LB GRBLOT
DISCOURS DE RENTRÉE
Chers lecteurs,
Voilà quinze jours que je n'ai pas causé
avec vous.
Vous en êtes-vous aperçus?
Moi, qui suis la violette même, je réponds
non modestement.
Mais si, Flammèche ne vous a pas manqué,
vous avez singulièrement manqué à Flam-
mèche.
Ce que c'est qu'une vieille habitude!
Dame, il y a trois ans que j'ai pris.celle de
vous dire mes impressions sur les petits
hommes et les tristes choses de ce temps, et
il est aussi pernicieux pour un jou naliste de
renoncer à son public que pour un rhuma-
tisant de quitter sa flanelle.
' L'un y réveille son esprit.
L'autre y gagne une fluxion de poitrine.
Je vais dès aujourd'hui "ssay r de m'y re-
prendre et mon petit préambule fini, j'entre,
en matière.
Ah I mais... pardon...
J'oubliais qu'à rencontre de la plupart de
mes confrères, je ne vous avais pas donné le
motif de mon silence.
Il est en effet d'usage chez certains phraseurs
de la presse à grand format, de tenir leurs lec-
teurs au courant de leurs, moindres actions.
Il faut que le public sache bien qu'hier, à
sept heures, ils se sont levés, et qu'après avoir
procédé à leurs ablutions matinales, ils ont
endossé une robe de chambre de telle cou-
leur et des pantoufles de telle forme.
Et ce sont des y» à n'en plus finir!
Je préfère l'eau de Lubin à l'eau de Cologne
et les œufs saignants aux côtelettes trop
cuites.
Je ne sais pas si vous êtes comme moi,
mais je...
Je suis allé hier aux Bouffes-Parisiens; je
m'y suis rudement ennuyé.
/'in retrouvé au café Riche une ancienne
connaissance à moi, la petite Cascarinette;
je lui ai offert à souper, après quoi;'*...
Parbleu, nous nous en doutons bien !
Et qu'est-ce que cela nous fait, après tout?
Aussi, chers lecteurs, je pourrais vous don-
ner les raisons de mon silence ; mais, outre
que cela vous serait parfaitement égal, n'est-
ce pas? je préfère vous les laisser deviner.
Ça vous fera toujours passer une soirée ou
deux.
Ceici posé, je commence.
*
* ♦
Si vous voulez voir un nez d'une belle lon-
gueur, je vous engage à mesurer celui que
font en ce moment les bonapartistes au sujet
de l'internement à Mazas de cet excellent
M. Clément Duvernois.
Certes, nous ne voudrions pas porter at-
teinte à l'action de la justice ni rien préjuger
d'un prévenu, mais cependant avouez qu'il
est bien cocasse que la plupart des gre-
nouilles qui se sont mangées depuis quelques
années l'aient précisément été par des hom-
mes notables de ce parti.
Ce qu'il y a d'amusant dans cette immense
pasquinade, c'est le lâchage immédiat auquel
se sont livrés les journaux de l'appel au peu-
ple dès qu'ils ont eu vent de la chose.
— M. Duvernois?' dit celui-ci, M. Duver-
nois?... qu'est-ce que c'est que cela?... Est-ce
qu'il y a eu ua Duvernois attaché à l'empire?...
Allons donc I... des blagues !...
— Duvernois?reprend l'autre, Duvernois?...
un bonapartiste?... Connais pas. Il n'y a que
des rosières et des prix de vertu chez nous.
Tous ceux qu'on peut prendre la main dans la
poche du voisin en train de ratisser un porte-
monnaie, tous ceux-là ne sont que des répu-
blicains.
C'est bien connu à la préfecture, ces his-
toires-là I
Mais Duvernois un impérialiste I... jamais.
C'était un mouchard!
Pauvre Clément!... Si tu avais pu te dou-
ter!...
Enfin, on n'est pas parfait, n'est-ce pas?
C'est égal, ça sera un drôle de procès... et
instructif, donc 1
*
* *
Un préfet qui trouverait tout de suite un
engagement au Palais-Hpyal, si on lui retirait
sa préfecture, c'est M. le préfet d'Eure-et-
Loir.
Pour un bon comique, voilà un bon co-
mique!
Mais, me direz-vous, qu'a donc pu faire cet
estimable fonctionnaire pour justifier une opi-
nion aussi fantaisiste?
Ce qu'il a fait?
Ah! chers lecteurs, je n'ose vous le dire
sans quelque précaution, pour ne pas vous
causer une émotion trop vive.
Maintenant que vous voilà prévenus, sachez
donc...
Y êtes-vous?
Une!... deux)...
Ma foi, tant pis!... trois!...
