un homme se glisse mystérieusement pàtillî les
charpentes dressées à l'effet d'offrir un flMffl élé-
gant et confortable au schah, Cet homme es:t suivi
d'ouvriers non moins mystérieux que lui, lesquels
portent des auges, des saçs de plâtre, des poutres,
des marteaux, bref tout (attirail de gens qui s'oc-
cupent de construction. La lune, voilée depuis uh
temps considérable, se décide enfin à sortit de ses
nuages, et, à la lueur de. ses rayons mélancoliques,
on peut reconnaître dans l'homme mystérieux le
député Jean Ërunet, aussi célèbre par sa barbe
que par Ses opinions religieuses. ,
F êtes-rous ?
Oui, n'est-ct pas ? i
Maintenant, mes enfants, ne perdons pas une
scène du drame qui va se dérouler devant nos
yeux.
jean brunet, s'essuyant le front.
Halte!... nous voilà arrivés. Enfin!... Qu'est-
ce que vous penseriez d'un petit chœur,
hein?
premier ouvrier.
J'aimerais mieux un bock, moi.
deuxième ouvrier.
Dites donc... cest çà qui est embêtant, les
chœurs... et pas drôle... C'est tout ce que vous
payez, vieux ?
jean brunet.
Tout.
premier ouvrier.
Eh bien, ça ne vous ruinera pas.
jean brunet.
Mes amis, de grâce, n'oublions pas le saint
motif qui nous réunit et la pieuse mission que
nous avons à remplir. Laissons de côté les
vaines préoccupations humaines et soyons
tout à notre affaire. Vous savez dans quel but !
je vous ai amenés ici? Il s'agit de démonter ces
gradins, ces fauteuils, destinés à éblouir les
yeux d'un infidèle. Eh quoi ! on profane-
rait le Trocadéro, cette montagne sur laquelle
je voulais élever un temple au Seigneur?
deuxième ouvrier.
On va se gêner... non, c'est le chat I
jean brunet.
Et je le sais bien que c'est le schah !... c'est
précisément ce que moi, un catholique sin-
cère... un chrétien, je qualifierai de... (Pen-
dant qu'il cherche son épithète,, le malheureux
n'aperçoit pas un large trou dans lequel il dispa-
raît complètement. Qu'y a-l il donc dans ce trou ?
Je n'ose le prévoir. Mais ça n'a pas l'air
propre.
premier ouvrier.
Eh bien .. Excusez... c'est ça qui va vous
porter bonheur, patron.
JEAN BRUNET.
Au secours! à l'aide!
deuxième ouvrier.
Si nous le laissions là... dedans?
premier ouvrier.
Bah !... il est plus fou que méchant... Oh!
hisse!
(On extrait cet excellent Brunet de son excava-
tion et tout le monde se bouche immédiatement le
nez.)
jean brunet, tombant à genoux.
0 mon Dieu, je vous offre les cinq minutes
du martyre que je viens de subir!... Prenez-
les en expiation des fautes du citoyen Challe-
mel-Lacour... (Se relevant.) Maintenant, mes
amis, de l'enthousiasme !... tout le monde est ;
couché... le surveillant,absolument ivre, dort \
comme un cent de lecteurs de l'Assemblée na-
tionale... vile, renversons ces travaux impies
et remplaçons-les par mon fameux temple au
Seigneur... C'est Alphand qui fera un nez de-
main!... Et le schah, donc... A l'ouvrage! à
l'ouvrage!...
(En un clin d'œil, le pavillon du roi des rois
est par terre, et un temple, qui ressemble beaucoup
à la tente du bal Willis, s'élève à sa place.)
jeàN brunet, le considérant avec attendris-
sement.
Le voilà!... il y est!... ô bonheur!... ô
joie!... ô félicité !... ô!... mais entrons rendre
grâces au Seigneur qui a si bien béni nos tra-
vaux.
premier ouvrier.
J'aimerais mieux un bock, moi.
jean brunet, à part.
Toujours sur sa bouche, cet animal-là!...
