LE (IRELOT
Confisquons, messieurs, confisquons
Je ne sais vraiment pas pourquoi l'hono-
rable garde des sceaux, qui doit être un
homme lettré et connaissant sa grammaire
française, s'obstine à appeler le projet qu'il a
l'intention de soumettre à l'Assemblée :
Projet de loi sur la presse.
11 est certain que dans plus;eurs cas, sur
veut dire à propos ou touchant.
Par exemple : Conférences sur VHistoire de
France.
Gela signifie qu'on va parler de ce qui s'est
passé dans ce beau pays auquel nous devons
M. de Lorgeril et le citoyen Baze.
Mais dans le sujet qui nous occupe, sur ma
paraît absolument détourné de sa véritable
signification.
Le véritable mot que M. le garde des sceaux
eût dû employer, c'est contre.
Projet de loi contre la presse.
Rien n'est plus facile à prouver.
Et je le prouve.
Désormais, en effet, si ce bienheureux pro-
jet était adopté dans tous les articles, le der-
.'nier des journalistes serait assimilé au pire
i des malfaiteurs.
Je ne dirai rien de l'article 1er qui interdit
toute discussion tendant à attaquer la forme
et 1 • principe du gouvernement républicain.
Il est bien certain que la République n'a
pîis le don de plaire à tout le monde.
Mais T'Empire non plus ne plaisait pas à
tout le monde, lorsqu'il est sorti de cette
magnifique épopée que l'on appelait le
Deux-Décembre.
Il n'en est pas moins vrai que force a été à
la France de supporter les conséquences de
cet audacieux tour de passe-passe, sans en
discuter la légitimité.
Les bonapartistes auraient donc mauvaise
grâce à se plaindre qu'on leur rendit la mon-
I naie de leur pièce :
Tu l'as voulu, ne t'en plains pas,
comme dit la chanson.
Mais à l'article premier succèdent un cer-
lain nombre d'articles qui ne me paraissent
! pas d'une équité parfaite.
Nous avons l'article 3, entre autres.
L'article 3 punit la publication des fausses
nouvelles. Bon.
Mais qu'est-ce que vous appelez une fausse
nouvelle ?
Où commence, où finit une f ausse nou-
velle ?
J2 sais une foule de fausses nouvelles qui se
trouvaient les plus vraies du monda, mais
que le gouvernement qualifiait de fausses,
parce qu'elles contrecarraient sa politique ou
ses projets.
Qui sera juge, en ce cas ?
Je sais bien que s'il arrivait jamais un jour
au Grelot d'avancer que le petit père Baze a un
lion caractère et qu'il est devenu la douceur
même, le délit de publication de fausses nou-
velles nous serait immédiatement et juste-
ment applicable.
Mais dans cent mille autres cas, la chose
serait fort difficile à prouver et laissée tout à
fait à l'appréciation île qui?... delà partie qui
a intérêt à trouver faux ce que vous êtes sûr
d'être vrai.
Donc, à revoir l'article 3.
Maintenant je passe à l'article 5.
L'article 5 traite de l'interdiction sur la voie
publique.
Nul journal ne pourra être interdit plus d'un
mois.
Ahl... je respirel
Et encore, cette condamnation no pourra
être prononcée que dans l'année qui suivra
une précédente condamnation pour cri vie
ou pour délit.
Sauvés, mon Dieul... Décidément, ce garde
des sceaux est un père pour les journalistes !
Oui, mais — attendez, il y a un mais!
Mais il est facile de comprendre que si le
ministère de l'intérieur a besoin, pour une
raison ou pour une autre, que ledit journal
disparaisse pendant un certain temps sur la
voie publique, il ne lui sera pas fort difficile
de lui trouver un petit délit quelconque qui
lui permettra immédiatement, sitôt ledit délit
conslaié, de...
Vous y êtes, n'est-ce pas?
Bien.
Maintenant, arrive la fameuse question de
l'état de siège.
L'état de siège est levé 1
Ah!ahl
Mais il est rétabli sous une autre forme.
Tiens, tiens!... c'est décidément un fort
habile homme que M. le garde des sceaux!
Voilà la chose.
Un article de cet amour de loi laisse au
gouvernement le droit d'interdire dans les
quatre départements de la Seine , de Seino-
ct-Oise, du Rhône et des Bouches-du-Rhône, I
les journaux qui... les journaux que... i
Parfait !
C'est-à-dire que la confiscation, supprimée
de nos Codes, est rétablie au profit des >our-
nalist.es.
Voilà qui est flatteur pour nousl
L'empire avait mis à la mode la célèbre
phrase : — Circulons, messieurs, circulons!