Sachez donc que M. le préfet d'Eure-et-Loir
vient de nommer maire de la commune de
Mériglise (canton d'iliers), le citoyen marquis
de Ligneris, lequel marquis est bien et dûment
pourvu d'un conseil judiciaire dans la per-
sonne de-M. Duplan, notaire à Paris.
Vous voyez que nous citons nos auteurs.
Mon Dieu, ce n'est pas qu'il soit déshonorant
d'avoir un conseil, quelque judiciaire qu'il
soit.
Au contraire.
Cela prouve d'abord qu'on possède un cer-
tain capital, ce qui est toujours respectable.
Et cela vous épargne ensuite bien des bê-
tises 1
Dame! nous ne saurions en vouloir aucune-
ment au nouveau maire de la commune de
Mériglise de ce petit accident, plus commun
qu'on ne croit dans la vie de ce monde.
Mais ce. qui nous a jetés dans une rêverie des
plus apocalyptiques, c'est de songer que cet
admirable préfet d'Eure-et-Loire a été juste
ment choisir pour faire les affaires de ses ad-
ministrés, un homme reconnu parfaitement
incapable de diriger les siennes.
Je ne sais même pat comment, avec la
meilleure volonté du monde, les choses pour-
raient s'arranger.
Car enfin, ledit M- de Ligneris ne peut rien
faire sans M. Duplan, notaire à Paris.
Ceci est incontestable.
Or, si vous nommez maire M. de Ligneris,
il faut absolument que M. Duplan le soit éga-
lement, ce qui le-gênera bien dans l'exercice
de ses fonctions et fera bien du tort à son
étude.
Impossible autrement de concilier les gran-
deurs de M. de Ligneris et l'article 4 de la loi
municipale du 14 avril 1871, lequel article est
ainsi conçu : « Sont déclarés inéligibles au con-
seil municipal d'une commune, les citoyens qui se
trouvent dans les cas d'incapacité et d'incompati-
bilité prévus par les lois en vigueur. »
Je ne vois qu'un moyen d'arranger les
choses.
Il est un peu violent, mais c'est le seul.
M. le préfet d-Eure-et-Loire serait immé-
diatement prié par le télégraphe de remettre
sa préfecture à un plus intelligent, en é-
change de quoi an pourrait lui offrir un joli
bureau de tabac dans un quartier bien fré-
quenté.
Çà serait peut-être un peu humiliant pour
son amour-propre, mais il n'y a pas de sot
métier... il n'y a que de sottes gens.
NICOLAS FLAMMÈCHE.
LES COMPÈRES
Il y a une chose qu'où ne remarque pas as-
sez :
C'est la façon dont les jolis petits coups se
combinent.
Tous les voleurs ne volent pas eux-mêmes :
Seulement, ils font voler;
Ils tiennent l'échelle, d'abord,
Ils pratiquent le recel, ensuite,
Et vivent comme les camarades.
Aussi les tribunaux, qui, ayant quelque ex-
périence, savent à quoi s'en tenir, envoient
d'ordiaaire dans les maisons centrales avec
les filous patentés et les pick-pockets émé-
rites, ceux qui leur ont indiqué les « clients »
à dévaliser, et les moyens de se débarrasser
du « chopin », comme disent, dans leur lan-
gue, ces agréables messieurs.
Dans la presse, il en est tout différemment.
Quand on arrête un bonapartiste pour vol
qualifié, — ce qui arrive de temps en temps,
Ou n'entend point de huées,
Point de cris,
Point de murmures;
A peine quelques réflexions.
Les journaux républicains eux-mêmes se
tiennent cois comme des soliveaux.
Mais tous ceux qui de près ou de loin ont
picoré sur le fumier du Deux Décembre, ou-
vrent un large bec,
Et cherchent à persuader les gens qu'ils
sont excessivement fiers de ce qui arrive,
Parce que les gens signalés au procureur
de la République ne sont pas autre chose que
des martyrs,
Des victimes,
Des agneaux;
Un peu plus, ils demanderaient qu'on les
couronnât de roses.
Il est probable cependant que le gouverne-
ment, qui a fait appel à la bonne volonté de
tous les partis, n'a pas l'intention de s'en
mettre aucun à dos d'une façon systématique.
Le gouvernement ne dit point :
« Monsieur,
« Vous êtes un bonapartiste,
« Donc, vous êtes un voleur. »
Non,
Ce n'est pas ainsi qu'on procède.
Il dit simplement, la plupart du temps, —
et avec un tonoontrit :
« C'est dommage,
« Vous me faisiez l'effet d'un très-galant
homme,
« Mais vous me paraissez un peu trop adroit
de vos mains pour qu'on puisse vous confie*
quoi que ce soit!
« Faites-moi donc le plaisir de venir au
poste,
« Où nous nous expliquerons. »
11 n'y a rien là-dedans de systématique,
Et je n'y vois, pour ma part, point de parti
pris.
