AVIS A NOS LECTEURS
L'Administration du Grelot a l'bonneur de
prévenir ses lecteurs qu'elle se charge d'en-
voyer à tous ceux qui en feront la demande :
Tous les ouvrages de librairie, publications
périodiques, musique, et, en général, tous les
articles se rattachant à la librairie, la papete-
rie e»t l'imprimerie.
LA SEMAINE
le cas de m. la revalescière du barry
Caporal au 220' d'infanterie de marine et député.
La petite fête se passe à Étrépagny-les-Cas-
tagnettes.
Un banquet a lieu en l'honneur... de n'im-
porte quoi.
L'illustre Godiveau a réuni le plus grand
nombre possible de partisans de ce régime
délicieux auquel nous devons le 2 Décembre
et la journée de Sedan.
Deux dates à jamais mémorables !
L'assemblée n'est pas nombreuse, bâtons-
nous de le dire.
Parmi les convives se cache un électeur
grincheux qui est venu là pour se rendre bien
compte de l'audace de certains particuliers.
On boit... vigoureusement, on mange assez
mal, et entre le poulet et la salade, on casse le
plus de sucre qu'on peut sur le dos de cette
infortunée République.
L'électeur grincheux... et républicain rage
tant qu'il peut, mais se maintient encore.
Il est probable, cependant, que ça ne va
pas durer longtemps et que Ja patience va
finir par lui échapper.
Au moment où l'on passe le café, le jeune
Godiveau, président, se lève et demande la
parole.
Comme il est président, après se l'être de-
mandée, il se la donne.
Ce qui n'a rien de surprenant.
Le silence s'établit et l'on entend que le
bruit de quelques noisettes que casse l'élec-
teur grincheux pour se donner une conte-
nance et déguiser sa mauvaise humeur.
« Messieurs et chers concitoyens, s'écrie le
jeune Godiveau, ce n'est pas pour vous entre-
tenir de mes propres élucubrations que je me
suis demandé et donné la parole, croyez-le
bien.
Il s'agit de vous faire prendre connaissance
d'une lettre que m'a bien voulu adresser l'il-
lustre caporal La Revalescière Du Barry, em-
pêché pour le moment de se trouver au milieu
de ses amis politiques. (Mouvement d'atten
tion.)
Cette lettre, précieuse à tant de titres, la
voilà !
(Il tire l'épître de m poche.)
Dites donc, vous, là-bas!... quand vous au-
rez fini de casser vos noisettes?... ça fait un
bruit!...
Je commence...
« Mon cher Godiveau,
« Nommé caporal par la République dont
je touche l'argent et député par le pays dont
je palpe également la monnaie, vous ne m'a-
ves pas fait cette injure, je suppose, de croire
un instant que j'allais rester fidèle au serment
fait à un gouvernement que j'ai dans le dos
aussi bas que possible. (Bravo/—Très-bien!)
l'électeur grincheux.
Pardon... un mot... est-ce comme caporal
ou comme député que le susdit Du Barry
parle?...
voix nombreuses.
Qu'est-ce que cela vous fait, pourvu qu'il
débine la République ?
l'électeur grincheux.
Evidemment... mais...
les mêmes voix.
La République !... ce gouvernement ridi-
cule... et malhonnête...
l'électeur grincheux.
Qu'il sert cependant... au prcfitde son avan-
cement.
chœur général.
A la porte !... à la porte !...
l'électeur grincheux.
Bien... bien... je me tais... jusqu'à nouvel
ordre.
GODIVEAU.
Je reprends. « Non, mon cher Godiveau,
j'ai accepté du chef de ce gouvernement une
nomination de caporal, il est vrai, mais pour
mettre l'influence que me vaudrait ce grade
considérable au service des petites affaires de
notre parti... »
tous.
Quel homme!... quel cœur 1... quelle rie
nature!...
GODIVEAU."
« De notre parti. C'est-à-dire de ''Empire,
de ce gouvernement paternel auquel nous de-
vons dix-huit ans de prospérité. . »
l'Électeur ' grincheux.
Et dix milliards de dettes !
tous.
A la porte! à Ja porte! • ,
GODIVEAU.
« Et qui donc pourrait trouver ma franchise
mauvaise et la condamner? Nesuis-iepas dé-
puté? N'ai-je pas le droit de parler 1 »
l'électeur grincheux.
Comme député, oui... mais comme caporal!
GODIVEAU.
Ah! ça, voyons, quand vous voudrez nous
lâcher, vous?... Je continue : « Oui, mon cher
Godiveau, je veux vous dévoiler toute ma pen-
sée •
La République m'embête.