(Jean Brunei et ses disciples entrent dans le
temple. Des chants sacrés retentissent. Main ça ne
dure pas longtemps, lin homme, suivi de plu-
sieurs autres qui semblent porter avec peine un
objet de fotme allongée, paraissent au bas du
Trocadéro. Celte troupe s'avance avec précaution.
Même rayon de lune que tout à l'heure. L'homme
qui marche en tête est l'illustre Gagne. Est-ce as-
sez bizarre, hein?
gagne.
Prenez garde, mes enfants... n'allez pas me
casser mon obélisque... il m'a donné (rop de
peine à dévisser de sort Socle... là... là... des
arebi-préeautions, surtout!... Ah! ils ont cru
que. seul* au milieu des monuments de notre
belle capitale, mon obélisque ne prendrait
pas part à la petite fête... pas lé m oindre bec
de gaz n son sommet!... pas un drapeau!...
sans compter que je n'ai pas reçu la moindre
invitation pour rien du tout!... Ça, par exem-
ple, c'est dégoûtant... archi-dégoûtant... mais
j'ai juré de me venger, et je me venge. . grâce
à quelques amis qui ont bien voulu me donner
un coup de main, je transporte cette nuit i'o-
bélisque sur cette hauteur et demain, cet idiot
d6 schah verra de quoi je suis capable... J'ai
écrit à Chambord, à Eugénie et à Vermersch
qui doivent se trouver également demain \c\
pour inaugurer, conjointement avec d'Aumale
et Mac-Mahon ma nouvelle forme de quin-
quemvirat... formeaussi étonnante, qui, seule,
peut sauver notre belle France qui... qui...
[il eternue) Vive l'obélisque!...
moi, à part.
Et dire que voilà Plffeï que le schah a pro-
duit sur les plus belles intelligences... tous
gâteux!... Ah! Parisiens, mes frères, quels
drôles de particuliers vous faites, et qu'il faut
peu de chose pour vous affoler!...
(Au moment où Gagne et son obélisque sont ar-
rivés au faîte du célèbre monticule, la porte du
temple s'ouvre et Jean Brunet paraît.)
jean brunet, apercevant Gagne.
Du monde!... V là le moment de placer ma
bénédiction.
gagne.
Quel est ce masque? Jean Brunet!...
jean brunet.
Gagne!
ensemble. .
Dans mes bras !... Nous sommes dignes de
nous comprendre !
(M. Alphand parait, suivi d'une nuée d'ou-
vriers et d'une escouade de sergents de ville.)
m. alphand.
Qu'p.perçois-je?... Des croquants qui ont
détruitmon ouvrage!... Amoi,les beaux temps
de l'empire!... Sergents, f... lanquez-moi ces
deux particuliers-îà au poste!
jean brunet et gagne.
Nous?et pourquoi?Sommes-DOusbeaucoup
plus toqués que la plupart des Parisiens, les-
quels ne savent plus, mais plus du tout, ce
qu'ils font, depuis qu'ils ont le bonheur de
posséder un roi dans leurs murs?
m. alphand.
Pas d'observations!... au poste!
gagne.
Mais, c'est archi-désagréable.!... Laissez-
moi au moins vous expliquer...
un sergent de ville, empoignant Gagne et le
bourrant de coups de poings.
N'oubiiez pas surtout que nous sons en Ré-
publique!
NICOLAS FLAMMÈCHE.
♦
LA LOI CONTRE L'IVRESSE
Nous avons une loi contre l'ivresse.
C'est bien heureux, voyez-vous, parce que
les républicains, qu'est-ce que c'est, sinon des
gens qui se saoulent toute la journée, hein?
Il n'y a même rien de plus déplorable que
ça, et pour ramener le monde à Henri V et à
Pie IX, il n'y aurait qu'à fermer les cabarets
et les débits de vins; aussitôt toute la France
crierait: Vive le roi! et jetterait cinq mil-
liards dans le tronc affecté au denier de saint
Pierre.