Le gouvernement fait arrêter les gens, qui
décrochent les obligations à la Bourse,
Comme il fait arrêter les gens qui décrochent
les paires de bottines aux étalages.
Il n'y a donc point à lui faire le reproche
d'être partial.
S'il fait coffrerles bonapartistes,
C'est parce que c'est son devoir,
Et parce qu'il ne peut pas faire autrement.
Aussi est-il singulier au dernier point de
voir la touchante unanimité avec laquelle tous
les journaux ont confondu leurs pleurs sur la
touibe de M. Clément Duvernois.
C'élait un grand publicisle,
Un homme d'un talent énorme,
Une intelligence,
Un esprit,
Un ange 1
Quel dommage qu'il ait eu de la glu au bout
des doigts le jour du versement des fonds de
la banque territoriale d Espagne!
C'est l'erreur d'une grande âme!
Mais cette grande âme est-elle coupable?...
Et les langues de marcher I
Et les plumes de courir!
Non, Duvernois n'est pas coupable;
Il a été trompé/...
Si naïfs, les bonapartistes !
Pourquoi en vouloir à ces chérubins?
Ils sont plus purs que le jour qui vient de
naître !...
Et s'ils ne le sont pas tous,
C'e.-t dommage,
Car ils méritent de l'être !..
L'empereur l'était : les légitismes le pleu-
rent!..
Voilà ce que depuis huit jours nous rabâche
une certaine presse conservatrice!..
En vérité, c'est triste,
Et, après la série de faits que nous avons
tous vus, ça ne se comprend plus!
Si le public se laisse coudre dans le sac,
avec ces fils blancs,
Il faut qu'il soit de bonne composition 1..
Ah ! çà! voyons,
Est-ce que nous sommes destinés à revoir
les compérages qui déshonorèrent le journa-
lisme français sous les Thermidoriens et sous
le Directoire !
Est-ce que les gens de lettres se feront les
uns aux autres l'échelle de voleurs!
Est-ce qu'on organisera de nouveau la soli-
darité de l'escroquerie?,
Et, en fin de compte,
Est-ce qu'il va se fonder, en plein Paris,
une nouvelle espèce de jésuites de plume,
prenant pour enseigne et pour devise les pa-
roles que Voltaire appliquait à l'autre société :
« Association mutuelle des gueux — A. M.
D. G. »?..
Je ne suis pas curieux : mais je voudrais
bien voir ça!..
R.
I — 0 H- 'Il
LETTRES
DE
Quelques personnes de qualité
A UN HOMME DE RIEN
SUR LES HOMMES ET LES CHOSES DE CE TEMPS
III
Si je l'ai vul... Je crois bien!... Dès que
le facteur me l'eût apporté, je m'y suis mis et
ne l'ai point quitté !... On en avait tant parlé,
et dit tant de mal déjà, que je grillais de ju-
ger par moi-même!... Car je n'avais point ou-
blié que l'auteur fit jadis Madame Bovary et
Salammbô/... Ce sont là deux filles immor-
telles _qui, de même que ses deux victoires
pour Epaminondas, ne laisseront point périr
son nom!... Le dernier né, l'Éducation senti-
mentale, m'avait moins séduit, bien qu'il ne
fût pas sans grâce; — mais de là à une déca-
dence subite, il y avait loin, — et tous vos
critiques au petit pied, qui peinent à trois
sous la ligne dans les journaux bien pen-
sants, ne pouvaient parvenir à me persuader
que cette Tentation de saint Antoine n'était que
l'œuvre d'une mazette, — ou, disaient les plus
polisj l'erreur d'un galant homme de lettres.
Je me déliais de leurs dédains, et bien m'en
a pris, car, si vous voulez savoir ma pensée,
je vous dirai que j'estime cette Tentation à l'é-
gal du Faust, — et, qu'à part les bluettes qui
paillètent par endroits le drame de Goethe et
qui manquent malheureusement, etforcément,
dans le livre de Flaubert, j'aime mieux en-
core ce mystère, auquel il faudrait de la musi-
que de Palestrina, que la légende allemande
du poète du Divan occidental, auquel de la
musique d'un Gounod, mâtiné d'Offenbach,
suffirait amplement.
Maintenant, que vos jolis farceurs, chaegés
d'éclairer le goût public, et qui, pour me ser-
vir d'un mot de Sainte-Beuve, lisent du pouce
les œuvres les plus sérieuses , n'y aient rien
compris, — entre nous, cela ne m'étonnepas.
C'est le contraire qui m'eût surpris;— et l'on
conçoit trop bien que les mêmes hommes qui
voient se dérouler sans dire mot quatre cent-
onze représentations d'une machinette du
genre de la Fille de madame Angot, se récrient
en voyant le théâtre de toile de Polichinelle
s'élargir au point de contenir tout le chaos
des religions, où vagabonda l'âme humaine
depuis les commencements de sa conscience.