C'est ce que je me permettrai d'appeler un
gouvernement de pouilleux.
Je n'y crois pas, je n'en veux pas,
C'est, il est vrai, le gouvernement léqal.
Mais qu'est-ce que nous fait la légalité, je
vous le demande un peu, à nous autres bona-
partistes ?
La légalité! je m'asseois dessus, comme di-
sait un poète de l'Empire dont je regrette bien
d'avoir oublié le nom.
Donc, soyez persuadé, mon cher Godiveau,
que je ferai tous mes efforts près des soldats
de mon escouade pour les amener à partager
les généreux sentiments
Avec lesquels j'ai l'honneur d'être,
Votre affectionné,
La Revalescière du Barry.
(Tonnerre d'applaudissements. Tout le monde
s'embrasse. )
^'électeur grincheux, montant sur une chaise.
Eh bien, voulez-vous que je vous dise une
chose, moi?... Si votre caporal-député n'est
pas dégommé, c'est qu'il n'y a pas de jus-
tice !...
(Cris et hurlements. )
plusieurs voix.
Il est député !... Il a le droit de parler !
l'électeur grincheux.
Il est caporal 1... il a le devoir de se taire!...
godiveau.
Refaites la loi !...
l'électeur grincheux.
Il le faudra bien, puisqu'elle est stupide!...
Chacun son métier, les vaches seront bien
gardées !... Un soldat est à sa place dans la
caserne, comme un marin sur son tillac !...
Ils désirent y i ester... Il y a assez de bavards
sans eux... En toHt cas, quand un homme
n'aime pas le gouvernement qu'il sert, il n'a
qu'une chose à faire, donner sa démission...
et planter des choux.
tous.
A la porte !... à la porte !...
l'électer grincheux.
Cette fois-ci, j'y vais , mes agneaux. D'au-
tant que j'ai dit ce que j'avais sur le cœur.
Bien le vôtre.
NICOLAS FLAMMÈCHE.
FEUILLES AU VENT
Voici Prourihon qu reparaît encore une
fois sur l'eau, — et cette fois avec un vo
lume sur les femmes :
La Pornographie, — c'est-à-dire, au fond,
la Prostitution, — ou, mieux encore, Descrip
tion de la prostitution.
Rétif de la Bretonne avait, lui aussi, au siè-
cle dernier, écrit un volume sous un titre
quasi identique.
Cela s'appelait le Pornographe.
Seulement, la différence des ouvrages est
sensible.
Le livre de Rétif est une sorte de roman:
Celui de Proudhon, une espèce de mani-
feste social, —et, peut-on dire, moral, —à
propos du rôle de la femme dans ces temps
modernes.
Oui, il ne faut pas s'y tromper;
Les exécuteurs testamentaires de Proudhon
s'y sont si bien pris, — oni si bien arrangé
les manuscrits posthumes de Proudhon,—
l'ont si proprement lavé, savonné, passé au
chlore et à la chaux, que nous voici aujour-
d'hui possesseurs d'un joli petit Proudhon
d'appartement, bien propre, bien gentil, et
dans lequel on ne reconnaîtrait plus guère
celui qui disait :
« La propriété, c'est le vol, — et Dieu
c'est le mail »
Pauvre Proudhon!
Il avait bien raison de dire un jour, dans
l'indépendance de son esprit qui ne subit ja-
mais d'entraves :
« Je ne sais pas s'il y a des proudhoniens,
— mais, s'il y en a, je jure quo ce sont des
imbéciles! »
*
* *
De fait, le voilà devenu , lui aussi, tout à
fait un petit bourgeois.
Sa Correspondance, triée sur le volet et choi-
sie avec un éclectisme qui « suait Ja peur, »
comme disait le poète, nous avait déjà édi-
fiés tristement sur certaines tendances ie son
esprit.
Le volume qui vient de paraître nous con-
firme dans cette première appréciation.
Mais il y a quelque chose de certain,
C'est que le livre qui vient d'être donné au
public n'eût pas été livré à la vente, dans l'état
où il est, du vivant de Proudhon.
Celui qui a dit :
« Je suis assuré, et je me vante, d'être l'es-
prit le plus révolutionnaire de mon temps, »
Avait de lui-même un trop grand respect
pour le souffrir.
Le livre est incomplet,
Et il est probable que ce sont les meilleu-
res parties qui nous manquent.