Qui avait eu, on se le rappelle, un assez
joli succès.
M. Dufaure , ministre républicain , y ap-
porte une modification des plus ingénieuses,
et s'écrie :
— Confisquons, messieurs, confisquons !
Nous espérons que la voix de M. Je garde
des sceaux, s; éloquente qu'elle puisse être,
ne sera pas entendue de la partie vraiment
libérale de l'Assemblée.
Serons-nous donc toujours des enfants et
marcherons-nous toujours avec des lisières?
Que diable ! qu'on nous laisse aller un peu
seuls 1
Quand nous nous serons faits deux ou trois
bosses au nez, l'apprentissage sera fini et
nous saurons éviter les faux pas.
Ou, alors, supprimez les journaux... carré-
ment. Ce sera plus simple.
NICOLAS FLAMMÈCHE.
M. GHEVILLARD
Au moment où se déroule, devant les tribu-
Taux, celte ridicule affaire des photographies
spirites, nous avons pensé faire plaisir à nos
lecteurs, en leur donnant en première page,
la charge de M. Chevillard.
Collaborateur estimé de plusieurs journaux
scientifiques, auteur d'un traité de géométrie
descriptive, et d'un autre traité de perspective
fort apprécié, professeur attaché depuis quinze
: l'Ecole nationale des Beaux-Arts, che-
valier de la Légion d'honneur en récompense
des services rendus par lui à nos jeunes artistes,
M. Chevillard aurait assurément pu se conten-
ter de cet honorable bagage ; mais, chercheur
infatigable, ces titres à la reconnaissance pu-
blique ne lui suffisaient pas, et il est de l'avis
de ceux qui ne croient avoir jamais assez fait
pour leurs semblables, lorsqu'ils n'ont pas
donné tous leurs soins et tout leur temps,
lorsqu'ils n'ont pas sacrifié toute leur force et
toute leur intelligence, pour le bien général.
Une occasion se présenta, il y a quelques
années, qui lui permit de satisfaire sa passion
de chercheur.
Le spiritisme, ce phylloxéra de l'intelli-
gence, venait de faire irruption en France.
Les docteurs en médecine et les savants
haussaient les épaules, déclarant absolument
stupide cette sorte de croyance.
Et pourtant,— fâcheuse parenthèse à ou-
vrir,—plusieurs d'entre eux, que nous pour-
rions nommer, devinrent adeptes de cette
nouvelle religion, mais, hâtons-nous de le
dire, ne l'osèrent avouer.
M. Chevillard, seul convaincu de la fausseté
du merveilleux, que le simple bon sens suffi-
sait à nier, résolut d'écraser lespiritism", cette
source d'imbécillité et de folie, non par un
scepticisme qui ne prouve rien, mais à l'aide
de preuves.
Ses consciencieuses recherches furent heu-
reusement couronnées de succès, et, grâce à
l'étude approfondie des causes physiolo-
giques des phénomènes, il parvint enfin
à démontrer, à prouver l'absence de tout sur-
naturel que l'ignorance seul pouvait f lire ad-
mettre. Des savants distingués d'Europe ont
applaudi à son ouvrage : Etudes expérimenta-
les du fluide nerveux ; solution du problème spi-
rite.
Ses conférences au boulevard des Capuci-
nes et les nombreux articles publiés sur son
ouvrage dans l'Événement, le Moniteur, le. Pays,
la Petite Presse, la Revue médicale (croyons-
nous), etc., n'ont assurément pas été sans in-
fluencer la justice à propos du sieur Duguel,
3ni allait jusqu'à vendre des photographies
'esprits, profession dont il expliquera bientôt,
si ce n'est fait déjà, toute la moralité devant
le tribunal.
Une caricature en paiement d'un tel ser-
vice rendu à la société, oe n'était vraiment î
pas trop. j
Finissons par une petite réclame en faveur ,
du collaborateur et ami du Grelot, Charles
Leroy, qui a été l'un des premiers à propa- '
ger la découverte de M. Chevillard, dans ses \
Lettres aux spirites, publiées dans le lïnta- j
marre, et aussi pour la guerre acharnée qu'il
fit à cet exploiteur qui dépouillait si gaillar-
dement les gens à l'aide de ses photographies
falsifiées. X. X,
US H5EEE 031 B'À PAS DS OflMOE
Vous l'avez deviné, hein!
C'est Janvier de la Motte !
Pauvre homme!
Voilà la cour des comptes qui veut que,
sous deux mois, il donne l'emploi de 100.104 f.