Le maillot de Blanche d'Antigny et la frette
de mademoiselle Cico tiennent trop de place
dans ces esprits pour qu'une idée grave y
germe, et il semble qu'ils en veuillent person-
nellement à Flaubert d'avoir traîné devant le
public le dieu Crepitus.
Mais, aussi, je vous demande un peu quelle
singulière idée a eue là l'auteur de Madame
Botaryf... Somment se fait-il qu'il se soit
amusé à lancer dans la circulation un livre
semblable, alors que VHomme à la fourchette
occupe infiniment plus les gazettes qu'un ro-
man d'Hugo, et que quinze jours ne suffisent
pas à décrire une grimace de mademoiselle
Croizette?... En vérité, c'est bien l'art qui
nous préoccupe, et nous nous moquons bien
de cela, nous autres!... Le centre droit con-
sent-il à une réunion siamoise avec le centre
gauche? M. Cazenove de Pradines nous fera-
t-il la grâce de reconnaître le Septennat?
M. Thiers écrira-t-il lui-même sa lettre aux
marchands de figues de Smyrne , ou la fera-
t-il écrire par Barthélemy-Saint-Hilaire ?...
Ah! voilà qui esi important et qui réclame
toule notre attention!... Mon Dieu !. . si ma-
demoiselle Dosne arrivait à baptiser sa rue du
nom odieux qu'elle perte!... Si M. Gambetta
parvenait à faire oublier son balcon et M. Le-
drn-Rollin son vasistas !... Où irions-nous ?...
Et, je vous le demande, la société ne penche-
rait-elle p»s sur sa base? Voilà comme nous
sommes, cependant !... Et lesplus frivoles des
Byzantins étaient des trappistes à côté de
nous !
Le livre d'abord, a surpris : grand tort, au-
près des gens qui croient tout savoir ou tout
deviner. La Tentation de saint AntoineI ce chef-
d'œuvre du théâtre des Marionnettes était si
connu, qu'on se le représentait d'avance; on
voyait, à ce seul titre, sortir de terre et s'en-
cadrer en perspective dans un cirque de ro-
chers et de sables,
Où saint Antoine vit surgir parmi les laves
Les seins nus et pourprés do ses tentations,
toute la pauvre cabane de l'ermite, avec ses
diablotins obligés, sa Proserpine à la gorge
insolente et aux paroles salaces, son cochon
avec une fusée enflammée à la queue, son dra-
gon vert-bouteille avec la gueule peinte en
rouge-antique, et toutes les chansons dont nos
oreilles enfantines reçurent la musique gro-
tesque, frénétique et saccadée : Tirons-le par
son cordon ! — Ah J tu sauteras, tu danseras !_
Rendez-moi mon cochon, s'il vous plaît! et tant
d'autres. On s'attendait au speclacle de la
foire, agrandi, distendu, et mis, par une sorte
de tour de force, sur le chevalet de l'ampli-
fication.
L'ouvrage paraît, et on est tout surpris- de
voir un poëme singulier, plus chargé d'orne-
ments et de broderies que les personnages de
Lucas de Leyde, plus fouillé et plus touffu
qu'une eau-forte du Piranèse, plus étincelant
qu'une pièce d'orfèvrerie italienne! Ce sont là
des tours que la critique ne pardonne pas aux
auteurs. Cent pages merveilleuses n'y peuvent
rien, et ne la ramènent pas. Elle est plus insen-
sible qu'Antoine lui-même aux mignardises
adorables de la reine de Saba, exprès descen-
due de son éléphant parfumé. Elle ne donne
pas un moment d'attention au papillon qui
vole près de la bouche de Vénus; elle passe,
sans daigner les admirer, devant Babylone et
Ninive, dont Flaubert a relevé pour elle les
architectures évanouies; elle ne consent pas
à se laisser surprendre par l'éclosion de la vie
et du mouvement, magiquement opérée scus
ses yeux; car la Critique, la Dame au nez
pointu! n'a jamais de plus grand bonheur que
lorsqu'elle croit avoir aperçu le moyen de
jeter bas une gloire jusqu'alors respectée !...
Elle ne se sent pas de joie alors, elle prend la
revanche de son impuissance, — et à son tour
Marsyas fait écorcher vif Apollon!
H y avait d'ailleurs d'autres raisons encore
pour que ce livre soulevât contre lui la cohue
des obscurs blasphémateurs. A le bien exa-
miner, en dehors de ses tendances littéraires,
ce « mystère » de la Tentation de saint Antoine
a une portée philosophique assez marquée
et très-suffisamment indiquée pour déplaire à
certaines gens, bien que l'auteur n'ait pas cru
devoir conclure :
DISCOURS DE RENTRÉE
Chers lecteurs,
Voilà quinze jours que je n'ai pas causé
avec vous.