Proudhon avait, paraît-il, l'intention d'y
prendre à partie bon nombre de femmes de
lettres,
Et Dieu sait les belles pages que nous y
avons sans doute perdues,
Eh! qui ne se rappelle son étude morale
sur madame Sand, dont il venait de lire les
ouvrages, et dont il disait :
« Le premier effet de cette lecture fut de soulever
en moi une réprobation terrible ; je n'avais pas assez
d'Imprécations et d'injures contre cette femme, que
J'appelais hypocrite, scélérate, peste de la Républi-
que, fille du marquis de Sade, digne de pourrir le
reste de ses jours à Saint-Lazare, et que je vovais
admirée, applaudie, Dieu rhe sauve 1 par les puritains
de la République ! »
*
* *
Puis, tout en avouant qu'il avait eu tort de
la prendre si fort au sérieux, il ajoutait dans
sa verve endiablée :
Revue de l'Exposition internationale
des industries
MARITIMES ET FLUVIALES
ET
De la section française des principaux
articles d'exportation.
(gMTK.)
Les membres de la famille Chaumontel avaient été
enchantés de leur excursion, et ne s'étaient pas éloi-
gnés du palais de l'industrie sans avoir tixé le jour
d'un nouveau voyage. Mardi dernier donc, à dix heu-
res précises, Chaumontel, donnant le bras à sa femme,
précédé de ses deux enfants, arrivait à la porte et
faisait son entrée au travers du péristyle magnifique-
ment décoré, à droite et à gauche, de tapis superbes
qui garnissaient les rampes des escaliers monumen-
taux qui conduisent aux galeries et aux salles du pre-
mier étage.
Deux immenses pyramides de cordages, élevées de
chaque côté de la porte intérieure, répandent des
émanations goudronnées qui rappellent vaguement les
ports de mer, d'autant plus que deux matelots, placés
derrière ces gros cylindres de câbles, semblent tout
prêts à présenter les armes aux visiteurs.
Théophile Chaumontel, que le désir de s'instruire
rend curieux, quelquefois même indiscret, salue po-
liment celui de droite et lui demande avec intérêt :
— Monsieur le matelot, est-ce que vous venez de
loin?
Le matelot ne souffle mot et se contente de sourire
en regardant l'avenue des Champs-Élysées.
Théophile sent une réflexion poindre dans son cer-
veau et continue sa route en disant :
— Que je suis donc bête. C'est un matelot em-
paillé.
Sa sœur se moqua doucement de lui et l'entraîna
dans l'intérieur sur les pas de M. et de madame Chau-
montel, qui venaient de s'arrêter à droite, devant une
affiche bleue surmontée d'une ligne de becs de gaz
flamboyants.
Sur cette affiche s étaie, en ettres longues d'un
pied, l'inscription suivante :
Le joueur d'échecs
De Maelzel
Reconstruit par
Robert Houdin.
Chaumontel, très-fort aux échecs, ainsi qu'il con-
vient à tout homme grave, nous convia à voir ce fa-
meux automate, qui, depuis longtemps, jouit d'une
certaine réputation.
Nous entrons par une portière discrète, et dans ce
petit repaire, tendu de draperies brunes, éclairé par
deux becs de gaz, nous voyons un vieillard assis de-
vant un grand coffre sur lequel il étale de lourdes
mains gantées de noir. Il vous pro iuit d'abord l'im-
pression de ces vieux alchimistes qui cherchaient au-
trefois la pierre philosophale. La tête couverte d'un
chaperon qui échancre en cœur son front ridé, la
barbe à longues mèches blanches, l'œil tixé sur un
point imaginaire de l'espace, il a l'air de chercher au
delà de l'humanité, dans les cercles magiques de l'im-
possible, l'or potable ou l'elixir de vie.
Ce n'est pas sur tous ces points cependant que s'ar-
rête le vieil Alcofridas. Il ne sait qu'écrire le nom de
quelqu'un de l'honorable société, il fait une partie
d'écarté et résout un problème d'échecs.
Le démonstrateur tourne une manivelle qui fait un
bruit d'enfer, il vous montre une douzaine de roua-
ges qui s'engrènent l'un diins l'autre au sein de la
grande boîte, il remonte le vieux par le dos, et, tirant
ou poussant des boutons mystérieux plantés de chaque
côté du cofTie, Il lui fait écrire un nom. La vérité
m'oblige à dire que ce mannequin éciit fort mal.