Éi7 c. qu'il s'est fait délivrer au moyen de
! mandats fictifs, et qui ont été dépensés, on
| ne sait trop à quoi, — ou plutôt si, on ne le
> sait que trop!
IPourquoi s'acharner sur ce malheureux!
Il a fait des virements, — il a employé une
. «comptabilité occulte», dit la cour des
comptes, — il a facilité, dit-elle encore, des
« perceptions irrégulièreg », — soit!
Mais est-il le seul?
Pourquoi s'en prendre à lui, en particulier,
et uniquement à lui!
Eh! parbleu! il n'en manque pas de ces
gaillards qui sous l'empiie ont fait des vire-
ments, de la comptabilité occulle et des per-
ceptions irrégullères,
lit cependant on les laisse parfaitement
tranquilles!
Ils mangent leurs rentes,
Prennent du ventre,
Distribuent des photographies du jeune
homme et des brochures d'Evariste Bavoux,
Pistonnent les gardes champêtres
lit n'ont pas peur des gendarmes 1
Pourquoi donc ne leur dit-on pas également
deux mots!
C'est odieux de tout faire retomber sur ce
pauvre Janvierl
S'il avait opéré sur des millions au lieu d'o-
pérer sur quelques milliers de francs, M. de
llroglie lui demanderait peut-être son appui
clans le département de l'Eure, et on ne trou-
blerait pas plus sa digestion qu'on ne trouble
celle de M. Haussmann,
Allons !
Qu'on lui pardonne!
Une autre fois il ne se trompera plus !
ZED,
PICK-POCKET CLUB
dialogue des morts.
Imité de Lucien (pas Bonaparte,— f autre).
La scène se passe aux Champs-Élysées, mais
pas dans le coin de Socrate.— L'endroit où a
lieu la conversation qui suit est planté d'ar-
bres, il est vrai, comme l'autre, mais derrière
chaque arbre est posté un, assassin, et, comme
h Siyx coule en contre-bas de la promenade,
on y jette les passants attardés. — Un certain
nombre d'hommes à figure sinistre s'entretien-
nent avec animation : Barabbas, Cartouche,
Lacenaire, Mandrin et quelques autres illus-
trations judiciaires ont, en effet, formé de-
puis peu de temps une « société d'agrément, »
comme on dit à Bruxelles, afin de charmer les
loisirs dont ils jouissent dam l'autre monde.
■— Tandis qu'ils causent, un individu, qui
semble avoir un faux-nez, rôde autour d'eue
et se rapproche insensiblement de leur groupe.
— On ne fait pas d'abord attention à lui, et il
commence à prêter à la conversation une oreille
attentive.
jean hirow. — J'ai été fauché, c'est vrai,
— mais c'est égal, c'est un petit métier bien
agréable !... Quelles noces, mes enfants,
quelles ripailles!... Et avec ça, pas trop fati-
gant!... Quand on avait estourbi un panthe as-
sez douillard, ou pouvait se reposer pendant
des semaines entières!... J'en ai-t-y grinchide
cette braise, bon Dieu! j'en ai-t-y grimhi!
l'inoonnu qui semble avoir un faux nez.— La
belle affaire!
mandrin. — Moi, je peux dire que je me suis
bien gobergé pendant ma vie... Les coups
que j'ai faits, c'est épatant! Je suis sûr que
j'ai bien volé pour cinq cent mille livres,—
et si on n'était pas venu me saisir sur un ter-
riteire étranger (car ces gouvernements ne
respectent rien!), je suis certain que je serais
arrivé un jour au million...
l'inconnu. — Quelle misère!
lacenaire. — Oui, Mandrin, mais vous vous
exposiez trop... vous aviez trop de monde
avec vous... Quand on veut n'être point pris,
il fuut opérer tout seul... Voyez, moi, j'ai
commis je ne sais combien d'assassinats sans
qu'on ait jamais eu le moindre soupçon sur
moi, — et je n'ai été arrêté que teut à fait par
hasard,.. Aussi, j'en ai fait de ces affaires,
Dieu merci ! et je n'ai jamais été malheu-
reux!.,. Je me suis joliment amusé, car, de
mon temps, le métier était bien meilleur en-
core que du vôtre !
l'inconnu. — Pauvre ami !
iean hiroux, bas à. Mandrin. —> Dis dont',
eh! Mandrin, qu'est-ce que c'est dono que ce
particulier-là? — il me fait l'effet d'une mou-
che...
maiiDrin. — Il a, ma foi, l'air d'un cogne I...