Vous en êtes-vous aperçus?
Moi, qui suis la violette même, je réponds
non modestement.
Mais si, Flammèche ne vous a pas manqué,
vous avez singulièrement manqué à Flam-
mèche.
Ce que c'est qu'une vieille habitude!
Dame, il y a trois ans que j'ai pris.celle de
vous dire mes impressions sur les petits
hommes et les tristes choses de ce temps, et
il est aussi pernicieux pour un jou naliste de
renoncer à son public que pour un rhuma-
tisant de quitter sa flanelle.
' L'un y réveille son esprit.
L'autre y gagne une fluxion de poitrine.
Je vais dès aujourd'hui "ssay r de m'y re-
prendre et mon petit préambule fini, j'entre,
en matière.
Ah I mais... pardon...
J'oubliais qu'à rencontre de la plupart de
mes confrères, je ne vous avais pas donné le
motif de mon silence.
Il est en effet d'usage chez certains phraseurs
de la presse à grand format, de tenir leurs lec-
teurs au courant de leurs, moindres actions.
Il faut que le public sache bien qu'hier, à
sept heures, ils se sont levés, et qu'après avoir
procédé à leurs ablutions matinales, ils ont
endossé une robe de chambre de telle cou-
leur et des pantoufles de telle forme.
Et ce sont des y» à n'en plus finir!
Je préfère l'eau de Lubin à l'eau de Cologne
et les œufs saignants aux côtelettes trop
cuites.
Je ne sais pas si vous êtes comme moi,
mais je...
Je suis allé hier aux Bouffes-Parisiens; je
m'y suis rudement ennuyé.
/'in retrouvé au café Riche une ancienne
connaissance à moi, la petite Cascarinette;
je lui ai offert à souper, après quoi;'*...
Parbleu, nous nous en doutons bien !
Et qu'est-ce que cela nous fait, après tout?
Aussi, chers lecteurs, je pourrais vous don-
ner les raisons de mon silence ; mais, outre
que cela vous serait parfaitement égal, n'est-
ce pas? je préfère vous les laisser deviner.
Ça vous fera toujours passer une soirée ou
deux.
Ceici posé, je commence.
*
* ♦
Si vous voulez voir un nez d'une belle lon-
gueur, je vous engage à mesurer celui que
font en ce moment les bonapartistes au sujet
de l'internement à Mazas de cet excellent
M. Clément Duvernois.
Certes, nous ne voudrions pas porter at-
teinte à l'action de la justice ni rien préjuger
d'un prévenu, mais cependant avouez qu'il
est bien cocasse que la plupart des gre-
nouilles qui se sont mangées depuis quelques
années l'aient précisément été par des hom-
mes notables de ce parti.
Ce qu'il y a d'amusant dans cette immense
pasquinade, c'est le lâchage immédiat auquel
se sont livrés les journaux de l'appel au peu-
ple dès qu'ils ont eu vent de la chose.
— M. Duvernois?' dit celui-ci, M. Duver-
nois?... qu'est-ce que c'est que cela?... Est-ce
qu'il y a eu ua Duvernois attaché à l'empire?...
Allons donc I... des blagues !...
— Duvernois?reprend l'autre, Duvernois?...
un bonapartiste?... Connais pas. Il n'y a que
des rosières et des prix de vertu chez nous.
Tous ceux qu'on peut prendre la main dans la
poche du voisin en train de ratisser un porte-
monnaie, tous ceux-là ne sont que des répu-
blicains.
C'est bien connu à la préfecture, ces his-
toires-là I
Mais Duvernois un impérialiste I... jamais.
C'était un mouchard!
Pauvre Clément!... Si tu avais pu te dou-
ter!...
Enfin, on n'est pas parfait, n'est-ce pas?
C'est égal, ça sera un drôle de procès... et
instructif, donc 1
*
* *
Un préfet qui trouverait tout de suite un
engagement au Palais-Hpyal, si on lui retirait
sa préfecture, c'est M. le préfet d'Eure-et-
Loir.
Pour un bon comique, voilà un bon co-
mique!
Mais, me direz-vous, qu'a donc pu faire cet
estimable fonctionnaire pour justifier une opi-
nion aussi fantaisiste?
Ce qu'il a fait?
Ah! chers lecteurs, je n'ose vous le dire
sans quelque précaution, pour ne pas vous
causer une émotion trop vive.
Maintenant que vous voilà prévenus, sachez
donc...
Y êtes-vous?
Une!... deux)...
Ma foi, tant pis!... trois!...