Le jeune faiseur de boniments, qui est le cornac de
cette mécanique fourre des parapluies et des cannes
dans les rouages de la boîte pour bien prouver qu'il
n'y a personne dedans. Comme je ne suis pas doué de <
l'incrédulité de saint Thomas, je fais semblant d'ajou-
ter foi à ses paroles d'affirmation, mais personne de
la famille Chaumontel ne voulut croire que ce bon-
homme décrépit qui a des engrenages dans le ventre
et une tête en carton, puisse écrire, mal, il est vrai,
tout ce qu'on lui dicte.
— On pourrait avoir un secrétaire mécanique, dit
Chaumontel.
— Je m'ennuie, dit sa fille.
Et nous sortons.
Nous sortons de l'établissement de M. Robert Hou-
din, tout contents de nous retrouver à l'air libre. Le
jeune collégien n'était pas trop convaincu que l'auto-
mate en question, fût empaillé comme le matelot de
l'entrée. Nous admirons en passant les superbes
émaux de M. Soyer, un des rares artistes de Paris qui
ait su, à notre époque, remettre à sa hauteur l'art dé-
licat des Pénicaud et des Léonard Limousin.
Près de la porte de l'orchestre, nous voyons, sous
une vitrine haute et vaste, des fleurs artificielles
de M......Ces fleurs paraissent tellement naturelles
que mademoiselle Chaumontel regardait; avec ce naïf
amour des jeunes filles pour les fleurs, les grappes de
glycine et les chèvrefeuilles qu'il lui semblait voir
frissonner sous le vent des jardins.
A gauche, nous voyons un groupe rassemblé autour
d'un homme qui, place au milieu d'une collection
d'appareils étranges, les démontre avec une clarté et
une sûreté d'élocution qui prouvent d'une manière
irréfutable que c'est bien lui le Deus ex machina de
l'endroit.
En effet, c'est M. Bazin lui-même, qui au milieu de
ses types de navires en réduction et de ses modèles
d'inventions nouvelles, prouve qu'il peut encore ga-
gner de vitesse sur les steamers les plus rapides.
—[C'est là, dit Chaumontel, l'exposition la plus irr-
portante et qui répond le mieux à l'idée de l'entre-
prise de M. Nicole. Tous les objets exposés par M. Ba-
zin sont des plus intéressants pour la marine; mais,
ajouta-t-il avec un soupir, où sont les galions de
Vigo?
Je me souviens, en effet, que, cédant à la fièvre du
temps, Chaumentel avait acheté, au moment de l'é-
mission des actions de cette entreprise hypothétique,
une dizaine de ses papiers qui ne lui avaient rapporté,
en fait d'or et de diamants, que des désagréments de
la plus belle eau.
On ne s'arrête pas sans étonnement devant le navire
Express. Il est certain qu'une grande révolution va
être apportée dans la marine par cette découverte, qui
arriverait à donner aux navires la vitesse des che-
mins de fer.
A propos de chemin de fer, il est à remarquer que
l'express de M.*Bazin se sert de l'eau comme de la
terre, et qu'au lieu de fendre « l'onde amère, »
comme l'ont fait jusqu'ici toutes les embarcations
connues, il roule à la surface de l'eau. Au lieu de se
servir, pour diviser l'eau, de l'angle d'une carène et
des formes massives d'un navire, M. Bazin ne con-
serve, à la ligne suppérieure de flottaison, qu'une
lorme mince et du plus faible tirant d'eau. La coque
du navire est supportée par des disques immenses et
pleins d'air, qui font office de roues. Leur mouvement
de rotation, produit par l'hélice, les fait avancer sans
sillage et. en économisant la plus grande partie de la
force nécessaire pour vaincre la résistance de l'eau.
— Par ainsi, nous irons prochainement à New-
York en six jours, au lieu de mettre les neuf ou dix
jours qui séparent aujourd'hui notre port de Saint-
Nazairede la capitale des Etats-Unis : Vive le Progrès I
Ainsi parlait Chaumontel, pendant que M. Bazin
passait à une autre démonstration, celle de son ex-
tracteur, qu'il a construit pour combattre l'envahis-
sement de* ports parles sables qui viennent, menés
par les courants, les obstruer à chaque instant. L'ex-
tracteur peut élever, par jour, jusqu'à 3,000 mètres
cubes d'une densité de 1,800 à 2,000 kilog., jus-
qu'à une profondeur de douze Jniètres. Aussi ingé-
nieux que pratique, ce système repose sur le principe
des vases communiquants. Le procédé consiste dans
un roulement puissant, déterminé par une charge
d'eau constante, et dans une expulsion continue, or-
ganisée par des appareils centrifuges spéciaux.