Il est dont urgent de faire appliquer dans
toute sa rigueur la loi contre l'ivresse.
Et c'est pourquoi nous croyons rendre nu
véritable service au gouvernement en lui si-
gnalant l'ivrogne Belcastel.
En effet, après le pèlerinage que cet hono-
rable membre de l'Assemblée a fait à I'ârfly-
le-Monial dans le but de glisser le reste de
nos quatre-vingt-neuf départements au Sacré-
Cœur, il a écrit au journal l'Univers une lettre
cynique dans laquelle se trouve la phrase sui-
vante :
« C'est, si vous le voulez, un acte de folie
que l'on ne commet point à jeun. Mais nous
étions ivres du banquet sacré, »
Jamais l'ivrognerie n'avait eu cette impu-
dence.
D'ordinaire, elle garde une certaine me-
sure.
Elle conserve un reste de pudeur.
Elle ne jette pas son caleçon par-dessus le
Cadran-UteAt avec cette forfanterie;
lit e'eot pour cela qu il faut réprimerM. Bel-
castel.
Parce quë, non content de s'être trouvé
dans un état que nous ne voulons pas quali-
îï s'en vante,
11 s'en réjouit,
Et qu'un peu plus il s'éh autoriserait pour
demander la croix.
Le fait, à moi) avis, est d'autant plus grave,
qu'il émane d'un membre de la majorité, qui
a voté la loi en parlaite connaissance de cause;
Et qu'il ne peut, en conséquence, y avoir
aucune espèce de considération à invoquer en
sa faveur.
Si donc il y a encore des juges a Paris,
AL Belcastel, côntfsftihé sur son propre aveu,
sera privé de ses droits politiques pendant
cinq ans, comme il convient,
Et ne rappellera plus les plus mauvais jours
de notre histoire;— où l'on sait que les gou-
vernements passaient le jour et la nuit dans des
orgies dont le seul souvenir fait dresser les
cheveux sur la soupe.
Homo.
- " LE
Duel de Cigognac et de Grospoulot
SCÈNE i.
Le café du Rat-qui-danse. Des gens y font tout
ce qu'on fait dans un café, fument, boivent,
>ouent aux dominos, et ne lisent pas la Pa-
trie, journal du soiu. — line petite Haine
fait boire un bock à une petite chienne hava-
naise,quenous recoin mandons instamment à la
Société protectrice de l'Enfance. — // est six
heures du soir environ, l'heure de l'absinthe.
cigognac, dans un coin du café, à part.
11 aura de mes nouv -'!<>•,, le misérable !
grospoulot, dans le coin opposé, à part.
Il entendra parler de moi, le scélérat!
cigognac, même jeu.
Oser écrire que je ne suis qu'un esco-
griffe !
grospoulot, même jeu.
Oser répandre que je ne suis qu'un jé-
suite !
cigognac.
Ça ne se passera pas comme ça !
grospoulot.
11 faut en finir et prornptement.
CIGOGNAC
Nous irons sur le pré!
grospoulot.
On va s'aligner I
cigognac.
J'aurai sa vie ou il aura la mienne!
grospoulot.
Je veux laver mes mains dans son sang!
le patron du café du Hat qui- danse, qui, Mu
en servant un bitter hùvrais. a entendu les der-
nières paroles de Cigognac et de Grospoulot.
A qui en avez-vous donc, messieurs, et que
vous a-t-on fait?
cigognac.
Je Veux parler de ce coquin de Grospou-
let.
grospoulot.
C'est de cette canaille de Cigognac que je
suis en quête.
le patron du café.
Eb! messieurs! mais vous êtes à deux pas
l'un de l'autre : expliquez-vous.
cigognac.
Ah! vraiment!... Alors vous crovez qu'il
faut?...
GHOSrOULOT.
Pensez-vous qu'il soil biert nécessaire d'en
venir à des choses?...
le PATRON du café.
Dame! il me semble, à moi, que vous ne
feriez pas mal de vider cette affaire-là!
cigognac.