Sachez donc que M. le préfet d'Eure-et-Loir
vient de nommer maire de la commune de
Mériglise (canton d'iliers), le citoyen marquis
de Ligneris, lequel marquis est bien et dûment
pourvu d'un conseil judiciaire dans la per-
sonne de-M. Duplan, notaire à Paris.
Vous voyez que nous citons nos auteurs.
Mon Dieu, ce n'est pas qu'il soit déshonorant
d'avoir un conseil, quelque judiciaire qu'il
soit.
Au contraire.
Cela prouve d'abord qu'on possède un cer-
tain capital, ce qui est toujours respectable.
Et cela vous épargne ensuite bien des bê-
tises 1
Dame! nous ne saurions en vouloir aucune-
ment au nouveau maire de la commune de
Mériglise de ce petit accident, plus commun
qu'on ne croit dans la vie de ce monde.
Mais ce. qui nous a jetés dans une rêverie des
plus apocalyptiques, c'est de songer que cet
admirable préfet d'Eure-et-Loire a été juste
ment choisir pour faire les affaires de ses ad-
ministrés, un homme reconnu parfaitement
incapable de diriger les siennes.
Je ne sais même pat comment, avec la
meilleure volonté du monde, les choses pour-
raient s'arranger.
Car enfin, ledit M- de Ligneris ne peut rien
faire sans M. Duplan, notaire à Paris.
Ceci est incontestable.
Or, si vous nommez maire M. de Ligneris,
il faut absolument que M. Duplan le soit éga-
lement, ce qui le-gênera bien dans l'exercice
de ses fonctions et fera bien du tort à son
étude.
Impossible autrement de concilier les gran-
deurs de M. de Ligneris et l'article 4 de la loi
municipale du 14 avril 1871, lequel article est
ainsi conçu : « Sont déclarés inéligibles au con-
seil municipal d'une commune, les citoyens qui se
trouvent dans les cas d'incapacité et d'incompati-
bilité prévus par les lois en vigueur. »
Je ne vois qu'un moyen d'arranger les
choses.
Il est un peu violent, mais c'est le seul.
M. le préfet d-Eure-et-Loire serait immé-
diatement prié par le télégraphe de remettre
sa préfecture à un plus intelligent, en é-
change de quoi an pourrait lui offrir un joli
bureau de tabac dans un quartier bien fré-
quenté.
Çà serait peut-être un peu humiliant pour
son amour-propre, mais il n'y a pas de sot
métier... il n'y a que de sottes gens.
NICOLAS FLAMMÈCHE.
LES COMPÈRES
Il y a une chose qu'où ne remarque pas as-
sez :
C'est la façon dont les jolis petits coups se
combinent.
Tous les voleurs ne volent pas eux-mêmes :
Seulement, ils font voler;
Ils tiennent l'échelle, d'abord,
Ils pratiquent le recel, ensuite,
Et vivent comme les camarades.
Aussi les tribunaux, qui, ayant quelque ex-
périence, savent à quoi s'en tenir, envoient
d'ordiaaire dans les maisons centrales avec
les filous patentés et les pick-pockets émé-
rites, ceux qui leur ont indiqué les « clients »
à dévaliser, et les moyens de se débarrasser
du « chopin », comme disent, dans leur lan-
gue, ces agréables messieurs.
Dans la presse, il en est tout différemment.
Quand on arrête un bonapartiste pour vol
qualifié, — ce qui arrive de temps en temps,
Ou n'entend point de huées,
Point de cris,
Point de murmures;
A peine quelques réflexions.
Les journaux républicains eux-mêmes se
tiennent cois comme des soliveaux.
Mais tous ceux qui de près ou de loin ont
picoré sur le fumier du Deux Décembre, ou-
vrent un large bec,
Et cherchent à persuader les gens qu'ils
sont excessivement fiers de ce qui arrive,
Parce que les gens signalés au procureur
de la République ne sont pas autre chose que
des martyrs,
Des victimes,
Des agneaux;
Un peu plus, ils demanderaient qu'on les
couronnât de roses.
Il est probable cependant que le gouverne-
ment, qui a fait appel à la bonne volonté de
tous les partis, n'a pas l'intention de s'en
mettre aucun à dos d'une façon systématique.
Le gouvernement ne dit point :
« Monsieur,
« Vous êtes un bonapartiste,
« Donc, vous êtes un voleur. »
Non,
Ce n'est pas ainsi qu'on procède.
Il dit simplement, la plupart du temps, —
et avec un tonoontrit :
« C'est dommage,
« Vous me faisiez l'effet d'un très-galant
homme,
« Mais vous me paraissez un peu trop adroit
de vos mains pour qu'on puisse vous confie*
quoi que ce soit!
« Faites-moi donc le plaisir de venir au
poste,
« Où nous nous expliquerons. »
11 n'y a rien là-dedans de systématique,
Et je n'y vois, pour ma part, point de parti
pris.