Il leur ressemble comme deux gouttes d'eau !
jean hiboux. — Faut 1' surveiller!
cartouche. — Oh! tout ce que vous avez
fait, je l'ai fait aussi, — et de l'argent, j'en ai
gagné autant que vous tous ensemble !... Car,
moi, je ne m'amusais pas à fa're des vols de
mouchoir8ije ne m'adressais que là où il y
avait au moins dix ou quinze mille écus!...
Aussi, on vivait!... — et les rôtisseurs n'a-
vaient pas assez de poulets pour ma bande et
pour moi 1
l'inconnu, avec dédain. — C'est à en hausser
les épaules!
un c.rjAOFFEUR. — Moi, je puis dire que j'ai
fait une fois un joli coup... Un beau jour,
j'appris que le propriétaire d'un château voi-
sin de ma ferme venait de recevoir le prix
d'une de ses propriétés qu'il avait vendue
deux cent mille francs... La nuit suivante,
je m'introduisis avec mes hommes chez ce
vieil avare, qui vivait avec un seul domesti-
que aussi âgé que lui... Nous les liâmes tous
les deux sur des chaises, mais , là , solide-
ment, et nous commençâmes à leur chauffer
les pieds !... Le maître se laissait griller dur
et ferme, — mais le domestique, qui n'avait
pas comme l'autre à défendre son argent,
n'avait pas senti les premières ampoules qu'il
chantait comme le curé à vêpres!... «Nous
ne savons rien, hurlait toujours le maître,
nous ne savons pas ce que vous voulez dire ! »
Mais l'autre : « Détachez-moi, s'écra-t-il, l'ar-
gent est dans le fond du tonneau qui est au
bas de l'escalier de la cave ! »
l'inconnu. — Enfantillages !
un caissier. — Sans doute, sans doute, vous
avez tous vos mérites, mais moi j'ai été plus
malin que vous!... Moi, sans risquer ni mal,
ni douleur , ni potence , ni guillotine , mais
seulement quelques petites années de prison,
je partis un beau jour pour l'Amérique avec
quinze cent mille francs!... Est-ce une affaire,
cela, oui ou non?...
l'inconnu.—Tout ça, c'est ce qu'on ap-
pelle des fariboles !
jean hiroux.— Eh ! Mandrin, dis donc, le
piges-tu!... Il a l'air de se moquer de tout le
monde et de trouver que tout ce que nous
avons fait, c'est de la saint Jean !... Je crois
que c'est un agent provocateur!
mandrin. — Je le crois aussi.
jean hiroux. — Du reste, tu vois bien, il a
un faux nez!
mandrin.— C'est, nom d'un chien, vrai,—
il a un faux nez !
jean hiroux. —Faut voir qui c'est!
mandrin. — Attends, lu vas examiner ce
coup de temps!
(Il s'approche de l'inconnu et lui met la main
sur l'épaule.)
| mandrin. — Dites donc , camarade , vous
( avez l'air de trailer tout ce que nous racon-
tons d'histoires à dormir debout... et de pré-
! tendre que vous en feriez bien autant!...
j l'inconnu.—Certainement... car j'en ai bien
; fait plus!
cartouche. — Vous !
l'inconnu. — Moi !
cartouche.—Allons donc, farceur !
l'inconnu. —En effet, j'ai fait mes farces!
cartouche.—Mais, enfin, cittz-nous un d •
vos exploits, — car enfin njus ne vous con-
naissons pas.
l'inconnu, — Volontiers... Y a-l-il un de
vous qui ait jamais volé soixante millions
d'un seul coup?
tous, avec des signes d'êtonnement, — Non...
jamais... moi pas... je l'avoue!...
cartouche. — Mais qui donc a été à môme
de commettre un vol aussi important !
l'inconnu. —Moi!... Et plus d'une fois en-
core !
jean hiroux. —Y blague!
l'inconnu. — Pas du tout!... Je régnais sur'
' ungr.md peuple; chaque année, je me fai-
; sais donner de l'argent pour entretenir un
nombre déterminé de soldais; j'en renvoyais
chaque année cent mille chez eux en congé,
ce qui me procurait un petit bénéfice de
soixante millions, que je faisais passer des
caisses de mon peuple dans les miennes!,..
cartouche. — Oui, mais vous avez été écar-
telé!
l'inconnu.—Non!
mandrin. — Roué vif, alors!
l'inconnu. — Non!
jean hiroux. —Guillotiné, hein?... Allons,
voyons, avouez-!e !... 11 n'y a pas de honte à
ça!.., Je l'ai bien été, moi!
l'inconnu. — Non,—je suis mort tranquil-
lement dans mon lit.
lacenaire. — Eh bien ! messieurs, nous n'a-
vons qu'à nous incliner: il est notre maîlre à
tous!
BRIDAINE.