Au fait, vous avez raison, vous !. . Il faut que
je lave la tête à ce misérable;
grospoulot.
Saperlipopette!... Où est ma coliehemarde,
que je pourfende ce mécréant !
le patron du café.
Allez-y, les enfants! Mais vous savez, vous
m'effrayez, tant d'ardeur me confond I... Ne
vous coupez pas en petits morceaux, au
moins!
CIGOGNAC.
N'ayez pas peur, il peut numéroter ses
abatis !
grospoulot.
Si vous voulez avoir un souvenir de lui, fai-
tes venir le photographe, car on ne vous le
rapportera que réduit en chair à saucisse.
LE patron DU café.
Quel malheur! Mon Dieu! quel malheur!...
Et dire que c'est moi qui en suis la cause, car
enfin depuis sept heures qu'ils étaient ici, ils
ne s'étaient pas encore vus!... Hélas! pauvres
jeunes gens!... Qu'est-ce qu'on va dire dans
leurs familles!
(Cigof/nac et Grospoulot sortent tous les deux du
café par des portes différentes, en se montrant
le poing et les dents — de loin.)
SCÈNE II.
Un mh •— Dans une allée, une voiture de louage
ira sont Cigognac et les témoins.
cigognac
Et surtout de la prudence !
les témoins.
Certainement, nous en aurons.
cigognac.
Betenez bien ce que je vous ai dit : ayez
soin de mettre un bouchon à la pointe des
fleure I s.
les témoins.
C'est entendu.
CIGOGNAC.
Et maintenant, baissez les stores, parce
qu'il est temps que je passe ma cotte de
mailles.
(Jes témoins baissent les stores du fiacre.)
SCÈNE III.
t'ne autre allée de bois, .avec une autre voiture
de louage oùsont Grospoulot et ses témoins.)
grospoulot.
Pas de blague, ou, ez i'œil, et le bon!
•les témoins.
Convenu !
GROSi'Ol'LOT.
Ordonnez que n u > gaciions nos gants, nos
paletots et nos par-de^-is.
les témoins.
Nous y tiendrons la main.
grospoulot.
Et maintenant, baissez lès stores, parce
qu'il est temps que j'endosse ma cuirasse.
(Les témoins baissent les siores du fiacre.)
SCÈNE IV.
(Le pré. — Adversaires et seconds sont à leurs
places.)
cigognac.
À toij â moi, la paille de fer!
grospoulot.
Tiens-toi bien, ou tu es mort.
Les Témoins de Cigognac aux témoins de
Grospoulot.
Quels gaillards, hein!
les témoins de Grospoulot aux témoins de
Cigognac.
Ne m'en parlez pas !
cigognac
En avant!
grospoulot.
En avant !
cigognac, poussant un ori.
Ah!...
(Les témoins s'approchent aussitôt; on reconnaît
que la peau dé son gant vient d'être êgratignée
par le fleuret de Grospoulot.)
cigognac, se remettant.
Continuons...
les QUATitt; témoins, ensemble.
Mais nous ne savons pas si nous detons
laisser,..
cigognac, cl Grospou:o!, avêc fermeté.
Continuons, monsieur.
(lit se rémi ttent en garde.)
grospoulot, poussant un cri à son tour.
Alt!...
(les témoins s'approchent de lui : ili constatent
que le pantalon de Grospoulot vimt de craquer
dans les fonds.)
les quatre Témoins, ensemble.
Messieurs, en voici assez...
cigognac et grospoulot.
Mais cependant, messieurs...
les quatre témoins, toujours ensemble.
Les médecins sont dVuis que le combat ne
peut , us continuer... (Grarement,) Ceia suffit
pour aujourd'hui, messieurs, vous avez fait
bravement votre devoir tous les deux; l'hon-
neur est satisfait !
(Tout le monde remonte en fiacre, et on court au
télégraphe annancer au patron du llal-qui-
danse que tout s'est passé selon la règles.)