Il y a bien un canon sous-marin, mais M. Bazin 1«
laisse dans le mystère; il y a bien aussi tous les ob-
L'Administration du Grelot a l'bonneur de
prévenir ses lecteurs qu'elle se charge d'en-
voyer à tous ceux qui en feront la demande :
Tous les ouvrages de librairie, publications
périodiques, musique, et, en général, tous les
articles se rattachant à la librairie, la papete-
rie e»t l'imprimerie.
LA SEMAINE
le cas de m. la revalescière du barry
Caporal au 220' d'infanterie de marine et député.
La petite fête se passe à Étrépagny-les-Cas-
tagnettes.
Un banquet a lieu en l'honneur... de n'im-
porte quoi.
L'illustre Godiveau a réuni le plus grand
nombre possible de partisans de ce régime
délicieux auquel nous devons le 2 Décembre
et la journée de Sedan.
Deux dates à jamais mémorables !
L'assemblée n'est pas nombreuse, bâtons-
nous de le dire.
Parmi les convives se cache un électeur
grincheux qui est venu là pour se rendre bien
compte de l'audace de certains particuliers.
On boit... vigoureusement, on mange assez
mal, et entre le poulet et la salade, on casse le
plus de sucre qu'on peut sur le dos de cette
infortunée République.
L'électeur grincheux... et républicain rage
tant qu'il peut, mais se maintient encore.
Il est probable, cependant, que ça ne va
pas durer longtemps et que Ja patience va
finir par lui échapper.
Au moment où l'on passe le café, le jeune
Godiveau, président, se lève et demande la
parole.
Comme il est président, après se l'être de-
mandée, il se la donne.
Ce qui n'a rien de surprenant.
Le silence s'établit et l'on entend que le
bruit de quelques noisettes que casse l'élec-
teur grincheux pour se donner une conte-
nance et déguiser sa mauvaise humeur.
« Messieurs et chers concitoyens, s'écrie le
jeune Godiveau, ce n'est pas pour vous entre-
tenir de mes propres élucubrations que je me
suis demandé et donné la parole, croyez-le
bien.
Il s'agit de vous faire prendre connaissance
d'une lettre que m'a bien voulu adresser l'il-
lustre caporal La Revalescière Du Barry, em-
pêché pour le moment de se trouver au milieu
de ses amis politiques. (Mouvement d'atten
tion.)
Cette lettre, précieuse à tant de titres, la
voilà !
(Il tire l'épître de m poche.)
Dites donc, vous, là-bas!... quand vous au-
rez fini de casser vos noisettes?... ça fait un
bruit!...
Je commence...
« Mon cher Godiveau,
« Nommé caporal par la République dont
je touche l'argent et député par le pays dont
je palpe également la monnaie, vous ne m'a-
ves pas fait cette injure, je suppose, de croire
un instant que j'allais rester fidèle au serment
fait à un gouvernement que j'ai dans le dos
aussi bas que possible. (Bravo/—Très-bien!)
l'électeur grincheux.
Pardon... un mot... est-ce comme caporal
ou comme député que le susdit Du Barry
parle?...
voix nombreuses.
Qu'est-ce que cela vous fait, pourvu qu'il
débine la République ?
l'électeur grincheux.
Evidemment... mais...
les mêmes voix.
La République !... ce gouvernement ridi-
cule... et malhonnête...
l'électeur grincheux.
Qu'il sert cependant... au prcfitde son avan-
cement.
chœur général.
A la porte !... à la porte !...
l'électeur grincheux.
Bien... bien... je me tais... jusqu'à nouvel
ordre.
GODIVEAU.
Je reprends. « Non, mon cher Godiveau,
j'ai accepté du chef de ce gouvernement une
nomination de caporal, il est vrai, mais pour
mettre l'influence que me vaudrait ce grade
considérable au service des petites affaires de
notre parti... »
tous.
Quel homme!... quel cœur 1... quelle rie
nature!...
GODIVEAU."
« De notre parti. C'est-à-dire de ''Empire,
de ce gouvernement paternel auquel nous de-
vons dix-huit ans de prospérité. . »
l'Électeur ' grincheux.
Et dix milliards de dettes !
tous.
A la porte! à Ja porte! • ,
GODIVEAU.
« Et qui donc pourrait trouver ma franchise
mauvaise et la condamner? Nesuis-iepas dé-
puté? N'ai-je pas le droit de parler 1 »
l'électeur grincheux.
Comme député, oui... mais comme caporal!
GODIVEAU.
Ah! ça, voyons, quand vous voudrez nous
lâcher, vous?... Je continue : « Oui, mon cher
Godiveau, je veux vous dévoiler toute ma pen-
sée •
La République m'embête.
