LA CONCEPTION HIÉRARCHIQUE DE LA SOCIÉTÉ 73
lues à la noblesse, un élément contrastant de sympathie
pour le peuple. D’une part, la raillerie haineuse et méprisante
envers le villageois, telle qu’elle s’exprime dans le poème
flamand Kerelslied et dans les Proverbes del vilain ; d’autre
part, la compassion pour le pauvre peuple qui, éprouvé par
la guerre, exploité par les fonctionnaires officiels, vit dans
les privations et la misère/
Si fault de faim périr les innocens
Dont les grans loups font chacun jour ventrée,
Qui amassent a milliers et a cens
Les faulx trésors ; c’est le grain , c’est la blée,
Le sang, les os qui ont la terre arée
Des povres gens, dont leur esperit crie
Vengence à Dieu, vé à la seignourie (1).
Chacun vit aux dépens des paysans ; ils souffrent patiem-
ment : « le prince n’en sait rien », et si parfois ils murmurent
et vilipendent l’autorité : « povres brebis, povre fol peuple »,
le seigneur, d’un mot, les calme et les remet à raison. Sous
l’influence des dévastations et de l’insécurité qui, en consé-
quence de la guerre de cent ans, s’étaient peu à peu étendues
sur toute la France, l’inlassable complainte sur le villageois
prend une forme spéciale : le paysan pillé, incendié, maltraité
par les soldats des deux camps, dépouillé de son bétail, chassé
de sa maison. Ces plaintes sont exprimées par les hauts
dignitaires du :clergé amis de la réforme, vers l’an 1400 :
Nicolas de Clemanges dans son Liber de lapsu et reparatione
justitiae (2), ou Gerson dans le courageux et émouvant ser-
mon politique qu’il prononça devant les régents et la cour
sur le thème Vivat Rex, le 7 novembre 1405 au palais de la
Reine à Paris. « Le pauvre homme n’aura pain à manger,
sinon par advanture aucun peu de seigle ou d’orge ; sa
pauvre femme gerra, et auront quatre ou six petits enfants
au fouyer, ou au four, qui par advanture sera chauld ; de-
manderont du pain, crieront à la rage de faim. La pauvre
mère si n’aura que bouter es dens que un peu de pain ou il
y ait du sel. Or, devrait bien suffire cette misere : — viendront
(1) Deschamps, n° 113, t. I, p. 230.
(2) N. de Clemanges, Opéra, éd. Lydius, Leiden, 1613, p. 48, ch. ix.
lues à la noblesse, un élément contrastant de sympathie
pour le peuple. D’une part, la raillerie haineuse et méprisante
envers le villageois, telle qu’elle s’exprime dans le poème
flamand Kerelslied et dans les Proverbes del vilain ; d’autre
part, la compassion pour le pauvre peuple qui, éprouvé par
la guerre, exploité par les fonctionnaires officiels, vit dans
les privations et la misère/
Si fault de faim périr les innocens
Dont les grans loups font chacun jour ventrée,
Qui amassent a milliers et a cens
Les faulx trésors ; c’est le grain , c’est la blée,
Le sang, les os qui ont la terre arée
Des povres gens, dont leur esperit crie
Vengence à Dieu, vé à la seignourie (1).
Chacun vit aux dépens des paysans ; ils souffrent patiem-
ment : « le prince n’en sait rien », et si parfois ils murmurent
et vilipendent l’autorité : « povres brebis, povre fol peuple »,
le seigneur, d’un mot, les calme et les remet à raison. Sous
l’influence des dévastations et de l’insécurité qui, en consé-
quence de la guerre de cent ans, s’étaient peu à peu étendues
sur toute la France, l’inlassable complainte sur le villageois
prend une forme spéciale : le paysan pillé, incendié, maltraité
par les soldats des deux camps, dépouillé de son bétail, chassé
de sa maison. Ces plaintes sont exprimées par les hauts
dignitaires du :clergé amis de la réforme, vers l’an 1400 :
Nicolas de Clemanges dans son Liber de lapsu et reparatione
justitiae (2), ou Gerson dans le courageux et émouvant ser-
mon politique qu’il prononça devant les régents et la cour
sur le thème Vivat Rex, le 7 novembre 1405 au palais de la
Reine à Paris. « Le pauvre homme n’aura pain à manger,
sinon par advanture aucun peu de seigle ou d’orge ; sa
pauvre femme gerra, et auront quatre ou six petits enfants
au fouyer, ou au four, qui par advanture sera chauld ; de-
manderont du pain, crieront à la rage de faim. La pauvre
mère si n’aura que bouter es dens que un peu de pain ou il
y ait du sel. Or, devrait bien suffire cette misere : — viendront
(1) Deschamps, n° 113, t. I, p. 230.
(2) N. de Clemanges, Opéra, éd. Lydius, Leiden, 1613, p. 48, ch. ix.