P. P. C.
LES TOQUÉS
Au Trocadéro. la nuit de samedi à ditiititiche,
un homme se glisse mystérieusement pàtillî les
charpentes dressées à l'effet d'offrir un flMffl élé-
gant et confortable au schah, Cet homme es:t suivi
d'ouvriers non moins mystérieux que lui, lesquels
portent des auges, des saçs de plâtre, des poutres,
des marteaux, bref tout (attirail de gens qui s'oc-
cupent de construction. La lune, voilée depuis uh
temps considérable, se décide enfin à sortit de ses
nuages, et, à la lueur de. ses rayons mélancoliques,
on peut reconnaître dans l'homme mystérieux le
député Jean Ërunet, aussi célèbre par sa barbe
que par Ses opinions religieuses. ,
F êtes-rous ?
Oui, n'est-ct pas ? i
Maintenant, mes enfants, ne perdons pas une
scène du drame qui va se dérouler devant nos
yeux.
jean brunet, s'essuyant le front.
Halte!... nous voilà arrivés. Enfin!... Qu'est-
ce que vous penseriez d'un petit chœur,
hein?
premier ouvrier.
J'aimerais mieux un bock, moi.
deuxième ouvrier.
Dites donc... cest çà qui est embêtant, les
chœurs... et pas drôle... C'est tout ce que vous
payez, vieux ?
jean brunet.
Tout.
premier ouvrier.
Eh bien, ça ne vous ruinera pas.
jean brunet.
Mes amis, de grâce, n'oublions pas le saint
motif qui nous réunit et la pieuse mission que
nous avons à remplir. Laissons de côté les
vaines préoccupations humaines et soyons
tout à notre affaire. Vous savez dans quel but !
je vous ai amenés ici? Il s'agit de démonter ces
gradins, ces fauteuils, destinés à éblouir les
yeux d'un infidèle. Eh quoi ! on profane-
rait le Trocadéro, cette montagne sur laquelle
je voulais élever un temple au Seigneur?
deuxième ouvrier.
On va se gêner... non, c'est le chat I
jean brunet.
Et je le sais bien que c'est le schah !... c'est
précisément ce que moi, un catholique sin-
cère... un chrétien, je qualifierai de... (Pen-
dant qu'il cherche son épithète,, le malheureux
n'aperçoit pas un large trou dans lequel il dispa-
raît complètement. Qu'y a-l il donc dans ce trou ?
Je n'ose le prévoir. Mais ça n'a pas l'air
propre.
premier ouvrier.
Eh bien .. Excusez... c'est ça qui va vous
porter bonheur, patron.
JEAN BRUNET.
Au secours! à l'aide!
deuxième ouvrier.
Si nous le laissions là... dedans?
premier ouvrier.
Bah !... il est plus fou que méchant... Oh!
hisse!
(On extrait cet excellent Brunet de son excava-
tion et tout le monde se bouche immédiatement le
nez.)
jean brunet, tombant à genoux.
0 mon Dieu, je vous offre les cinq minutes
du martyre que je viens de subir!... Prenez-
les en expiation des fautes du citoyen Challe-
mel-Lacour... (Se relevant.) Maintenant, mes
amis, de l'enthousiasme !... tout le monde est ;
couché... le surveillant,absolument ivre, dort \
comme un cent de lecteurs de l'Assemblée na-
tionale... vile, renversons ces travaux impies
et remplaçons-les par mon fameux temple au
Seigneur... C'est Alphand qui fera un nez de-
main!... Et le schah, donc... A l'ouvrage! à
l'ouvrage!...
(En un clin d'œil, le pavillon du roi des rois
est par terre, et un temple, qui ressemble beaucoup
à la tente du bal Willis, s'élève à sa place.)
jeàN brunet, le considérant avec attendris-
sement.
Le voilà!... il y est!... ô bonheur!... ô
joie!... ô félicité !... ô!... mais entrons rendre
grâces au Seigneur qui a si bien béni nos tra-
vaux.
premier ouvrier.
J'aimerais mieux un bock, moi.
jean brunet, à part.