!
Confisquons, messieurs, confisquons
Je ne sais vraiment pas pourquoi l'hono-
rable garde des sceaux, qui doit être un
homme lettré et connaissant sa grammaire
française, s'obstine à appeler le projet qu'il a
l'intention de soumettre à l'Assemblée :
Projet de loi sur la presse.
11 est certain que dans plus;eurs cas, sur
veut dire à propos ou touchant.
Par exemple : Conférences sur VHistoire de
France.
Gela signifie qu'on va parler de ce qui s'est
passé dans ce beau pays auquel nous devons
M. de Lorgeril et le citoyen Baze.
Mais dans le sujet qui nous occupe, sur ma
paraît absolument détourné de sa véritable
signification.
Le véritable mot que M. le garde des sceaux
eût dû employer, c'est contre.
Projet de loi contre la presse.
Rien n'est plus facile à prouver.
Et je le prouve.
Désormais, en effet, si ce bienheureux pro-
jet était adopté dans tous les articles, le der-
.'nier des journalistes serait assimilé au pire
i des malfaiteurs.
Je ne dirai rien de l'article 1er qui interdit
toute discussion tendant à attaquer la forme
et 1 • principe du gouvernement républicain.
Il est bien certain que la République n'a
pîis le don de plaire à tout le monde.
Mais T'Empire non plus ne plaisait pas à
tout le monde, lorsqu'il est sorti de cette
magnifique épopée que l'on appelait le
Deux-Décembre.
Il n'en est pas moins vrai que force a été à
la France de supporter les conséquences de
cet audacieux tour de passe-passe, sans en
discuter la légitimité.
Les bonapartistes auraient donc mauvaise
grâce à se plaindre qu'on leur rendit la mon-
I naie de leur pièce :
Tu l'as voulu, ne t'en plains pas,
comme dit la chanson.
Mais à l'article premier succèdent un cer-
lain nombre d'articles qui ne me paraissent
! pas d'une équité parfaite.
Nous avons l'article 3, entre autres.
L'article 3 punit la publication des fausses
nouvelles. Bon.
Mais qu'est-ce que vous appelez une fausse
nouvelle ?
Où commence, où finit une f ausse nou-
velle ?
J2 sais une foule de fausses nouvelles qui se
trouvaient les plus vraies du monda, mais
que le gouvernement qualifiait de fausses,
parce qu'elles contrecarraient sa politique ou
ses projets.
Qui sera juge, en ce cas ?
Je sais bien que s'il arrivait jamais un jour
au Grelot d'avancer que le petit père Baze a un
lion caractère et qu'il est devenu la douceur
même, le délit de publication de fausses nou-
velles nous serait immédiatement et juste-
ment applicable.
Mais dans cent mille autres cas, la chose
serait fort difficile à prouver et laissée tout à
fait à l'appréciation île qui?... delà partie qui
a intérêt à trouver faux ce que vous êtes sûr
d'être vrai.
Donc, à revoir l'article 3.
Maintenant je passe à l'article 5.
L'article 5 traite de l'interdiction sur la voie
publique.
Nul journal ne pourra être interdit plus d'un
mois.
Ahl... je respirel
Et encore, cette condamnation no pourra
être prononcée que dans l'année qui suivra
une précédente condamnation pour cri vie
ou pour délit.
Sauvés, mon Dieul... Décidément, ce garde
des sceaux est un père pour les journalistes !
Oui, mais — attendez, il y a un mais!
Mais il est facile de comprendre que si le
ministère de l'intérieur a besoin, pour une
raison ou pour une autre, que ledit journal
disparaisse pendant un certain temps sur la
voie publique, il ne lui sera pas fort difficile
de lui trouver un petit délit quelconque qui
lui permettra immédiatement, sitôt ledit délit
conslaié, de...
Vous y êtes, n'est-ce pas?
Bien.
Maintenant, arrive la fameuse question de
l'état de siège.
L'état de siège est levé 1
Ah!ahl
Mais il est rétabli sous une autre forme.
Tiens, tiens!... c'est décidément un fort
habile homme que M. le garde des sceaux!
Voilà la chose.
Un article de cet amour de loi laisse au
gouvernement le droit d'interdire dans les
quatre départements de la Seine , de Seino-
ct-Oise, du Rhône et des Bouches-du-Rhône, I
les journaux qui... les journaux que... i
Parfait !
C'est-à-dire que la confiscation, supprimée
de nos Codes, est rétablie au profit des >our-
nalist.es.
Voilà qui est flatteur pour nousl
L'empire avait mis à la mode la célèbre
phrase : — Circulons, messieurs, circulons!