C'est ce que je me permettrai d'appeler un
gouvernement de pouilleux.
Je n'y crois pas, je n'en veux pas,
C'est, il est vrai, le gouvernement léqal.
Mais qu'est-ce que nous fait la légalité, je
vous le demande un peu, à nous autres bona-
partistes ?
La légalité! je m'asseois dessus, comme di-
sait un poète de l'Empire dont je regrette bien
d'avoir oublié le nom.
Donc, soyez persuadé, mon cher Godiveau,
que je ferai tous mes efforts près des soldats
de mon escouade pour les amener à partager
les généreux sentiments
Avec lesquels j'ai l'honneur d'être,
Votre affectionné,
La Revalescière du Barry.
(Tonnerre d'applaudissements. Tout le monde
s'embrasse. )
^'électeur grincheux, montant sur une chaise.
Eh bien, voulez-vous que je vous dise une
chose, moi?... Si votre caporal-député n'est
pas dégommé, c'est qu'il n'y a pas de jus-
tice !...
(Cris et hurlements. )
plusieurs voix.
Il est député !... Il a le droit de parler !
l'électeur grincheux.
Il est caporal 1... il a le devoir de se taire!...
godiveau.
Refaites la loi !...
l'électeur grincheux.
Il le faudra bien, puisqu'elle est stupide!...
Chacun son métier, les vaches seront bien
gardées !... Un soldat est à sa place dans la
caserne, comme un marin sur son tillac !...
Ils désirent y i ester... Il y a assez de bavards
sans eux... En toHt cas, quand un homme
n'aime pas le gouvernement qu'il sert, il n'a
qu'une chose à faire, donner sa démission...
et planter des choux.
tous.
A la porte !... à la porte !...
l'électer grincheux.
Cette fois-ci, j'y vais , mes agneaux. D'au-
tant que j'ai dit ce que j'avais sur le cœur.
Bien le vôtre.
NICOLAS FLAMMÈCHE.
FEUILLES AU VENT
Voici Prourihon qu reparaît encore une
fois sur l'eau, — et cette fois avec un vo
lume sur les femmes :
La Pornographie, — c'est-à-dire, au fond,
la Prostitution, — ou, mieux encore, Descrip
tion de la prostitution.
Rétif de la Bretonne avait, lui aussi, au siè-
cle dernier, écrit un volume sous un titre
quasi identique.
Cela s'appelait le Pornographe.
Seulement, la différence des ouvrages est
sensible.
Le livre de Rétif est une sorte de roman:
Celui de Proudhon, une espèce de mani-
feste social, —et, peut-on dire, moral, —à
propos du rôle de la femme dans ces temps
modernes.
Oui, il ne faut pas s'y tromper;
Les exécuteurs testamentaires de Proudhon
s'y sont si bien pris, — oni si bien arrangé
les manuscrits posthumes de Proudhon,—
l'ont si proprement lavé, savonné, passé au
chlore et à la chaux, que nous voici aujour-
d'hui possesseurs d'un joli petit Proudhon
d'appartement, bien propre, bien gentil, et
dans lequel on ne reconnaîtrait plus guère
celui qui disait :
« La propriété, c'est le vol, — et Dieu
c'est le mail »
Pauvre Proudhon!
Il avait bien raison de dire un jour, dans
l'indépendance de son esprit qui ne subit ja-
mais d'entraves :
« Je ne sais pas s'il y a des proudhoniens,
— mais, s'il y en a, je jure quo ce sont des
imbéciles! »
*
* *
De fait, le voilà devenu , lui aussi, tout à
fait un petit bourgeois.
Sa Correspondance, triée sur le volet et choi-
sie avec un éclectisme qui « suait Ja peur, »
comme disait le poète, nous avait déjà édi-
fiés tristement sur certaines tendances ie son
esprit.
Le volume qui vient de paraître nous con-
firme dans cette première appréciation.
Mais il y a quelque chose de certain,
C'est que le livre qui vient d'être donné au
public n'eût pas été livré à la vente, dans l'état
où il est, du vivant de Proudhon.
Celui qui a dit :
« Je suis assuré, et je me vante, d'être l'es-
prit le plus révolutionnaire de mon temps, »
Avait de lui-même un trop grand respect
pour le souffrir.
Le livre est incomplet,
Et il est probable que ce sont les meilleu-
res parties qui nous manquent.