Le gouvernement fait arrêter les gens, qui
décrochent les obligations à la Bourse,
Comme il fait arrêter les gens qui décrochent
les paires de bottines aux étalages.
Il n'y a donc point à lui faire le reproche
d'être partial.
S'il fait coffrerles bonapartistes,
C'est parce que c'est son devoir,
Et parce qu'il ne peut pas faire autrement.
Aussi est-il singulier au dernier point de
voir la touchante unanimité avec laquelle tous
les journaux ont confondu leurs pleurs sur la
touibe de M. Clément Duvernois.
C'élait un grand publicisle,
Un homme d'un talent énorme,
Une intelligence,
Un esprit,
Un ange 1
Quel dommage qu'il ait eu de la glu au bout
des doigts le jour du versement des fonds de
la banque territoriale d Espagne!
C'est l'erreur d'une grande âme!
Mais cette grande âme est-elle coupable?...
Et les langues de marcher I
Et les plumes de courir!
Non, Duvernois n'est pas coupable;
Il a été trompé/...
Si naïfs, les bonapartistes !
Pourquoi en vouloir à ces chérubins?
Ils sont plus purs que le jour qui vient de
naître !...
Et s'ils ne le sont pas tous,
C'e.-t dommage,
Car ils méritent de l'être !..
L'empereur l'était : les légitismes le pleu-
rent!..
Voilà ce que depuis huit jours nous rabâche
une certaine presse conservatrice!..
En vérité, c'est triste,
Et, après la série de faits que nous avons
tous vus, ça ne se comprend plus!
Si le public se laisse coudre dans le sac,
avec ces fils blancs,
Il faut qu'il soit de bonne composition 1..
Ah ! çà! voyons,
Est-ce que nous sommes destinés à revoir
les compérages qui déshonorèrent le journa-
lisme français sous les Thermidoriens et sous
le Directoire !
Est-ce que les gens de lettres se feront les
uns aux autres l'échelle de voleurs!
Est-ce qu'on organisera de nouveau la soli-
darité de l'escroquerie?,
Et, en fin de compte,
Est-ce qu'il va se fonder, en plein Paris,
une nouvelle espèce de jésuites de plume,
prenant pour enseigne et pour devise les pa-
roles que Voltaire appliquait à l'autre société :
« Association mutuelle des gueux — A. M.
D. G. »?..
Je ne suis pas curieux : mais je voudrais
bien voir ça!..
R.
I — 0 H- 'Il
LETTRES
DE
Quelques personnes de qualité
A UN HOMME DE RIEN
SUR LES HOMMES ET LES CHOSES DE CE TEMPS
III
Si je l'ai vul... Je crois bien!... Dès que
le facteur me l'eût apporté, je m'y suis mis et
ne l'ai point quitté !... On en avait tant parlé,
et dit tant de mal déjà, que je grillais de ju-
ger par moi-même!... Car je n'avais point ou-
blié que l'auteur fit jadis Madame Bovary et
Salammbô/... Ce sont là deux filles immor-
telles _qui, de même que ses deux victoires
pour Epaminondas, ne laisseront point périr
son nom!... Le dernier né, l'Éducation senti-
mentale, m'avait moins séduit, bien qu'il ne
fût pas sans grâce; — mais de là à une déca-
dence subite, il y avait loin, — et tous vos
critiques au petit pied, qui peinent à trois
sous la ligne dans les journaux bien pen-
sants, ne pouvaient parvenir à me persuader
que cette Tentation de saint Antoine n'était que
l'œuvre d'une mazette, — ou, disaient les plus
polisj l'erreur d'un galant homme de lettres.
Je me déliais de leurs dédains, et bien m'en
a pris, car, si vous voulez savoir ma pensée,
je vous dirai que j'estime cette Tentation à l'é-
gal du Faust, — et, qu'à part les bluettes qui
paillètent par endroits le drame de Goethe et
qui manquent malheureusement, etforcément,
dans le livre de Flaubert, j'aime mieux en-
core ce mystère, auquel il faudrait de la musi-
que de Palestrina, que la légende allemande
du poète du Divan occidental, auquel de la
musique d'un Gounod, mâtiné d'Offenbach,
suffirait amplement.
Maintenant, que vos jolis farceurs, chaegés
d'éclairer le goût public, et qui, pour me ser-
vir d'un mot de Sainte-Beuve, lisent du pouce
les œuvres les plus sérieuses , n'y aient rien
compris, — entre nous, cela ne m'étonnepas.
C'est le contraire qui m'eût surpris;— et l'on
conçoit trop bien que les mêmes hommes qui
voient se dérouler sans dire mot quatre cent-
onze représentations d'une machinette du
genre de la Fille de madame Angot, se récrient
en voyant le théâtre de toile de Polichinelle
s'élargir au point de contenir tout le chaos
des religions, où vagabonda l'âme humaine
depuis les commencements de sa conscience.