Qui avait eu, on se le rappelle, un assez
joli succès.
M. Dufaure , ministre républicain , y ap-
porte une modification des plus ingénieuses,
et s'écrie :
— Confisquons, messieurs, confisquons !
Nous espérons que la voix de M. Je garde
des sceaux, s; éloquente qu'elle puisse être,
ne sera pas entendue de la partie vraiment
libérale de l'Assemblée.
Serons-nous donc toujours des enfants et
marcherons-nous toujours avec des lisières?
Que diable ! qu'on nous laisse aller un peu
seuls 1
Quand nous nous serons faits deux ou trois
bosses au nez, l'apprentissage sera fini et
nous saurons éviter les faux pas.
Ou, alors, supprimez les journaux... carré-
ment. Ce sera plus simple.
NICOLAS FLAMMÈCHE.
M. GHEVILLARD
Au moment où se déroule, devant les tribu-
Taux, celte ridicule affaire des photographies
spirites, nous avons pensé faire plaisir à nos
lecteurs, en leur donnant en première page,
la charge de M. Chevillard.
Collaborateur estimé de plusieurs journaux
scientifiques, auteur d'un traité de géométrie
descriptive, et d'un autre traité de perspective
fort apprécié, professeur attaché depuis quinze
: l'Ecole nationale des Beaux-Arts, che-
valier de la Légion d'honneur en récompense
des services rendus par lui à nos jeunes artistes,
M. Chevillard aurait assurément pu se conten-
ter de cet honorable bagage ; mais, chercheur
infatigable, ces titres à la reconnaissance pu-
blique ne lui suffisaient pas, et il est de l'avis
de ceux qui ne croient avoir jamais assez fait
pour leurs semblables, lorsqu'ils n'ont pas
donné tous leurs soins et tout leur temps,
lorsqu'ils n'ont pas sacrifié toute leur force et
toute leur intelligence, pour le bien général.
Une occasion se présenta, il y a quelques
années, qui lui permit de satisfaire sa passion
de chercheur.
Le spiritisme, ce phylloxéra de l'intelli-
gence, venait de faire irruption en France.
Les docteurs en médecine et les savants
haussaient les épaules, déclarant absolument
stupide cette sorte de croyance.
Et pourtant,— fâcheuse parenthèse à ou-
vrir,—plusieurs d'entre eux, que nous pour-
rions nommer, devinrent adeptes de cette
nouvelle religion, mais, hâtons-nous de le
dire, ne l'osèrent avouer.
M. Chevillard, seul convaincu de la fausseté
du merveilleux, que le simple bon sens suffi-
sait à nier, résolut d'écraser lespiritism", cette
source d'imbécillité et de folie, non par un
scepticisme qui ne prouve rien, mais à l'aide
de preuves.
Ses consciencieuses recherches furent heu-
reusement couronnées de succès, et, grâce à
l'étude approfondie des causes physiolo-
giques des phénomènes, il parvint enfin
à démontrer, à prouver l'absence de tout sur-
naturel que l'ignorance seul pouvait f lire ad-
mettre. Des savants distingués d'Europe ont
applaudi à son ouvrage : Etudes expérimenta-
les du fluide nerveux ; solution du problème spi-
rite.
Ses conférences au boulevard des Capuci-
nes et les nombreux articles publiés sur son
ouvrage dans l'Événement, le Moniteur, le. Pays,
la Petite Presse, la Revue médicale (croyons-
nous), etc., n'ont assurément pas été sans in-
fluencer la justice à propos du sieur Duguel,
3ni allait jusqu'à vendre des photographies
'esprits, profession dont il expliquera bientôt,
si ce n'est fait déjà, toute la moralité devant
le tribunal.
Une caricature en paiement d'un tel ser-
vice rendu à la société, oe n'était vraiment î
pas trop. j
Finissons par une petite réclame en faveur ,
du collaborateur et ami du Grelot, Charles
Leroy, qui a été l'un des premiers à propa- '
ger la découverte de M. Chevillard, dans ses \
Lettres aux spirites, publiées dans le lïnta- j
marre, et aussi pour la guerre acharnée qu'il
fit à cet exploiteur qui dépouillait si gaillar-
dement les gens à l'aide de ses photographies
falsifiées. X. X,
US H5EEE 031 B'À PAS DS OflMOE
Vous l'avez deviné, hein!
C'est Janvier de la Motte !
Pauvre homme!
Voilà la cour des comptes qui veut que,
sous deux mois, il donne l'emploi de 100.104 f.