Proudhon avait, paraît-il, l'intention d'y
prendre à partie bon nombre de femmes de
lettres,
Et Dieu sait les belles pages que nous y
avons sans doute perdues,
Eh! qui ne se rappelle son étude morale
sur madame Sand, dont il venait de lire les
ouvrages, et dont il disait :
« Le premier effet de cette lecture fut de soulever
en moi une réprobation terrible ; je n'avais pas assez
d'Imprécations et d'injures contre cette femme, que
J'appelais hypocrite, scélérate, peste de la Républi-
que, fille du marquis de Sade, digne de pourrir le
reste de ses jours à Saint-Lazare, et que je vovais
admirée, applaudie, Dieu rhe sauve 1 par les puritains
de la République ! »
*
* *
Puis, tout en avouant qu'il avait eu tort de
la prendre si fort au sérieux, il ajoutait dans
sa verve endiablée :
Revue de l'Exposition internationale
des industries
MARITIMES ET FLUVIALES
ET
De la section française des principaux
articles d'exportation.
(gMTK.)
Les membres de la famille Chaumontel avaient été
enchantés de leur excursion, et ne s'étaient pas éloi-
gnés du palais de l'industrie sans avoir tixé le jour
d'un nouveau voyage. Mardi dernier donc, à dix heu-
res précises, Chaumontel, donnant le bras à sa femme,
précédé de ses deux enfants, arrivait à la porte et
faisait son entrée au travers du péristyle magnifique-
ment décoré, à droite et à gauche, de tapis superbes
qui garnissaient les rampes des escaliers monumen-
taux qui conduisent aux galeries et aux salles du pre-
mier étage.
Deux immenses pyramides de cordages, élevées de
chaque côté de la porte intérieure, répandent des
émanations goudronnées qui rappellent vaguement les
ports de mer, d'autant plus que deux matelots, placés
derrière ces gros cylindres de câbles, semblent tout
prêts à présenter les armes aux visiteurs.
Théophile Chaumontel, que le désir de s'instruire
rend curieux, quelquefois même indiscret, salue po-
liment celui de droite et lui demande avec intérêt :
— Monsieur le matelot, est-ce que vous venez de
loin?
Le matelot ne souffle mot et se contente de sourire
en regardant l'avenue des Champs-Élysées.
Théophile sent une réflexion poindre dans son cer-
veau et continue sa route en disant :
— Que je suis donc bête. C'est un matelot em-
paillé.
Sa sœur se moqua doucement de lui et l'entraîna
dans l'intérieur sur les pas de M. et de madame Chau-
montel, qui venaient de s'arrêter à droite, devant une
affiche bleue surmontée d'une ligne de becs de gaz
flamboyants.
Sur cette affiche s étaie, en ettres longues d'un
pied, l'inscription suivante :
Le joueur d'échecs
De Maelzel
Reconstruit par
Robert Houdin.
Chaumontel, très-fort aux échecs, ainsi qu'il con-
vient à tout homme grave, nous convia à voir ce fa-
meux automate, qui, depuis longtemps, jouit d'une
certaine réputation.
Nous entrons par une portière discrète, et dans ce
petit repaire, tendu de draperies brunes, éclairé par
deux becs de gaz, nous voyons un vieillard assis de-
vant un grand coffre sur lequel il étale de lourdes
mains gantées de noir. Il vous pro iuit d'abord l'im-
pression de ces vieux alchimistes qui cherchaient au-
trefois la pierre philosophale. La tête couverte d'un
chaperon qui échancre en cœur son front ridé, la
barbe à longues mèches blanches, l'œil tixé sur un
point imaginaire de l'espace, il a l'air de chercher au
delà de l'humanité, dans les cercles magiques de l'im-
possible, l'or potable ou l'elixir de vie.
Ce n'est pas sur tous ces points cependant que s'ar-
rête le vieil Alcofridas. Il ne sait qu'écrire le nom de
quelqu'un de l'honorable société, il fait une partie
d'écarté et résout un problème d'échecs.
Le démonstrateur tourne une manivelle qui fait un
bruit d'enfer, il vous montre une douzaine de roua-
ges qui s'engrènent l'un diins l'autre au sein de la
grande boîte, il remonte le vieux par le dos, et, tirant
ou poussant des boutons mystérieux plantés de chaque
côté du cofTie, Il lui fait écrire un nom. La vérité
m'oblige à dire que ce mannequin éciit fort mal.