Toujours sur sa bouche, cet animal-là!...
(Jean Brunei et ses disciples entrent dans le
temple. Des chants sacrés retentissent. Main ça ne
dure pas longtemps, lin homme, suivi de plu-
sieurs autres qui semblent porter avec peine un
objet de fotme allongée, paraissent au bas du
Trocadéro. Celte troupe s'avance avec précaution.
Même rayon de lune que tout à l'heure. L'homme
qui marche en tête est l'illustre Gagne. Est-ce as-
sez bizarre, hein?
gagne.
Prenez garde, mes enfants... n'allez pas me
casser mon obélisque... il m'a donné (rop de
peine à dévisser de sort Socle... là... là... des
arebi-préeautions, surtout!... Ah! ils ont cru
que. seul* au milieu des monuments de notre
belle capitale, mon obélisque ne prendrait
pas part à la petite fête... pas lé m oindre bec
de gaz n son sommet!... pas un drapeau!...
sans compter que je n'ai pas reçu la moindre
invitation pour rien du tout!... Ça, par exem-
ple, c'est dégoûtant... archi-dégoûtant... mais
j'ai juré de me venger, et je me venge. . grâce
à quelques amis qui ont bien voulu me donner
un coup de main, je transporte cette nuit i'o-
bélisque sur cette hauteur et demain, cet idiot
d6 schah verra de quoi je suis capable... J'ai
écrit à Chambord, à Eugénie et à Vermersch
qui doivent se trouver également demain \c\
pour inaugurer, conjointement avec d'Aumale
et Mac-Mahon ma nouvelle forme de quin-
quemvirat... formeaussi étonnante, qui, seule,
peut sauver notre belle France qui... qui...
[il eternue) Vive l'obélisque!...
moi, à part.
Et dire que voilà Plffeï que le schah a pro-
duit sur les plus belles intelligences... tous
gâteux!... Ah! Parisiens, mes frères, quels
drôles de particuliers vous faites, et qu'il faut
peu de chose pour vous affoler!...
(Au moment où Gagne et son obélisque sont ar-
rivés au faîte du célèbre monticule, la porte du
temple s'ouvre et Jean Brunet paraît.)
jean brunet, apercevant Gagne.
Du monde!... V là le moment de placer ma
bénédiction.
gagne.
Quel est ce masque? Jean Brunet!...
jean brunet.
Gagne!
ensemble. .
Dans mes bras !... Nous sommes dignes de
nous comprendre !
(M. Alphand parait, suivi d'une nuée d'ou-
vriers et d'une escouade de sergents de ville.)
m. alphand.
Qu'p.perçois-je?... Des croquants qui ont
détruitmon ouvrage!... Amoi,les beaux temps
de l'empire!... Sergents, f... lanquez-moi ces
deux particuliers-îà au poste!
jean brunet et gagne.
Nous?et pourquoi?Sommes-DOusbeaucoup
plus toqués que la plupart des Parisiens, les-
quels ne savent plus, mais plus du tout, ce
qu'ils font, depuis qu'ils ont le bonheur de
posséder un roi dans leurs murs?
m. alphand.
Pas d'observations!... au poste!
gagne.
Mais, c'est archi-désagréable.!... Laissez-
moi au moins vous expliquer...
un sergent de ville, empoignant Gagne et le
bourrant de coups de poings.
N'oubiiez pas surtout que nous sons en Ré-
publique!
NICOLAS FLAMMÈCHE.
♦
LA LOI CONTRE L'IVRESSE
Nous avons une loi contre l'ivresse.
C'est bien heureux, voyez-vous, parce que
les républicains, qu'est-ce que c'est, sinon des
gens qui se saoulent toute la journée, hein?
Il n'y a même rien de plus déplorable que
ça, et pour ramener le monde à Henri V et à
Pie IX, il n'y aurait qu'à fermer les cabarets
et les débits de vins; aussitôt toute la France
crierait: Vive le roi! et jetterait cinq mil-
liards dans le tronc affecté au denier de saint
Pierre.