Éi7 c. qu'il s'est fait délivrer au moyen de
! mandats fictifs, et qui ont été dépensés, on
| ne sait trop à quoi, — ou plutôt si, on ne le
> sait que trop!
IPourquoi s'acharner sur ce malheureux!
Il a fait des virements, — il a employé une
. «comptabilité occulte», dit la cour des
comptes, — il a facilité, dit-elle encore, des
« perceptions irrégulièreg », — soit!
Mais est-il le seul?
Pourquoi s'en prendre à lui, en particulier,
et uniquement à lui!
Eh! parbleu! il n'en manque pas de ces
gaillards qui sous l'empiie ont fait des vire-
ments, de la comptabilité occulle et des per-
ceptions irrégullères,
lit cependant on les laisse parfaitement
tranquilles!
Ils mangent leurs rentes,
Prennent du ventre,
Distribuent des photographies du jeune
homme et des brochures d'Evariste Bavoux,
Pistonnent les gardes champêtres
lit n'ont pas peur des gendarmes 1
Pourquoi donc ne leur dit-on pas également
deux mots!
C'est odieux de tout faire retomber sur ce
pauvre Janvierl
S'il avait opéré sur des millions au lieu d'o-
pérer sur quelques milliers de francs, M. de
llroglie lui demanderait peut-être son appui
clans le département de l'Eure, et on ne trou-
blerait pas plus sa digestion qu'on ne trouble
celle de M. Haussmann,
Allons !
Qu'on lui pardonne!
Une autre fois il ne se trompera plus !
ZED,
PICK-POCKET CLUB
dialogue des morts.
Imité de Lucien (pas Bonaparte,— f autre).
La scène se passe aux Champs-Élysées, mais
pas dans le coin de Socrate.— L'endroit où a
lieu la conversation qui suit est planté d'ar-
bres, il est vrai, comme l'autre, mais derrière
chaque arbre est posté un, assassin, et, comme
h Siyx coule en contre-bas de la promenade,
on y jette les passants attardés. — Un certain
nombre d'hommes à figure sinistre s'entretien-
nent avec animation : Barabbas, Cartouche,
Lacenaire, Mandrin et quelques autres illus-
trations judiciaires ont, en effet, formé de-
puis peu de temps une « société d'agrément, »
comme on dit à Bruxelles, afin de charmer les
loisirs dont ils jouissent dam l'autre monde.
■— Tandis qu'ils causent, un individu, qui
semble avoir un faux-nez, rôde autour d'eue
et se rapproche insensiblement de leur groupe.
— On ne fait pas d'abord attention à lui, et il
commence à prêter à la conversation une oreille
attentive.
jean hirow. — J'ai été fauché, c'est vrai,
— mais c'est égal, c'est un petit métier bien
agréable !... Quelles noces, mes enfants,
quelles ripailles!... Et avec ça, pas trop fati-
gant!... Quand on avait estourbi un panthe as-
sez douillard, ou pouvait se reposer pendant
des semaines entières!... J'en ai-t-y grinchide
cette braise, bon Dieu! j'en ai-t-y grimhi!
l'inoonnu qui semble avoir un faux nez.— La
belle affaire!
mandrin. — Moi, je peux dire que je me suis
bien gobergé pendant ma vie... Les coups
que j'ai faits, c'est épatant! Je suis sûr que
j'ai bien volé pour cinq cent mille livres,—
et si on n'était pas venu me saisir sur un ter-
riteire étranger (car ces gouvernements ne
respectent rien!), je suis certain que je serais
arrivé un jour au million...
l'inconnu. — Quelle misère!
lacenaire. — Oui, Mandrin, mais vous vous
exposiez trop... vous aviez trop de monde
avec vous... Quand on veut n'être point pris,
il fuut opérer tout seul... Voyez, moi, j'ai
commis je ne sais combien d'assassinats sans
qu'on ait jamais eu le moindre soupçon sur
moi, — et je n'ai été arrêté que teut à fait par
hasard,.. Aussi, j'en ai fait de ces affaires,
Dieu merci ! et je n'ai jamais été malheu-
reux!.,. Je me suis joliment amusé, car, de
mon temps, le métier était bien meilleur en-
core que du vôtre !
l'inconnu. — Pauvre ami !
iean hiroux, bas à. Mandrin. —> Dis dont',
eh! Mandrin, qu'est-ce que c'est dono que ce
particulier-là? — il me fait l'effet d'une mou-
che...
maiiDrin. — Il a, ma foi, l'air d'un cogne I...