Le maillot de Blanche d'Antigny et la frette
de mademoiselle Cico tiennent trop de place
dans ces esprits pour qu'une idée grave y
germe, et il semble qu'ils en veuillent person-
nellement à Flaubert d'avoir traîné devant le
public le dieu Crepitus.
Mais, aussi, je vous demande un peu quelle
singulière idée a eue là l'auteur de Madame
Botaryf... Somment se fait-il qu'il se soit
amusé à lancer dans la circulation un livre
semblable, alors que VHomme à la fourchette
occupe infiniment plus les gazettes qu'un ro-
man d'Hugo, et que quinze jours ne suffisent
pas à décrire une grimace de mademoiselle
Croizette?... En vérité, c'est bien l'art qui
nous préoccupe, et nous nous moquons bien
de cela, nous autres!... Le centre droit con-
sent-il à une réunion siamoise avec le centre
gauche? M. Cazenove de Pradines nous fera-
t-il la grâce de reconnaître le Septennat?
M. Thiers écrira-t-il lui-même sa lettre aux
marchands de figues de Smyrne , ou la fera-
t-il écrire par Barthélemy-Saint-Hilaire ?...
Ah! voilà qui esi important et qui réclame
toule notre attention!... Mon Dieu !. . si ma-
demoiselle Dosne arrivait à baptiser sa rue du
nom odieux qu'elle perte!... Si M. Gambetta
parvenait à faire oublier son balcon et M. Le-
drn-Rollin son vasistas !... Où irions-nous ?...
Et, je vous le demande, la société ne penche-
rait-elle p»s sur sa base? Voilà comme nous
sommes, cependant !... Et lesplus frivoles des
Byzantins étaient des trappistes à côté de
nous !
Le livre d'abord, a surpris : grand tort, au-
près des gens qui croient tout savoir ou tout
deviner. La Tentation de saint AntoineI ce chef-
d'œuvre du théâtre des Marionnettes était si
connu, qu'on se le représentait d'avance; on
voyait, à ce seul titre, sortir de terre et s'en-
cadrer en perspective dans un cirque de ro-
chers et de sables,
Où saint Antoine vit surgir parmi les laves
Les seins nus et pourprés do ses tentations,
toute la pauvre cabane de l'ermite, avec ses
diablotins obligés, sa Proserpine à la gorge
insolente et aux paroles salaces, son cochon
avec une fusée enflammée à la queue, son dra-
gon vert-bouteille avec la gueule peinte en
rouge-antique, et toutes les chansons dont nos
oreilles enfantines reçurent la musique gro-
tesque, frénétique et saccadée : Tirons-le par
son cordon ! — Ah J tu sauteras, tu danseras !_
Rendez-moi mon cochon, s'il vous plaît! et tant
d'autres. On s'attendait au speclacle de la
foire, agrandi, distendu, et mis, par une sorte
de tour de force, sur le chevalet de l'ampli-
fication.
L'ouvrage paraît, et on est tout surpris- de
voir un poëme singulier, plus chargé d'orne-
ments et de broderies que les personnages de
Lucas de Leyde, plus fouillé et plus touffu
qu'une eau-forte du Piranèse, plus étincelant
qu'une pièce d'orfèvrerie italienne! Ce sont là
des tours que la critique ne pardonne pas aux
auteurs. Cent pages merveilleuses n'y peuvent
rien, et ne la ramènent pas. Elle est plus insen-
sible qu'Antoine lui-même aux mignardises
adorables de la reine de Saba, exprès descen-
due de son éléphant parfumé. Elle ne donne
pas un moment d'attention au papillon qui
vole près de la bouche de Vénus; elle passe,
sans daigner les admirer, devant Babylone et
Ninive, dont Flaubert a relevé pour elle les
architectures évanouies; elle ne consent pas
à se laisser surprendre par l'éclosion de la vie
et du mouvement, magiquement opérée scus
ses yeux; car la Critique, la Dame au nez
pointu! n'a jamais de plus grand bonheur que
lorsqu'elle croit avoir aperçu le moyen de
jeter bas une gloire jusqu'alors respectée !...
Elle ne se sent pas de joie alors, elle prend la
revanche de son impuissance, — et à son tour
Marsyas fait écorcher vif Apollon!
H y avait d'ailleurs d'autres raisons encore
pour que ce livre soulevât contre lui la cohue
des obscurs blasphémateurs. A le bien exa-
miner, en dehors de ses tendances littéraires,
ce « mystère » de la Tentation de saint Antoine
a une portée philosophique assez marquée
et très-suffisamment indiquée pour déplaire à
certaines gens, bien que l'auteur n'ait pas cru
devoir conclure :