Il est dont urgent de faire appliquer dans
toute sa rigueur la loi contre l'ivresse.
Et c'est pourquoi nous croyons rendre nu
véritable service au gouvernement en lui si-
gnalant l'ivrogne Belcastel.
En effet, après le pèlerinage que cet hono-
rable membre de l'Assemblée a fait à I'ârfly-
le-Monial dans le but de glisser le reste de
nos quatre-vingt-neuf départements au Sacré-
Cœur, il a écrit au journal l'Univers une lettre
cynique dans laquelle se trouve la phrase sui-
vante :
« C'est, si vous le voulez, un acte de folie
que l'on ne commet point à jeun. Mais nous
étions ivres du banquet sacré, »
Jamais l'ivrognerie n'avait eu cette impu-
dence.
D'ordinaire, elle garde une certaine me-
sure.
Elle conserve un reste de pudeur.
Elle ne jette pas son caleçon par-dessus le
Cadran-UteAt avec cette forfanterie;
lit e'eot pour cela qu il faut réprimerM. Bel-
castel.
Parce quë, non content de s'être trouvé
dans un état que nous ne voulons pas quali-
îï s'en vante,
11 s'en réjouit,
Et qu'un peu plus il s'éh autoriserait pour
demander la croix.
Le fait, à moi) avis, est d'autant plus grave,
qu'il émane d'un membre de la majorité, qui
a voté la loi en parlaite connaissance de cause;
Et qu'il ne peut, en conséquence, y avoir
aucune espèce de considération à invoquer en
sa faveur.
Si donc il y a encore des juges a Paris,
AL Belcastel, côntfsftihé sur son propre aveu,
sera privé de ses droits politiques pendant
cinq ans, comme il convient,
Et ne rappellera plus les plus mauvais jours
de notre histoire;— où l'on sait que les gou-
vernements passaient le jour et la nuit dans des
orgies dont le seul souvenir fait dresser les
cheveux sur la soupe.
Homo.
- " LE
Duel de Cigognac et de Grospoulot
SCÈNE i.
Le café du Rat-qui-danse. Des gens y font tout
ce qu'on fait dans un café, fument, boivent,
>ouent aux dominos, et ne lisent pas la Pa-
trie, journal du soiu. — line petite Haine
fait boire un bock à une petite chienne hava-
naise,quenous recoin mandons instamment à la
Société protectrice de l'Enfance. — // est six
heures du soir environ, l'heure de l'absinthe.
cigognac, dans un coin du café, à part.
11 aura de mes nouv -'!<>•,, le misérable !
grospoulot, dans le coin opposé, à part.
Il entendra parler de moi, le scélérat!
cigognac, même jeu.
Oser écrire que je ne suis qu'un esco-
griffe !
grospoulot, même jeu.
Oser répandre que je ne suis qu'un jé-
suite !
cigognac.
Ça ne se passera pas comme ça !
grospoulot.
11 faut en finir et prornptement.
CIGOGNAC
Nous irons sur le pré!
grospoulot.
On va s'aligner I
cigognac.
J'aurai sa vie ou il aura la mienne!
grospoulot.
Je veux laver mes mains dans son sang!
le patron du café du Hat qui- danse, qui, Mu
en servant un bitter hùvrais. a entendu les der-
nières paroles de Cigognac et de Grospoulot.
A qui en avez-vous donc, messieurs, et que
vous a-t-on fait?
cigognac.
Je Veux parler de ce coquin de Grospou-
let.
grospoulot.
C'est de cette canaille de Cigognac que je
suis en quête.
le patron du café.
Eb! messieurs! mais vous êtes à deux pas
l'un de l'autre : expliquez-vous.
cigognac.
Ah! vraiment!... Alors vous crovez qu'il
faut?...
GHOSrOULOT.
Pensez-vous qu'il soil biert nécessaire d'en
venir à des choses?...
le PATRON du café.
Dame! il me semble, à moi, que vous ne
feriez pas mal de vider cette affaire-là!
cigognac.