Le jeune faiseur de boniments, qui est le cornac de
cette mécanique fourre des parapluies et des cannes
dans les rouages de la boîte pour bien prouver qu'il
n'y a personne dedans. Comme je ne suis pas doué de <
l'incrédulité de saint Thomas, je fais semblant d'ajou-
ter foi à ses paroles d'affirmation, mais personne de
la famille Chaumontel ne voulut croire que ce bon-
homme décrépit qui a des engrenages dans le ventre
et une tête en carton, puisse écrire, mal, il est vrai,
tout ce qu'on lui dicte.
— On pourrait avoir un secrétaire mécanique, dit
Chaumontel.
— Je m'ennuie, dit sa fille.
Et nous sortons.
Nous sortons de l'établissement de M. Robert Hou-
din, tout contents de nous retrouver à l'air libre. Le
jeune collégien n'était pas trop convaincu que l'auto-
mate en question, fût empaillé comme le matelot de
l'entrée. Nous admirons en passant les superbes
émaux de M. Soyer, un des rares artistes de Paris qui
ait su, à notre époque, remettre à sa hauteur l'art dé-
licat des Pénicaud et des Léonard Limousin.
Près de la porte de l'orchestre, nous voyons, sous
une vitrine haute et vaste, des fleurs artificielles
de M......Ces fleurs paraissent tellement naturelles
que mademoiselle Chaumontel regardait; avec ce naïf
amour des jeunes filles pour les fleurs, les grappes de
glycine et les chèvrefeuilles qu'il lui semblait voir
frissonner sous le vent des jardins.
A gauche, nous voyons un groupe rassemblé autour
d'un homme qui, place au milieu d'une collection
d'appareils étranges, les démontre avec une clarté et
une sûreté d'élocution qui prouvent d'une manière
irréfutable que c'est bien lui le Deus ex machina de
l'endroit.
En effet, c'est M. Bazin lui-même, qui au milieu de
ses types de navires en réduction et de ses modèles
d'inventions nouvelles, prouve qu'il peut encore ga-
gner de vitesse sur les steamers les plus rapides.
—[C'est là, dit Chaumontel, l'exposition la plus irr-
portante et qui répond le mieux à l'idée de l'entre-
prise de M. Nicole. Tous les objets exposés par M. Ba-
zin sont des plus intéressants pour la marine; mais,
ajouta-t-il avec un soupir, où sont les galions de
Vigo?
Je me souviens, en effet, que, cédant à la fièvre du
temps, Chaumentel avait acheté, au moment de l'é-
mission des actions de cette entreprise hypothétique,
une dizaine de ses papiers qui ne lui avaient rapporté,
en fait d'or et de diamants, que des désagréments de
la plus belle eau.
On ne s'arrête pas sans étonnement devant le navire
Express. Il est certain qu'une grande révolution va
être apportée dans la marine par cette découverte, qui
arriverait à donner aux navires la vitesse des che-
mins de fer.
A propos de chemin de fer, il est à remarquer que
l'express de M.*Bazin se sert de l'eau comme de la
terre, et qu'au lieu de fendre « l'onde amère, »
comme l'ont fait jusqu'ici toutes les embarcations
connues, il roule à la surface de l'eau. Au lieu de se
servir, pour diviser l'eau, de l'angle d'une carène et
des formes massives d'un navire, M. Bazin ne con-
serve, à la ligne suppérieure de flottaison, qu'une
lorme mince et du plus faible tirant d'eau. La coque
du navire est supportée par des disques immenses et
pleins d'air, qui font office de roues. Leur mouvement
de rotation, produit par l'hélice, les fait avancer sans
sillage et. en économisant la plus grande partie de la
force nécessaire pour vaincre la résistance de l'eau.
— Par ainsi, nous irons prochainement à New-
York en six jours, au lieu de mettre les neuf ou dix
jours qui séparent aujourd'hui notre port de Saint-
Nazairede la capitale des Etats-Unis : Vive le Progrès I
Ainsi parlait Chaumontel, pendant que M. Bazin
passait à une autre démonstration, celle de son ex-
tracteur, qu'il a construit pour combattre l'envahis-
sement de* ports parles sables qui viennent, menés
par les courants, les obstruer à chaque instant. L'ex-
tracteur peut élever, par jour, jusqu'à 3,000 mètres
cubes d'une densité de 1,800 à 2,000 kilog., jus-
qu'à une profondeur de douze Jniètres. Aussi ingé-
nieux que pratique, ce système repose sur le principe
des vases communiquants. Le procédé consiste dans
un roulement puissant, déterminé par une charge
d'eau constante, et dans une expulsion continue, or-
ganisée par des appareils centrifuges spéciaux.
Il y a bien un canon sous-marin, mais M. Bazin 1«
laisse dans le mystère; il y a bien aussi tous les ob-