Il leur ressemble comme deux gouttes d'eau !
jean hiboux. — Faut 1' surveiller!
cartouche. — Oh! tout ce que vous avez
fait, je l'ai fait aussi, — et de l'argent, j'en ai
gagné autant que vous tous ensemble !... Car,
moi, je ne m'amusais pas à fa're des vols de
mouchoir8ije ne m'adressais que là où il y
avait au moins dix ou quinze mille écus!...
Aussi, on vivait!... — et les rôtisseurs n'a-
vaient pas assez de poulets pour ma bande et
pour moi 1
l'inconnu, avec dédain. — C'est à en hausser
les épaules!
un c.rjAOFFEUR. — Moi, je puis dire que j'ai
fait une fois un joli coup... Un beau jour,
j'appris que le propriétaire d'un château voi-
sin de ma ferme venait de recevoir le prix
d'une de ses propriétés qu'il avait vendue
deux cent mille francs... La nuit suivante,
je m'introduisis avec mes hommes chez ce
vieil avare, qui vivait avec un seul domesti-
que aussi âgé que lui... Nous les liâmes tous
les deux sur des chaises, mais , là , solide-
ment, et nous commençâmes à leur chauffer
les pieds !... Le maître se laissait griller dur
et ferme, — mais le domestique, qui n'avait
pas comme l'autre à défendre son argent,
n'avait pas senti les premières ampoules qu'il
chantait comme le curé à vêpres!... «Nous
ne savons rien, hurlait toujours le maître,
nous ne savons pas ce que vous voulez dire ! »
Mais l'autre : « Détachez-moi, s'écra-t-il, l'ar-
gent est dans le fond du tonneau qui est au
bas de l'escalier de la cave ! »
l'inconnu. — Enfantillages !
un caissier. — Sans doute, sans doute, vous
avez tous vos mérites, mais moi j'ai été plus
malin que vous!... Moi, sans risquer ni mal,
ni douleur , ni potence , ni guillotine , mais
seulement quelques petites années de prison,
je partis un beau jour pour l'Amérique avec
quinze cent mille francs!... Est-ce une affaire,
cela, oui ou non?...
l'inconnu.—Tout ça, c'est ce qu'on ap-
pelle des fariboles !
jean hiroux.— Eh ! Mandrin, dis donc, le
piges-tu!... Il a l'air de se moquer de tout le
monde et de trouver que tout ce que nous
avons fait, c'est de la saint Jean !... Je crois
que c'est un agent provocateur!
mandrin. — Je le crois aussi.
jean hiroux. — Du reste, tu vois bien, il a
un faux nez!
mandrin.— C'est, nom d'un chien, vrai,—
il a un faux nez !
jean hiroux. —Faut voir qui c'est!
mandrin. — Attends, lu vas examiner ce
coup de temps!
(Il s'approche de l'inconnu et lui met la main
sur l'épaule.)
| mandrin. — Dites donc , camarade , vous
( avez l'air de trailer tout ce que nous racon-
tons d'histoires à dormir debout... et de pré-
! tendre que vous en feriez bien autant!...
j l'inconnu.—Certainement... car j'en ai bien
; fait plus!
cartouche. — Vous !
l'inconnu. — Moi !
cartouche.—Allons donc, farceur !
l'inconnu. —En effet, j'ai fait mes farces!
cartouche.—Mais, enfin, cittz-nous un d •
vos exploits, — car enfin njus ne vous con-
naissons pas.
l'inconnu, — Volontiers... Y a-l-il un de
vous qui ait jamais volé soixante millions
d'un seul coup?
tous, avec des signes d'êtonnement, — Non...
jamais... moi pas... je l'avoue!...
cartouche. — Mais qui donc a été à môme
de commettre un vol aussi important !
l'inconnu. —Moi!... Et plus d'une fois en-
core !
jean hiroux. —Y blague!
l'inconnu. — Pas du tout!... Je régnais sur'
' ungr.md peuple; chaque année, je me fai-
; sais donner de l'argent pour entretenir un
nombre déterminé de soldais; j'en renvoyais
chaque année cent mille chez eux en congé,
ce qui me procurait un petit bénéfice de
soixante millions, que je faisais passer des
caisses de mon peuple dans les miennes!,..
cartouche. — Oui, mais vous avez été écar-
telé!
l'inconnu.—Non!
mandrin. — Roué vif, alors!
l'inconnu. — Non!
jean hiroux. —Guillotiné, hein?... Allons,
voyons, avouez-!e !... 11 n'y a pas de honte à
ça!.., Je l'ai bien été, moi!
l'inconnu. — Non,—je suis mort tranquil-
lement dans mon lit.
lacenaire. — Eh bien ! messieurs, nous n'a-
vons qu'à nous incliner: il est notre maîlre à
tous!
BRIDAINE.
!