Au fait, vous avez raison, vous !. . Il faut que
je lave la tête à ce misérable;
grospoulot.
Saperlipopette!... Où est ma coliehemarde,
que je pourfende ce mécréant !
le patron du café.
Allez-y, les enfants! Mais vous savez, vous
m'effrayez, tant d'ardeur me confond I... Ne
vous coupez pas en petits morceaux, au
moins!
CIGOGNAC.
N'ayez pas peur, il peut numéroter ses
abatis !
grospoulot.
Si vous voulez avoir un souvenir de lui, fai-
tes venir le photographe, car on ne vous le
rapportera que réduit en chair à saucisse.
LE patron DU café.
Quel malheur! Mon Dieu! quel malheur!...
Et dire que c'est moi qui en suis la cause, car
enfin depuis sept heures qu'ils étaient ici, ils
ne s'étaient pas encore vus!... Hélas! pauvres
jeunes gens!... Qu'est-ce qu'on va dire dans
leurs familles!
(Cigof/nac et Grospoulot sortent tous les deux du
café par des portes différentes, en se montrant
le poing et les dents — de loin.)
SCÈNE II.
Un mh •— Dans une allée, une voiture de louage
ira sont Cigognac et les témoins.
cigognac
Et surtout de la prudence !
les témoins.
Certainement, nous en aurons.
cigognac.
Betenez bien ce que je vous ai dit : ayez
soin de mettre un bouchon à la pointe des
fleure I s.
les témoins.
C'est entendu.
CIGOGNAC.
Et maintenant, baissez les stores, parce
qu'il est temps que je passe ma cotte de
mailles.
(Jes témoins baissent les stores du fiacre.)
SCÈNE III.
t'ne autre allée de bois, .avec une autre voiture
de louage oùsont Grospoulot et ses témoins.)
grospoulot.
Pas de blague, ou, ez i'œil, et le bon!
•les témoins.
Convenu !
GROSi'Ol'LOT.
Ordonnez que n u > gaciions nos gants, nos
paletots et nos par-de^-is.
les témoins.
Nous y tiendrons la main.
grospoulot.
Et maintenant, baissez lès stores, parce
qu'il est temps que j'endosse ma cuirasse.
(Les témoins baissent les siores du fiacre.)
SCÈNE IV.
(Le pré. — Adversaires et seconds sont à leurs
places.)
cigognac.
À toij â moi, la paille de fer!
grospoulot.
Tiens-toi bien, ou tu es mort.
Les Témoins de Cigognac aux témoins de
Grospoulot.
Quels gaillards, hein!
les témoins de Grospoulot aux témoins de
Cigognac.
Ne m'en parlez pas !
cigognac
En avant!
grospoulot.
En avant !
cigognac, poussant un ori.
Ah!...
(Les témoins s'approchent aussitôt; on reconnaît
que la peau dé son gant vient d'être êgratignée
par le fleuret de Grospoulot.)
cigognac, se remettant.
Continuons...
les QUATitt; témoins, ensemble.
Mais nous ne savons pas si nous detons
laisser,..
cigognac, cl Grospou:o!, avêc fermeté.
Continuons, monsieur.
(lit se rémi ttent en garde.)
grospoulot, poussant un cri à son tour.
Alt!...
(les témoins s'approchent de lui : ili constatent
que le pantalon de Grospoulot vimt de craquer
dans les fonds.)
les quatre Témoins, ensemble.
Messieurs, en voici assez...
cigognac et grospoulot.
Mais cependant, messieurs...
les quatre témoins, toujours ensemble.
Les médecins sont dVuis que le combat ne
peut , us continuer... (Grarement,) Ceia suffit
pour aujourd'hui, messieurs, vous avez fait
bravement votre devoir tous les deux; l'hon-
neur est satisfait !
(Tout le monde remonte en fiacre, et on court au
télégraphe annancer au patron du llal-qui-
danse que tout s'est passé selon la règles.)
P. P. C.